Secrètes sessions: comment j’ai coécrit une chanson toutes les 2 heures avec des inconnus

"Échangisme musical"... © ManuGo Photography
Kevin Dochain
Kevin Dochain Journaliste focusvif.be

Jeudi dernier se tenait la 13e édition des Secrètes sessions, quatrièmes à être hébergées par le festival Francofaune sous le signe de l' »échangisme musical ». On en était: journal de bord de cette expérience hors du commun.

Une fois n’est pas coutume, j’écrirai ici en « je » et j’enfilerai sans distinction mes casquettes (celles de musicien et de journaliste). Tant pis pour le recul, tant pis pour l’objectivité: les événements vécus la semaine dernière étaient bien trop enrichissants pour ne pas être racontés.

Tout a donc commencé il y a deux ans, alors que je participais avec Fou Detective, groupe « rapoprock » dans lequel je tiens la guitare, au Parcours Francofaune organisé par le festival éponyme. Expérience déjà unique en tant que telle, dans foulée de laquelle on me propose de participer aux Secrètes sessions de l’édition suivante. Quelques conflits de calendriers plus tard, ce sera finalement que cette année que je prendrai part au projet.

Le principe des sessions est aussi limpide qu’enthousiasmant et… intimidant: une vingtaine de musiciens belges et français, qui ne se connaissent pas (ou peu), sont enfermés pendant trois jours au sein du VK à Molenbeek, où une règle prime: il est impératif d’écrire un nouveau morceau toutes les deux heures, laps de temps au terme duquel celui-ci est enregistré et filmé. Deux équipes sont constituées, une première occupant les lieux le lundi et le mardi matin, la seconde le mardi après-midi et le mercredi. Le jeudi, on répète le tout et on joue les seize morceaux créés pour un concert exclusif.

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Je fais partie de la deuxième équipe. Pour me mettre dans le bain, avant d’arriver sur place mardi, je prends le temps de jeter un oeil (et une oreille) à la page Youtube des Secrètes sessions, où sont déjà publiés les morceaux de la veille, dont un Bikini/Beau cul nu décomplexé en diable. Putain, la barre est placée haute, va falloir être à la hauteur. L’après-midi, j’arrive un peu à l’avance, curieux de voir comment les choses se déroulent avant de devoir moi-même m’y mettre. Sur scène, un groupe constitué notamment autour de Fanny de Faon Faon et de Gaëtan Streel s’apprête à enregistrer À moins que ce ne soit l’hiver. Réflexion-minute: ça a vraiment été écrit en deux heures, ça?

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Alors qu’en sont jouées les dernières mesures, Gil Mortio, « parrain » des Secrètes sessions et cheville ouvrière de Francofaune, évoque l’idée de monter une méga-chorale qui ferait le lien entre les deux groupes. Je suis évidemment réquisitionné. Quinze personnes sur scène s’attèlent donc à se renvoyer la balle sur base de paroles chiadées où on parle de « bruxelliser le PSG » et fait rimer « Boko Haram » avec « rapapapam ». Mot d’ordre: fun, fun, fun.

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C’est une autre paire de manches quand vient vraiment notre tour. Timidement, l’un monte sur scène, l’autre le suit, et on se retrouve vite à cinq à débattre autour de la grille d’accords idéale à suivre. Thom, chanteur/guitariste des Lillois Le Duc Factory, en sort une kilométrique de sa besace, très jazz et inspirée par Aquaserge: ça tue mais ça coince aussi assez vite avec les backgrounds éclectiques des musiciens présents. Pendant une heure, ça chipote, ça trébuche, l’ultimatum se rapproche de plus en plus et personne ne semble voir vers où on se dirige. Jusqu’à ce que, lors d’une rare épiphanie collective, la situation se débloque d’elle-même: on ne gardera que l’essence, le yaourt d’Olympia (Faon Faon) se transforme petit à petit en paroles et Ismaël Métis vient se rajouter au projet pour rapper un couplet sur deux. On ajoute des choeurs, un solo à la Tame Impala, on ficèle un pont vite fait, on réussit à répéter une fois (!) le morceau au complet, et il est déjà l’heure de l’enregistrer. Ouf! Au final, le stress s’est transformé en énergie positive et le morceau accouché est sans doute le plus pop de la session jusqu’ici. Une fois l’enregistrement fini, Olympia fonce sur son smartphone: « Merde, aucune idée d’où c’est, le mont Sinaï! Y a pas de référence trop biblique cachée derrière? »

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Pour la suite, pendant qu’un deuxième groupe se constitue autour de Jawhar et Nicolas Jules, on décide à quelques musiciens de s’isoler pour poser les bases d’un morceau suivant. « Sortez-nous un truc bien rock », insistent Florent Le Duc et Gil Mortio de Francofaune. Alors, avec Nicolas Ankoudinoff, saxophoniste jazz aux mille projets, on isole un vieux riff heavy qui traînait dans mon téléphone dont je ne savais que faire. Très vite, en changeant sa structure, on se rend compte qu’il colle parfaitement à des paroles à lui, qui n’attendaient qu’à être chantées. En complétant l’équipe, on le monte sur scène en un peu plus d’une heure en lui affublant à peu près tous les clichés du genre: l’orgue bien crado, le solo de sax free, le pont final qui double en tempo. Et Ismaël Métis, qui gribouillait son carnet dans son coin, vient s’ajouter sur le pont pour donner la touche finale au titre. C’est dans la boîte, on peut relâcher la pression et ouvrir une bière.

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Le lendemain, méchante gueule de bois oblige, j’arrive en retard et un groupe est déjà à moitié constitué. Avec notamment Aurélie et Catherine de Blondy Brownie qui nous rejoignent pour la matinée. Mais de mon côté, j’ai une envie tenace. Au réveil, mon fils de 4 ans m’a demandé « si je connaissais cette chanson qui fait tom-ti-dom-taaam »… Je ne la reconnais pas, du coup je l’enregistre sur mon téléphone et, sur la route du VK, je me dis que ce serait bien de sampler sa voix et de s’en servir comme base d’un morceau. Nicolas démarre au quart de tour: l’idée est bonne, mais la mélodie que j’ai reconstituée et beaucoup trop dissonante, ne la jouons que sur les touches blanches du piano pour qu’elle reste enfantine. Ismaël, bien emballé par l’idée, se greffe au projet et on part pour les paroles sur une base de citations enfantines (nos carnets à tous les deux en sont plein, lui qui bosse souvent en ateliers avec des jeunes et moi qui suis jeune papa). Mais ça coince un peu et sur scène, on ne garde que la base instrumentale. Jawhar -avec lequel je suis bleu de jouer, vu l’impact qu’a eu son album Winrah Marah sur moi- apporte son grain de sel et ses « sentiments/sentimentalisme » du refrain complètent merveilleusement l’ensemble, tandis qu’Olympia improvise un deuxième couplet ric-rac. Encore une fois, c’est vraiment au finish, chaque musicien ajoutant sa petite touche (la samba finale inspirée par le percussionniste brésilien Nyllo Canela, par exemple): in fine, le morceau n’aura jamais été répété de A à Z avant d’être enregistré, mais c’est sans doute ce qui fera son charme et sa fraîcheur. Le lendemain, quand avant de le conduire à l’école, je fais écouter le morceau à mon fils (qui aura donné son nom à la chanson), son sourire à mi-chemin entre fierté et timidité vaut tout l’or du monde…

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Pendant qu’on s’enfile une maxi-séance de yoga salvatrice, sur scène s’écrit un morceau hip-hop bien carré: Poches trouées. Petit personnel (clavier/guitare/batterie/MC) et nécessaire bouffée d’air dans l’ensemble puisqu’en général, la tendance est plutôt à s’amasser tous sur scène pour une moyenne de 8 musiciens par groupe éphémère… On continue dans un esprit encore plus dépouillé avec un morceau, Serré, à l’écriture impeccable et articulé autour d’une guitare et d’une basse à peine ponctuées par un mini-solo de sax déjanté. La journée se finira en déroulant le tapis rouge à Badi qui nous rejoint in extremis pour un rap trilingue, Jek Ennoum/T’as sommeil, où Jawhar et Olympia jouent les « plans langue » en guise de refrain.

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Jeudi, c’est jour de consécration: après avoir répété une ou deux fois les seize morceaux créés, ceux-ci seront joués en public. Le VK est réaménagé pour l’occasion, avec les musiciens au milieu, les spectateurs pouvant traverser la salle au gré de leurs envies. Il y a de l’électricité dans l’air. Dans un grand esprit fraternel, les musiciens et l’équipe technique se vannent et se lancent des défis à tout-va, comme de placer des mots-clés secrets dans les paroles tout au long de la soirée. Les changements de plateau sont certes parfois laborieux (forcément, à vingt sur scène…), mais l’ambiance est incomparable et chacun s’enthousiasme pour les morceaux des autres. Au final, on en ressort avec un sentiment incomparable, le travail accompli est bluffant et le côté spontané, immédiat de l’ensemble aura fait un bien incroyable alors que la plupart des musiciens ici présents sont habitués, dans leurs projets respectifs, à des rythmes beaucoup plus longs, où toute sortie doit être calculée, réfléchie pour maximiser son impact. Et on est sûr que les amitiés, tant humaines que musicales, qui sont nées ici n’en resteront pas là. On remet ça quand?

Le festival Francofaune court encore jusqu’au 14 octobre prochain, avec quantité de beaux noms à son affiche: Karin Clercq (ce 9/10 au Botanique), Brigitte Fontaine (le 10/10 au 140), Alaclair Ensemble (le 11/10 au VK), Sasha Toorop (le 12/10 au 140), Sharko pour un concert unique en français (le 12/10 au CC Bruegel), les lauréats du Parcours Francofaune doublé de deux têtes d’affiches québécoises (le 13/10 à la Maison de la création), Jérôme Mardaga et Chance (le 13/10 au CC Bruegel), Baloji et Hippocampe Fou (le 14/10 au Botanique)… Infos et tickets: www.francofaune.be

Bonus: le « qui qu’y vient d’où », une playlist reprenant les groupes de (presque) tous les participants à cette 13e édition des Secrètes sessions:

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