Série JP Nataf (3/3): « On a la même langue, mais vous, les Belges, ne la voyez pas pareil »

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On retrouve le regard doux, la barbe qui fait un peu peur, et la parole facile de JP Nataf juste après son concert au Brussels Summer Festival, dimanche dernier, pour une seconde interview qui vaut son pesant d’or. Troisième et dernier épisode de notre série dédiée à JP Nataf.

Canon hein?
On a pris du plaisir, c’est clair.

A l’époque de la fin des Innocents, une animatrice radio présentait Une vie moins ordinaire comme l’une des chansons les plus complexes du moment, au niveau notamment du nombre d’accords différents. Le couac de Seul alone, où tu oublies un mot, est symptomatique de cette recherche perpétuelle de complexité, symbolisée ici par un texte presque trop riche. Etre le plus travaillé possible, c’est dans tes obsessions?
Faire de la musique m’empêche de grandir, je suis vraiment comme un gamin. Je suis très très égoïste: je ne peux pas m’ennuyer. Je passe beaucoup de temps avec mes chansons. Je ne sais pas lire la musique, je ne suis pas un technicien ni un musicien accompli, je suis intuitif. C’est la même chose avec les mots, il y a un moment où il faut que je me surprenne.

J’ai fait des études d’architecture, je n’étais pas très doué, mais je pense que j’ai gardé ce goût. J’ai besoin de partir au début de la chanson et de m’amener quelque part. Après, éventuellement, les gens suivent. Ce n’est pas que j’aime mettre la barre haut, mais je ne veux pas m’ennuyer. Quand je compose, je réfléchis toujours en ces termes: est-ce qu’il n’y a pas une biffurcation innattendue à prendre?

Le concert était remarquablement équilibré entre les différents tempo. Là aussi, c’est quelque chose qui reflète la musique que tu aimes faire?
Une fois de plus, ce sont les chansons qui me sauvent. Si je faisais des mélodies basiques avec trois accords, ce serait plus dur de construire un set, parce qu’on serait obligé de ne raisonner qu’en termes d’énergie pour emballer le public. Là, c’est vrai que ce qui peut paraître bizarre sur le papier, comme mettre une chanson très douce après un moment où on a commencé à bouger le public, est rattrapé par le fait que la mélodie ne sonne pas pareil, que je chante fort ou doucement. Ca oblige à être vraiment là, à être très vivant..

Sans rentrer dans le cliché du « forcément intimiste », une petite salle comme celle-ci (le Magic Mirror du Brussels Summer Festival) se prêt plutôt bien à ta musique, non?
Oui, mais le plaisir aussi, c’est que ce ne soit pas tous les soirs pareils. Comme je te disais, on peut jouer à deux dans un bar, j’adore ça. Il y a des constantes: j’aime parler au public, même si je suis sur une grande scène.

Tes interventions sont souvent drôles et on sent que l’humour t’aide à évacuer le stress et la timidité. Tu répètes les mêmes blagues de concert en concert?
Non, impossible. Ca me décevrait et du coup, je ne me mettrais pas en condition. Albin de la Simone, par exemple, est très gêné par l’idée de pouvoir casser l’ambiance avant une chanson, de dire trois grosses conneries avant de jouer un morceau émotionnel. Pareil, assez égoïstement, j’ai pris un kiff terrible à regrader des gens comme Chris Isaak, des performeurs à l’américaine raconter des conneries entre les chansons. Moi, je n’aime pas qu’on me dise ce que je dois ressentir. C’est la musique qui t’oblige à rentrer dans la chanson.

Le set semblait s’achever sans chansons des Innocents. Puis tu termines par Un monde parfait…
C’est une chanson dont je suis fier. En plus, pour moi, les Innocents, ce n’est pas fini. Je suis en train de retrouver Jean-Chri et je sais qu’un jour on rejouera ces chansons-là.

Tu as fait le coup du public belge si spécial. C’est une tarte à la crème?
Au nord de la France et ici, il y’a vraiment quelque chose. Pas au niveau des applaudissements. Mais c’est très rare que j’enlève mes lunettes au milieu d’un concert comme je viens de le faire. J’avais envie de voir le public. Avec les Innocents, c’était déjà comme ça: notre Ancienne Belgique en 1989 fut la plus belle date de la tournée. On a la même langue, mais vous ne la voyez pas pareil. En France, on me demande sans cesse quelle est ma place dans la chanson française.

A qui on te compare le plus?
Murat, Daho, Mathieu Boogaerts… Y’a un timbre, c’est vrai, mais les gens vont chercher dans un paysage qui n’est pas le mien. Quand je chante grave, je ne vois pas Daho, je pense à Nick Cave, Cohen ou Johnny Cash. A l’étranger, les gens sont ailleurs, n’ont pas le même regard. On en revient à l’histoire de la complexité. Quand je suis allé au Brésil, où la musique est la plus complexe au monde, les gens me donnaient confiance parce que’ils me parlaient de mes retournements de guitare. J’ai commencé ce métier en voulant être une star et finalement, la rencontre avec Jean-Chri a été déterminante: on a glissé vers une quête où ce sont les chansons qui sont des stars.

Quoi de bien dans l’avenir?
Je produis l’album de Nina Tindel, un travail qui me tient très à coeur. Puis on repart en tournée, même si je risque de faire des trucs à côté. C’est l’avantage d’avoir du « succès » parmi mes pairs: on me demande des chansons. Les gens commencent à venir.

Tu écris pour les autres?
Composer, pas écrire. Je n’ai pas encore passer le cap. Mais si on me donne un texte, j’adore le mettre en musique, je l’ai fait pour Thiéfaine et pour Eddy Mitchell. Si j’avais pas été foutu de monter sur scène, c’est ce que j’aurais fait, à plein temps, comme les mecs de la Motown. Quand j’ai écrit pour Mitchell, il m’a dit: « Il me manque un titre up-tempo à la Johnny Cash ». C’était du petit lait pour moi.

Puis il y a les Innocents…
Après la tournée, si mon collègue Jean-Chri a terminé son album, on va s’y remettre. Soit tourner ensemble, soit faire un disque. On va se mettre à deux dans une pièce, voir ce qui en ressort. Puis après, je ferai un autre disque.

Guy Verstraeten

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