Sampha, l’ami des stars, sort son second album

“La notion de famille a une connotation particulière quand vous êtes un fils d’immigrés.” © jesse crankston
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Il a collaboré avec le gratin mondial de la pop, mais reste toujours aussi peu attiré par les feux de gloire. Après six ans d’absence, Sampha revient avec Lahai, deuxième album sublimé par une voix soul toujours aussi émouvante.

“Le temps n’existe pas.” C’est du moins ce qu’affirme, en français dans le texte, la voix féminine sur Time Piece. Facile à dire. L’interlude arrive au dernier tiers du nouvel album de Sampha. Intitulé Lahai, il déboule pas moins de six (!) ans après Process. Même si le temps est en effet un concept relatif, ça fait longtemps…

A fortiori dans une industrie musicale qui a tendance à courir en permanence derrière la nouveauté. Rencontré dans un hôtel du centre de Bruxelles, l’intéressé reconnaît: “C’est vrai que le milieu musical a un fonctionnement très frénétique. Il y a toujours quelque chose à faire, tourner des clips, s’occuper des réseaux sociaux, etc. À ce niveau-là, je me sens parfois comme un papy (rires). Et si, d’aventure, les chiffres sont un peu moins bons, vous aurez vite tendance à dévaluer ce que vous avez fait. Alors que, souvent, c’est normal. Les gens sont hypersollicités, ils n’écoutent pas que vous…” C’est sûr, l’arrogance n’étouffe toujours pas Sampha.

Sampha papa

C’était déjà le cas lors d’une première rencontre, pour la sortie de Process, en 2017. Géant placide, reconnaissable par ses courtes dreads à la Basquiat, Sampha Sisay avait alors presque l’air surpris d’être là. Humble, et pas spécialement pressé de devenir une mégastar. Peut-être parce qu’il les avait fréquentées de près? Avant de publier son premier album, le timbre soul granuleux de Sampha avait en effet déjà réussi à se faire une jolie place dans le gratin de la pop music mondiale -de Drake à Kanye West, en passant par Frank Ocean, Beyoncé et sa sœur Solange.

Après la sortie de Process, il a continué à multiplier les collaborations: Stormzy, serpentwhithfeet, Travis Scott, etc. Sans oublier évidemment le king Kendrick Lamar. Sur Mr. Morale & The Big Steppers, chef-d’œuvre paru l’an dernier, Sampha accompagnait l’Américain sur le titre Father Time. En anglais, le terme personnifie le temps qui passe, comme une sorte d’équivalent du dieu Chronos. Mais il désigne aussi le “temps du père”. Celui qu’est devenu récemment Sampha.

La fille de Sampha est née au printemps 2020. En pleine pandémie. “Ça fait beaucoup de bouleversements en un coup. Il a fallu ralentir un peu les choses pour pouvoir digérer tous ces changements.” Précisément, la période du confinement l’a-t-elle stimulé ou, comme beaucoup d’autres, a-t-il été comme sidéré par le moment? “Un ami me disait, en rigolant: “Quand tout le monde stressait à l’idée de rester enfermé seul chez soi, les producteurs du monde entier répondaient en chœur: attendez, prenez ma bière, je vais vous montrer comment faire(rires) C’est vrai que s’isoler dans un espace clos ne m’effraie pas spécialement. J’aurais pu sans problème continuer à faire de la musique. Mais ma fille est arrivée. J’ai pu m’occuper d’elle, être un parent impliqué, créer un vrai lien.

Out of time

Cette paternité ne va pas seulement l’inciter à mettre la musique entre parenthèses. Elle va aussi le pousser dans une autre direction. En 2017, Process était marqué par la disparition de sa mère, décédée du cancer (comme son père) deux ans plus tôt, âgée de 67 ans à peine. Ce qui a pu plonger ce premier album dans une certaine mélancolie. Six ans plus tard, ce vague à l’âme est toujours là. Mais la soul électronique de Sampha a pris peut-être des couleurs plus lumineuses.

Sur Can’t Go Back, il chante notamment: “Lords knows my daughter / She’s heaven sent”.L’arrivée d’un enfant vous fait forcément voir les choses autrement. Et pas seulement parce que vous ne pouvez plus vous lever à l’heure que vous voulez le matin (rires). Chaque jour est tellement différent du précédent. Même en restant à la maison, tout devient imprévisible. C’est assez perturbant. Et puis, auparavant, je réfléchissais volontiers à ma propre fin, au temps qui me restait. Aujourd’hui, ma perspective n’est plus la même. Et ma plus grande joie dans la vie est de la voir grandir, de la guider dans la vie.

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Le temps a également changé d’“épaisseur”. À ce sujet, Sampha explique avoir regardé, fasciné, les documentaires de l’astrophysicien Brian Cox, ainsi que le film culte de Kodwo Eshun, More Brillant than the Sun, consacré au courant afrofuturiste. “Le temps est un concept fascinant. Il est à la fois le même pour tout le monde, et lié à un contexte. Chacun le vit différemment. Chaque époque le vit différemment. Il y a cent ans, il n’avait pas la même consistance qu’aujourd’hui. Et puis, il donne une qualité aux choses. Parce qu’il est directement lié à la vie. C’est la vie qui donne “naissance” au temps. Et c’est le temps qui, à son tour, la façonne. C’est pour ça que je chante au début du disque, “life issue, time issue”…

Vol libre

Précisément, Sampha Sisay est né en 1988, à Londres. Il est le cadet d’une fratrie de cinq garçons, fils de parents immigrés sierra-léonais. Lahai est le titre de son nouvel album, mais aussi son second prénom, et le nom de son grand-père. Comme une manière d’insister sur une filiation que l’arrivée de sa fille a rendue plus prégnante. Que met-il, par exemple, derrière le concept de “famille”? “C’est peut-être juste un autre mot pour connexion. Si vous voulez élargir, ça va de la “soupe primordiale” à l’origine de la vie sur Terre à la relation que vous pouvez établir à un moment avec un animal ou même un arbre… Après, pour être plus personnel, c’est certain que la notion de famille a une connotation particulière quand vous êtes un fils d’immigrés…

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C’est le lot des déracinés de chérir un héritage. Tout en s’adaptant à la nouvelle réalité. L’un des morceaux de Lahai fait ainsi référence à Jonathan Livingstone le goéland, célèbre fable américaine parue au début des années 70, et dans laquelle l’oiseau doit quitter le groupe pour accomplir sa quête d’absolu. Comme il a dû lui-même le faire? “C’est surtout un livre que me lisait mon frère quand j’étais petit. Après, avec l’âge et le recul, je peux saisir toutes ses interprétations. Il faut en effet pouvoir s’émanciper. Quitte parfois à blesser. Je n’élève pas mon enfant comme on m’a élevé. Je suis dans une recherche spirituelle, là où mes parents étaient très croyants. Mais il y aussi des choses dans votre héritage familial à chérir. C’est une tension entre les deux.

© National

Sampha, Lahai ****, distribué par Young.

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