Roméo Elvis et Oscar and the Wolf sortent l’EP Jardin et enquillent trois concerts complets à l’Ancienne Belgique. Explication sur une collaboration nord-sud à succès.
Roméo Elvis et Oscar and the Wolf? Même sur une scène musicale où les barrières entre les genres sont de plus en plus poreuses, on ne l’avait pas vu venir. D’un côté, le rappeur flambeur francophone, tête de gondole de la hype belge des années 2010; de l’autre, Max Colombie de son vrai nom, pop star flamande torturée aux shows toujours spectaculaires. Un an à peine d’écart (1992 pour le premier, 1991 pour le second), mais deux parcours différents. L’association belgo-belge entre les deux fut inaugurée officiellement le… 21 juillet dernier, jour de fête nationale. Le binôme en profitait alors pour proposer un premier single, Ceiling. Il confirme aujourd’hui avec un EP de huit titres, intitulé Jardin. Le projet est même prolongé sur scène, avec pas moins de trois (!) concerts sold out, enchaînés à la suite à l’Ancienne Belgique, à Bruxelles, ces 14, 15 et 16 décembre. Pas mal pour ce qui aurait pu passer pour une simple récréation. Rencontré dans un salon d’un grand hôtel bruxellois, le duo se prête même volontiers à l’exercice promo, manifestement ravi de son coup.
Rien n’avait été pourtant prémédité. Même si Roméo Elvis réfléchissait depuis un moment à prendre ses distances avec la sphère rap stricto sensu. Quand on le rencontrait pour la sortie de l’EP Echo, il y a un peu plus d’un an, il expliquait déjà vouloir collaborer avec des artistes plus pop ou rock, comme le Québecois Hubert Lenoir. «Finalement, c’est Max», sourit-il.
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Mais encore? «J’avais sorti deux EP, Echo et Galerie, où je m’étais fait « plaisir », en ne me prenant pas trop la tête. Mais pour l’album, j’avais le besoin de créer quelque chose d’un peu différent. J’avais envie d’un projet plus grand. Je crois aussi que, globalement, aujourd’hui, le rap m’ennuie un peu. Le genre s’essouffle. Cela fait un moment que je réfléchis à une transition vers une musique un peu plus électronique.» Même si Roméo Elvis a toujours aimé frayer au-delà des codes rap. «Personnellement, j’ai jamais considéré Roméo comme un rappeur stricto sensu, enchaîne Oscar and the Wolf. C’est un artiste qui peut aussi chanter, jouer de la guitare…»
Roméo & Max
La première fois qu’ils se croisent, c’est lors de la cérémonie de feu des Elektropedia awards, en 2016. «A l’époque, je ne savais pas du tout qui c’était, rembobine Max Colombie. Mais on était nominés tous les deux plus ou moins dans les mêmes catégories. Il avait tout raflé! Par la suite, j’ai écouté Chocolat et j’ai mieux compris. Et puis, récemment, je suis tombé sur la vidéo d’Orangé, et elle m’a tellement touché que j’en ai presque pleuré.»
Il y a un peu plus d’un an, les deux finissent par se rencontrer. «Sans jamais imaginer faire un projet en commun, juste pour échanger», sourit Roméo Elvis. Tout de même: le duo accouche rapidement de deux premiers morceaux: Bon sens et Closer. Quelques mois plus tard, Oscar and the Wolf rend visite à Roméo Elvis, alors en pleine session d’enregistrement aux studios ICP, à Bruxelles. A nouveau, le courant passe. «C’est vraiment là qu’on s’est dit qu’il y avait peut-être matière à imaginer un vrai projet ensemble.»
Sur Jardin, Roméo Elvis se retrouve donc à rapper sur des beats dance appuyés –comme sur Fading into You, extrapolant l’hymne house Show Me Love de Robyn S. Bizarre? «En réalité, j’ai toujours écouté des musiques électroniques, assure Roméo Elvis. Après tout, j’ai commencé avec Le Motel, qui faisait déjà une musique très niche, d’une certaine manière, mais malgré tout orientée vers le club. Et puis, avant d’intégrer la culture rap, je passais souvent mes soirées dans un endroit comme le Fuse, par exemple. Je sortais à Gand, Anvers, etc. A l’époque, celui qui deviendrait plus tard mon manager me filait aussi du cash pour m’occuper des vestiaires des soirées électro qu’il organisait…» A l’inverse, quel rapport Oscar and the Wolf entretient-il avec le rap? «Quelqu’un comme Future a pu m’inspirer. En général, j’aime bien ce que certains appellent parfois du « pussy rap » (rires), un rap qui n’a pas peur de mettre ses émotions à nu.»
Combo gagnant
Roméo et Oscar se retrouvent donc à mi-chemin, le temps d’un pas de côté «sans chichi», où chacun apporte de nouveaux contrastes à l’autre. Et tant pis pour les esprits «ligotés» ou enfermés dans leurs bulles algorithmiques –«Elvis, tu fais un EP avec une folle», grince le rappeur dans M’en Ballec, semblant lire un commentaire Internet. «On sait ce que notre collaboration peut susciter comme réactions chez certains», glisse Roméo. De voir un hétéro chanter avec un gay, un francophone avec un néerlandophone, un rappeur avec un chanteur pop? «Oui, à tout ça. Ce morceau est un peu une réponse: en gros, on s’en fout.»
Dans leur Jardin, Roméo Elvis et Oscar and the Wolf ont ainsi cultivé une dizaine de chansons à danser, mélangeant l’énergie du premier et les humeurs plus sombres du second. Au passage, qu’ont-ils appris l’un de l’autre? Oscar and the Wolf: «J’y pensais justement tout à l’heure. J’ai parfois tendance à être stressé pour l’avenir, à me poser mille questions. Alors que Roméo verra souvent les choses de manière plus positives, à se dire: « Ça va aller, ça va être chouette ».» Et son comparse? «C’est marrant parce que pour moi, c’est un peu l’inverse. J’ai longtemps eu l’impression que tout ce que j’avais construit jusqu’ici était arrivé assez naturellement, presque par la force des choses. Le fait de collaborer avec Oscar m’a rappelé que cela demandait quand même aussi beaucoup de boulot. Qu’en bossant même un peu plus, non seulement la musique, mais aussi tout ce qui tourne autour (l’image, les photos, etc.), il y a moyen de pousser les choses plus loin. Donc, entre ma tendance à ne pas vouloir trop surréfléchir et ses envies de pousser plus loin, c’était très enrichissant.» Ce qu’on appelle un échange de bons procédés.