Raz-de-marée belge à l’Eurosonic

Roméo Elvis © Siese Veenstra
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Comment décrocher son ticket pour le festival de professionnels Eurosonic et y tirer son épingle du jeu? Plongée dans cette grande foire européenne de la musique toujours victime consentante du belgian boom.

Vingt-sept artistes à l’affiche. Même le moteur de recherche du festival y a perdu la tête. Derrière l’hégémonique Royaume-Uni et la Hollande organisatrice, la Belgique était le pays le plus représenté lors du dernier Eurosonic. Soit le grand rassemblement, à Groningen, dans le nord des Pays-Bas, de l’industrie musicale européenne. 352 concerts au total, 42 nationalités représentées… Faites vos comptes. Notre petit et plat pays a roulé bien au-dessus de la moyenne. À titre de comparaison, le Danemark, cette année mis à l’honneur, ne comptait que 22 groupes programmés. Raz-de-marée? « Chaque festival a son mode d’organisation et de sélection, explique Julien Fournier de Wallonie-Bruxelles Musique, agence d’exportation de la musique belge. Nous, nous sommes membres de l’ETEP, l’European Talent Exchange Programme, au même titre que Dour, les Nuits du Bota et les Ardentes. Via ce canal, on a quatre places. On se concerte, on suggère. Et on parle avec le programmateur Robert Meijerink. Il n’a pas d’obligation. Il peut prendre autre chose. Il vient avec la liste d’inscrits. On discute, il questionne. »

Konoba, Blanche, Roméo Elvis, sa soeur Angèle, Témé Tan, Monolithe Noir, The K., Echo Collective, Lomboy, Pale Grey… Au total, onze groupes de la Fédération Wallonie-Bruxelles ont été de l’expédition dans le grand nord néerlandais. « Pour bénéficier d’un focus sur ton pays, c’est une question de tournante, poursuit Julien. De tournante et de budget. Ça coûte pas mal d’argent. Après, il faut faire bouger les choses, donner de la visibilité. Le fait qu’on ait autant de représentants cette année? C’est grâce à la qualité de la musique, à l’état de développement des projets, aux contacts, aux recommandations du secteur. Beaucoup de facteurs entrent en ligne de compte. » Sans doute aussi d’ailleurs le lien assez fort qu’on entretient avec nos voisins. Les Pays-Bas étant un des premiers marchés d’export pour les groupes belges…

Si seules les radios partenaires de l’EBU (l’European Broadcasting Union) ont un pouvoir décisionnel en matière de programmation (Pure FM a cette année envoyé Loïc Nottet…), beaucoup d’acteurs tentent de placer leurs poulains dans le festival néerlandais. Ineke Daans est live strategy manager chez Pias. « Il n’y a pas dans toutes les maisons de disques quelqu’un comme moi qui ne fait que travailler sur le concert, explique-t-elle. Mais chez Pias, pour Kenny Gates, c’était important. Et dans cette optique, les showcases festivals jouent des rôles déterminants. Je suis donc amenée à parler avec les responsables de ces événements pour pousser nos artistes, nos nouveautés. On bosse avec des labels assez actifs comme Bella Union. Ils font bien leur boulot. Ils sont sur le dos des entourages, rappellent les deadlines pour les inscriptions à un Eurosonic et à un Reeperbahn. L’année dernière, j’ai poussé pour Témé Tan parce que c’était le moment. J’avais déjà fait la même chose avec Melanie De Biasio, Soap & Skin et Agnes Obel… »

Ineke Daans rencontre chaque année Robert, le fameux programmateur, à Hambourg durant Reeperbahn, pour défendre ses groupes et parler de l’état d’avancement des projets. « Ce qu’Eurosonic veut savoir, c’est pourquoi tu penses que ton artiste va être quelqu’un en Europe dans les douze mois qui arrivent. Il faut expliquer ce que tu as mis en place, tes plans. Ça ne veut pas dire que tu dois être déjà arrivé quelque part. Il ne veut pas une feuille avec tes chiffres en Angleterre. Il veut savoir pourquoi un groupe est inscrit, quel est l’objectif en Europe, s’il y a une sortie de prévue, un bon soutien dans les territoires… Quand tu n’as pas de label, pas d’agent, c’est forcément plus compliqué. Et si on pousse maintenant, il faut que ça suive après… »

Une fois programmé à Eurosonic, encore faut-il pouvoir en profiter. D'abord en jouant à une heure et dans une salle avantageuses.
Une fois programmé à Eurosonic, encore faut-il pouvoir en profiter. D’abord en jouant à une heure et dans une salle avantageuses.© JORN BAARS

En 2017, Pias avait 30 concerts à Eurosonic. Cette année, beaucoup moins. « Ça dépend aussi de ce qu’ont signé les labels. Bella Union, Transgressive… Est-ce que c’est pour l’Europe ou au contraire très UK? C’est également lié à la direction artistique. »

Trouver sa place

Les programmateurs de 420 festivals internationaux, 479 médias et journalistes: le festival est une formidable vitrine. Mais une fois programmé à Eurosonic, encore faut-il pouvoir en profiter. D’abord en jouant à une heure et dans une salle avantageuses. « On n’a pas beaucoup d’influence là-dessus, reprend Ineke. Ce sont souvent des évidences. Je ne veux pas de Melanie De Biasio ou de Soap & Skin dans le club rock’n’roll du festival. Ça doit être dans le théâtre ou l’église. Mais là-dessus, on parle la même langue. On a d’ailleurs les mêmes intérêts: que le concert marche. »

« Où? Quand? C’est le boulot du management, commente Julien Fournier. Ça se discute comme dans n’importe quel festival. Mais le mec doit gérer 300 concerts en trois jours. Disons que certaines structures ont plus de poids que d’autres. Elles peuvent souhaiter lourdement jouer à un certain endroit ou à une certaine heure. »

Managing partner, Christian Holl Buhl, grand Danois costaud et posé, est présent à Groningen avec Factory 92, une boîte de consulting, communication, marketing à destination de l’industrie musicale… Son rôle? Soutenir des projets qui sont assez matures pour se développer à l’international . « Tous les groupes ne peuvent pas s’exporter et le talent n’est pas suffisant. Même si c’est super bon, super original, si tu n’as pas un bon encadrement sur le marché où tu veux te développer, tu ne vas probablement pas y arriver. Est-ce que tu as une bonne représentation pour le live? Est-ce que tu as une équipe qui fait de la com, qui investit sur le marketing, la promotion, spécialement sur les grands marchés comme l’Angleterre ou l’Allemagne? Tu es un newcomer et en face de toi, il y a un grand processus de marketing, de promo, de tournée, de sortie de disque. Il y a beaucoup de groupes aujourd’hui mais peu sont énormes. La façon qu’ont les jeunes de consommer la musique devient un enjeu de style. « Moi, je suis hip-hop, moi je suis rock, moi je suis metal. » Sur les sites de streaming, ils suivent des playlists cohérentes avec leurs affinités. Pas nécessairement des artistes particuliers. C’est un autre enjeu pour le développement de talents. Comment faire pour trouver quand même une place sur le marché avec un potentiel qui permet de gagner sa vie et de se développer. »

Christian Holl Buhl ne vend pas du rêve. Beaucoup de groupes jouent à Eurosonic sans que ça débouche sur quoi que ce soit. « Parfois parce qu’il n’y a personne pour les pousser. Le festival accueille 300 groupes au total et tu peux en voir combien? Dix par jour? Beaucoup n’en voient que sept ou huit parce qu’ils ont plein de réunions. En gros, tu vas voir 10 % de l’affiche si tu es vraiment motivé. Il faut donc dégager des petites fenêtres pour attirer l’attention. Et si tu as une belle équipe européenne, derrière, tu vois des trucs émerger. Tu peux avoir de la chance. Ça reste quelque part une loterie. Si, pour la France, tu te fais repérer par les Trans, tu as droit à un buzz et une dynamique se met en marche. Ça arrive sans soutien. Mais statistiquement, c’est pas super probable. »

« Il y a un tas de raisons pour que ça ne fonctionne pas, reconnaît Julien Fournier. Parfois, il est trop tôt pour le projet. Il y a un travail de fondation de groupe qui n’a pas été fait en amont. Parfois, ce sont des raisons plus pragmatiques. La concurrence de ce qui joue en même temps ou des questions météorologiques. C’est la tempête dehors et tout le monde reste où il est… »

Cette année, Factory 92, qui aide les bureaux d’export sur Eurosonic, a bossé avec la délégation finlandaise. Il n’intervient pas sur les artistes à envoyer mais fait tout ce qui est en son pouvoir pour les aider à se développer. « Il faut essayer de comprendre où on peut placer le groupe au niveau média et business. On est des networkers professionnels. On connaît beaucoup de gens. On est toujours en déplacement. On essaie de bien réfléchir à ce que les artistes cherchent et à comment on peut les aider. Avant Noël, on savait tout, ce dont ils avaient besoin et donc les cibles qu’on devait chasser. S’ils n’ont pas de booker en Angleterre par exemple, on va les mettre en contact avec notre réseau, s’arranger pour que des candidats potentiels viennent les voir sur scène. Faire aussi en sorte qu’ils puissent profiter de toutes les radios présentes, de la presse… La jeune Lxandra a eu plein de retombées médiatiques, notamment en Allemagne. Elle a vraiment tout chopé. Alors qu’un autre projet finlandais n’a quasiment bénéficié d’aucune attention… »

Pale Grey
Pale Grey

Agent anglais festival français, salle turque

Pour les Belges de Pale Grey, l’aventure a a priori été plutôt fructueuse. Les Liégeois ont donné un bon concert devant beaucoup de monde. Des programmateurs de gros festivals, d’éventuels futurs agents. « J’ai toujours travaillé en ciblant ce que je voulais, explique Maxime Lhussier, membre du groupe et du collectif Jaune Orange. À vouloir essayer que tout le monde soit là, tu peux vite dilapider tes efforts. Avec Pale Grey, cette année, outre des dates de concerts, je voulais essayer de trouver un agent anglais. Il y en a beaucoup à Eurosonic et le festival fournit les contacts dans sa database. J’ai envoyé des mails. Certains sont venus. D’autres non mais aiment le projet. Je sais que les Vieilles Charrues et les Eurocks nous ont vus. Une grosse salle à Istanbul a flashé. Il y avait une agence italienne et autrichienne aussi. »

Si les concerts officiels d’Eurosonic ne commencent qu’à 20 heures, beaucoup de choses se disent, se négocient et se jouent en journée, entre les conférences et les drinks… « J’essaie de voir les agents, de clarifier les objectifs, les stratégies, les directions à emprunter dans chaque pays, explique encore Maxime. Tu as besoin de soutien. Plus tu as de gens qui parlent de toi et plus tu as de chance de sortir de la masse… À Eurosonic, la multiplication des appuis est l’un des meilleurs atouts. Et c’est encore mieux quand il est sur le territoire. »

Rock, rap, hip-hop, musiques électroniques, jazz… Peu importe le genre. L’événement touche à tout. « Ce qui est bien, c’est que tu ne dois pas être anglais, termine Ineke. C’est même un désavantage. Parce que c’est de là que vient le plus grand nombre de candidatures. Cette année, c’est un focus Danemark mais on n’a jamais eu autant de Belges. Il faut amener des choses différentes. Chez Pias, on a été meilleurs en Europe quand on a proposé des projets singuliers. C’est pas facile d’être un groupe de rock aujourd’hui. Il y en a tellement… »

Ils sont sortis du lot…

Warmduscher (Royaume-Uni)

Le concert a duré 20 minutes. 20 petites minutes d’une tornade (post-)punk garage venue de la Manche. Composé par des membres de la Fat White Family et de Paranoid London, Warmduscher (« chiffe molle » en allemand) sortira en juin son deuxième album, produit par Dan Carey (Hot Chip, Kate Tempest). Dangereux et imprévisible.

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Cannibale (France)

Signé sur le label parisien Born Bad Records, Cannibale est dans le rock dansant. Un post-funk garage coloré qui fait oublier l’accent très français. Un truc qui en a, qui en veut et qui est capable de te faire remuer du popotin avec des guitares. À tous les amateurs de chair fraîche…

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Robocobra Quartet (Irlande du Nord)

 » Fugazi meets Mingus. » Shellac fait du jazz. Le Robocobra Quartet est originaire de Belfast et a un faible pour le hardcore, la musique contemporaine et la poésie. Improvisations, textes scandés. L’un des trucs les plus singuliers et radicaux aperçus ce week-end.

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Raoul Vignal (France)

C’était la plus belle moustache d’Eurosonic. Son plus beau folk sans doute aussi. Contrebasse, batterie et fingerpicking… Le Lyonnais Raoul Vignal a marqué les esprits. Que ce soit dans une église luthérienne ou un Coffee Company. Pour les fans de Bert Jansch, John Fahey, Nick Drake et Ryley Walker.

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Black Snake Moan (Italie)

La veille, on avait vu Vurro, version espagnole, demi-homme demi-vache d’un one-man band déglingué avec un inhabituel piano. Black Snake Moan est un homme-orchestre italien roux, barbu et velu de 25 ans. Un garçon qui a vendu son âme au diable là où le blues du Delta croise le rock psychédélique. Un beau spécimen.

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Melissa Kassab (Suisse)

Une voix joliment écorchée, une guitare, électrique mais délicate. Chanteuse genevoise d’origine libanaise, Melissa Kassab flirte avec le folk et le blues. La musique d’une globe-trotteuse, auto-stoppeuse quelque part entre Alela Diane et Mirel Wagner.

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Cléa Vincent (France)

C’est pop, c’est frais, faussement naïf et vraiment français. La Parisienne Cléa Vincent joue avec la chanson et la pop synthétique radiophonique pour un savoureux et entraînant mélange. Quand Lio part à la rencontre des Whitest Boy Alive… Candeur et groove.

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