Rencontre avec Plastic Bertrand qui revient avec un concept-album « L’Expérience humaine »
En pause forcée des tournées à gros succès à la Stars 80, Plastic Bertrand sort L’Expérience humaine où les synthés de l’ex-Telex Dan Lacksman cajolent les parfums électro-vintage. Rencontre.
On ne sait jamais ce que les musiciens deviendront, surtout ceux qui, a priori, ne semblent pas forcément avoir l’équipement pour tutoyer la gloire . On se le dit un soir de février 1977 au Rockin’ Club, étroit espace nocturne, un temps ouvert dans l’enceinte même de Forest National. S’y produisent les Bruxellois d’Hubble Bubble. Difficile de ne pas remarquer au sein du groupe un rien opportuniste (pas de vrais punks), à la batterie agitée, un blond filiforme prêchant la punktitude à coups de grosse caisse boulimique. Roger Jouret, c’est son patronyme, fera une courte carrière chez Hubble Bubble, mais en tient toujours une beaucoup plus longue sous le pseudo de Plastic Bertrand. Avec – faut-il vraiment le rappeler? – Ca plane pour moi, aux huit millions d’exemplaires vendus, toujours sujet de controverse sur l’identité finale de l’interprète original. Le producteur-compositeur de la chanson, Lou Deprijck, a toujours revendiqué la paternité du chant, ce qui est contesté par Plastic Bertrand.
Je suis comme dans une toile de Pollock qui, au bout de quarante ans, finit par donner du sens à ce que j’ai fait.
Quarante-trois ans après la sortie du smash hit qui le rend internationalement célèbre, Plastic poursuit donc un trajet peu orthodoxe. Quatre décennies mélangées, up and down, où le proto-punk zappe largement: albums perso d’intérêt variable, tubes et flops, productions et associations musicales multiples, tournées souvenirs genre Age tendre et tête de bois, téléréalité via La Ferme des célébrités, BO de films et, même, gestion d’une galerie d’art en compagnie de Pierrette Broodthaers, amie proche et progéniture du fameux Marcel du même nom. Avec laquelle, il crée également une société qui signe entre autres, un album de musique traditionnelle des Balkans et un single de l’entarteur Noël Godin. Le tout avec la chanson-signature qui plane encore, reprise des dizaines de fois au fil du temps, y compris en bande son de films plus ou moins prestigieux, dont Le Loup de Wall Street de Martin Scorsese.
L’itinéraire plastifié est fractionné, incertain, souvent brouillé entre désir de séduction du plus grand nombre et velléités artistiques autres, hors les schémas ultracommerciaux. Entre sensations cheap et désir de déborder les frontières de genres, Plastic reste grand admirateur de Bowie dont il reprend d’ailleurs le titre Jean Genie sur la très longue tournée Stars 80, carton public actuellement interrompu pour cause de corona. Et puis, voilà qu’en cet automne déboule une nouvelle actualité discographique avec L’Expérience humaine (1), collection de titres sous influence électro-pop plutôt vintage. Avec Alec Mansion en directeur artistique et Dan Lacksman en manitou des synthés. Ce dernier a fait partie de Telex, trio fondé avec Marc Moulin et Michel Moers, en 1978: au départ, un canular déguisé, devenu groupe à succès, ayant d’ailleurs repris dans son répertoire, Ça plane pour moi en version slow motion .
Rayon Plastic, il s’agit d’un premier album depuis 2009 et une série de disques qui, commercialement parlant, n’ont pas fonctionné. C’est Pias qui distribue l’affaire et c’est donc dans les locaux de la compagnie bruxelloise – l’ancien bâtiment du journal Le Peuple – qu’apparaît le sujet du jour. Mince, le cheveu modérément en bataille, affable et tonique: déjà pas si mal pour un sexagénaire – il est né en 1954 – qui paraît au moins une décennie de moins. Y compris en ce début octobre où la Covid est repartie à l’offensive. Comme Roger Jouret d’ailleurs. Profilé dans une pochette, dessinée par le fiston, où le Bruxellois apparaît en humanoïde plastifié…
Plastic ou Roger?
Tout le monde m’appelle Plastic, vraiment. Quant on m’appelle Roger, j’ai l’impression que c’est un flic ou quelqu’un des impôts (rires). Ma fille Joy m’appelle papa. Ma femme, chéri. Mes parents, eux, ne sont plus là…
Quelles sont vos racines?
Je suis le dernier de quatre enfants. Père français militaire et mère juive ukrainienne, petite-fille de paysans. Qui se sont croisés dans un camp de travail en Allemagne puis se sont retrouvés en Belgique, un peu par hasard, cela aurait pu être Amsterdam ou ailleurs à l’ouest. Alors qu’après la guerre, on renvoyait volontiers chez elles les femmes ukrainiennes. Mes parents se sont cachés: il s’agissait de ne pas faire de vagues… donc je crois que j’ai voulu, moi, en faire plein (sourire). Parce que je ne supporte pas tous ces racismes.
Comment s’est constitué le casting de L’Expérience humaine?
Je voulais de vraies chansons, des mélodies, et je voulais un Belge. Et là, j’ai pensé à quelqu’un que beaucoup ne considèrent pas comme un mélodiste mais comme un amuseur public – je connais le problème… – et c’est Alec Mansion. Une pointure. Comme mon fantasme suprême était d’être le quatrième Telex, je voulais absolument que Dan Lacksman arrange les chansons et soit impliqué avec nous. Tous les trois, on partage le même éclectisme.
Des sons vintage qui rappellent les années 1980! Le morceau d’ouverture puise totalement dans cette texture-là…
Oui, c’était une demande spécifique que j’ai adressée à Dan: je ne veux pas de sons d’aujourd’hui, mais bien de ceux qu’il savait faire alors. Ces sons jamais donnés à personne, qu’il me les donne à moi! Dans son studio bruxellois, où il dispose d’un ahurissant équipement de synthés, notamment modulaires, analogiques, il va traiter les chansons commencées par Alec et moi dans le bus de tournée de Stars 80. Pendant que les autres regardaient les vaches défiler, on a écrit tout l’album comme cela, en casques intimes et puis le soir, dans les hôtels, j’y ai mis les voix. J’ai tourné avec Stars 80 de 2015 à fin décembre 2019.
Comment s’est passée cette tournée revival, à répétition, rassemblant des gens aussi différents que vous, Benny B, Léopold Nord et Vous avec Alec Mansion, Lio ou encore Patrick Hernandez?
J’ai chanté Ça plane… mais aussi le Jean Genie de Bowie. Avec la flèche dessinée sur le visage, la combinaison en dessous de laquelle je suis à poil, et puis le maquillage. Pas une imitation, mais un hommage, avec un thème de chanson bien trash par rapport au public Stars 80… La prochaine fois, je ferai un titre de Depeche Mode, Just Can’t Get Enough.
Je ne cherche pas à être crédible, parce que je trouve cela d’un ennui profond, je cherche à rester léger.
N’y a-t-il pas un côté cheap àrecycler indéfiment les années vintage? Le risque n’est-il pas que cela pirate le nouvel album rétro-futuriste?
Toute ma vie, c’est çà! Je suis comme dans une toile de Pollock qui, au bout de quarante ans, finit par donner du sens à ce que j’ai fait. Je commence à me comprendre maintenant, en voyant l’ensemble de ma carrière.
L’allusion de Plastic Bertrand à Jackson Pollock n’est pas d’une totale évidence!
Si les gens savaient que j’ai eu une galerie d’art… Je ne cherche pas à être crédible, parce que je trouve cela d’un ennui profond , je cherche à rester léger. Quand nous nous sommes rencontrés chez Pierrette (NDLR: Broodthaers, pour un article paru dans Focus Vif, en novembre 2019, sur Plastic et l’art contemporain), l’intention était aussi que l’on arrête de faire de moi un stéréotype! Le rock, la pop? Faut être un peu bêtasse comme Presley ou les punks ou Trénet. C’est cela ma vie, rester léger.
En 1977, dans un reportage de la RTBF sur le punk, incluant Hubble Bubble, vous dites avoir 16 ans alors que, non, vous en avez 22-23… Pourquoi ce mensonge?
Mais j’adore! J’ai capté très vite les codes du showbiz et cela m’amusait d’avoir un nom qui n’était pas le mien, de mentir sur mon âge, d’inventer un personnage. Ce n’est pas de la coquetterie mais le plaisir de jouer des codes.
Peu de gens savent que vous avez fait le Conservatoire…
Oui, en percussions, pendant deux ans et demi. En histoire de la musique et percussions classiques aussi. Je quitte en troisième année, parce que l’album d’Hubble Bubble arrive, après avoir eu le plaisir de travailler avec Georges Octors Jr (1923 – 2020). Il m’a fait travailler avec Les Percussions de Strasbourg (NDLR: un ensemble de musique contemporaine fondé en 1962). Auparavant, à l’académie d’Etterbeek, j’avais eu ma première expérience live à 8 ou 9 ans, me retrouvant aux percussions d’une soirée oberbayern dans la banlieue flamande de Bruxelles avec des types aux culottes de cuir. Ma première bière, ma première cuite.
Quel est le lien entre cette éducation et votre production musicale actuelle?
Je ne sais plus vraiment jouer de la batterie mais ce qu’il me reste, c’est la possibilité de construire une mélodie, de comprendre le champ/contre-champ. Je sais comment un opéra, un concert est construit. Ce qui m’intéressait, c’était Pierre Henry, Stockhausen, Bela Bartok, la dodécaphonie. Et mon nouvel album est la suite de tout cela.
L’Expérience humaine commence comme un hommage à Telex. Puis les humeurs changent. Quel est le lien entre ces morceaux disparates, les ballades comme My Days, la quasi-techno, le lounge de 51…
Non, 51 n’est pas du lounge (deux secondes agacé) et j’y ai invité la voix magnifique de Charlotte dont je ne savais pas qu’elle était la fille d’Alec Mansion. Finalement, c’est presque un concept-album: je parle de rupture, d’un autre monde, de la naissance et de la mort comme Kubrick (sic). Oui, de façon presque politique. Il y a un côté optimiste, notamment sur le morceau où j’ai invité Leee John, le chanteur du groupe anglais Imagination. J’ai refusé d’être enfermé dans un genre et là, je dis aux gens « continuez à vous battre, continuez à apprendre ». Je parle de rupture, d’un autre monde. Je crois en l’homme.
L’album est disponible en français mais aussi en anglais, pourquoi?
Il sort en physique uniquement en français, l’autre version, anglaise, uniquement en digital. J’ai gardé des liens à l’international pour lequel je fais, de temps à autre, des concerts. Cet album rassemble tout mon panthéon, des clins d’oeil à Bowie, Daft Punk, la disco, les Bee Gees. Autant ce disque peut paraître martien, autant il est proche de moi. Ce serait formidable de monter au moins un show où Dan apparaît sur scène avec ses synthés et son cigare.
CD L’Expérience humaine chez Pias.
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