Rock Werchter, jour 3: ceci n’est pas un festival
Le second degré est-il soluble dans une machine aussi énorme que Rock Werchter ? Réponses notamment avec Imagine Dragons, Leon Bridges, Charlotte Adigéry & Bolis Pupul.
Rock Werchter est un mastodonte. Un gros paquebot rutilant, impressionnant de précision et d’efficacité. Certes, à la fin, tout le monde pose ses fesses sur la même herbe et rougit sous le même cagnard. Et oui, malgré le luxe des chapiteaux, cela n’empêche pas de finir souvent compressé, le nez pris dans la fumée de cigarette du voisin. Mais tout autour, la machinerie RW n’en reste pas moins imposante. Aux artistes de ne pas se laisser engloutir par elle. A fortiori quand il s’agit d’occuper la main stage.
En l’occurrence, ce n’est pas le genre de choses qui fait vraiment peur à Imagine Dragons, tête d’affiche de la journée de samedi. Dès les premières minutes, les tubes s’enchaînent, sur fond de feu d’artifice et de lâcher de confettis. Sur la plaine, la guitare de Wayne Sermon fend l’air comme un Boeing au décollage, et même l’horrible scie Believer prend des allures triomphales. Pour autant, cela ne permet pas de percer ce qui reste pour nous un mystère : comment le groupe américain est-il devenu l’un des plus gros blockbusters rock actuels ? A vrai dire, hormis Coldplay (dont ils sont un peu une version des années 2010), on connaît peu de groupes à la fois autant détesté et adoré. Vendredi dernier, la bande à Dan Reynolds (le chanteur, élevé dans la foi mormone) sortait la seconde partie de Mercury, double album produit par ni plus ni moins que Rick Rubin, le producteur maximo. De quoi couvrir Imagine Dragons d’un nouveau vernis de crédibilité ? Ou au moins permettre de jeter une nouvelle oreille au groupe ? A voir. Parce qu’en vrai, on est loin d’être aussi cool et chill que Rick – « je fais de la méditation transcendentale » – Rubin, et, à nos oreilles, la musique des Américains donne toujours l’impression d’accumuler de poncifs pop/rock.
Dans un autre genre, on pourrait dire la même chose d’un groupe comme Mâneskin, programmé en milieu d’après-midi. Mais avec l’ironie et la déconnade en plus. Paraît que le premier gagnant de l’Eurovision à se produire à Werchter, a fait forte impression sur la plaine brabançonne. On est arrivé trop tard que pour pouvoir confirmer. Mais on n’est pas vraiment étonné que le post-glam des showmen italiens ait fait son petit effet. Pareil pour Yungblud, le « Johnny Rotten de la génération Z », qui, toujours sur la main stage, a rejoué la mythologie punk-rock, embrassant tous ses attributs avec goinfrerie et, il faut le dire, une bonne dose d’humour British.
Jouer des clichés ou s’en déjouer, telle est la question. Avec le concert de Charlotte Adigéry & Bolis Pupul, appelés en dernière minute pour remplacer Clairo dans le Klub C, elle est vite répondue. On a déjà écrit par ailleurs tout le bien qu’on pense de l’album des Gantois. Topical Dancer passe précisément son temps à dégoupiller stéréotypes et lieux communs. Le tout sur une électropop à la fois grinçante et joyeuse, qui, en concert, déploie tout son potentiel dansant, festif et absurde (HAHA). Faut les voir, elle en combinaison et cape noires façon catwoman, arpentant la scène, hésitant entre le rire et les pleurs (HAHA) ; lui en smoking blanc et chemise bariolée quittant un moment ses machines pour balance une ligne de basse funky particulièrement moite. Par exemple sur Ceci n’est pas un cliché, dont le texte est constitué précisément de clichés. Même principe pour Thank You qui termine le concert, sans que l’on sache vraiment ce qui est sincère ou joué dans la déclaration (au point qu’en quittant la scène, Charlotte Adigéry doit le préciser : vraiment, merci !). Dans une machinerie aussi bien huilée que Rock Werchter, et au milieu d’une programmation balisée, le décalage pop a fait un bien fou.
Juste après, c’était Leon Bridges qui oeuvrait au KlubC. Comme le rock ou la pop, la soul music est pareillement remplie de codes. Pour les appliquer sans trop bégayer, l’Américain essaie de la jouer tout en nuances. Fute et veste en jeans rivetés, toque en pilou à la Jamiroquai, le chanteur de Fort Worth croone sans forcer, porté par son groupe, façon revue soul. L’an dernier, son album Gold-Diggers Sound avait pour ambition de se détacher encore un peu plus de l’étiquette rétro qui lui colle à la peau. Sur scène, cela donne par exemple une version emballante de Sweeter. Mais c’est surtout le projet mené avec Khruangbin (présents, eux, jeudi sur la plaine de Werchter) qui a permis d’élargir la fenêtre de tir de Bridges : après une version épatante de C-Side, c’est encore le morceau Texas Sun qui performe à l’applaudimètre. Sans jamais pourtant réussir à faire totalement chavirer. C’est que, un peu comme sur ses disques, Leon Bridges maintient une sorte de distance. Cela joue, il n’y a pas à dire. Mais derrière ses lunettes noires, le soul man reste trop timoré.
Entre la r’n’b texan et sa version britannique, il y a un océan et cela change tout. Jorja Smith n’a que 25 ans et toujours qu’un seul vrai album à son compteur (Lost & Found, sorti il y a maintenant déjà 4 ans !). Mais l’Anglaise occupe la scène avec une assurance et une prestance qui permet de booster des morceaux parfois trop policés sur disque. Dès Teenage Fantasy, en ouverture, la jeune femme déploie sa classe naturelle, avec assurance, mais sans jamais crâner. Aux ballades pop-soul viennent se glisser des couleurs afrobeat (Be Honest), des inflexions caribéennes (Bussdown), ou même un groove UK garage quand elle ressort un ancien On My Mind, pour terminer son concert. London state of mind…
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