Quel avenir pour Daptone sans Sharon Jones et Charles Bradley?

En moins d'un an, le cancer a emporté les deux derniers monstres de la soul music, Sharon Jones et Charles Bradley. © DR
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Réponse avec l’un des patrons du label new-yorkais, alors que sort l’album posthume de la dernière queen of soul.

Saloperie de crabe. En moins d’un an, le 18 novembre 2016 pour la tornade d’Augusta et le 23 septembre 2017 pour le Screaming Eagle of soul, le cancer a emporté les deux derniers monstres de la soul music. On ne parle pas ici de vieilles gloires dans le formol, qui auraient jusque-là survécu à la route, aux excès et à leur afro-américanité. Non. On parle de deux incroyables performers, respectivement âgés de 60 et 68 ans révélés sur le tard par les esthètes du label Daptone. Sans Charles Bradley et Sharon Jones, la soul du XXIe siècle ne sera plus jamais pareille. Une année, pratiquement jour pour jour, après que la mama s’est envolée rejoindre James Brown et Otis Redding, le formidable label new-yorkais sortait il y a trois semaines un album posthume, Soul of a Woman, immortalisant ses derniers mois en ce cruel et injuste bas monde. « On n’a jamais arrêté d’enregistrer et on savait qu’on essaierait de sortir un nouvel album, retrace le saxophoniste Neal Sugarman, l’un de ses musiciens (les Dap-Kings), cofondateur de la maison de disque vintage. L’atmosphère était incroyable. Parce que même quand Sharon se sentait mal, ce qui lui faisait du bien, c’était de passer du temps avec le groupe. C’était sa vie. Sharon n’avait pas de mari. Sharon n’avait pas d’enfant. Mais on avait cette famille qui lui était très chère. C’est devenu encore plus flagrant dans ses derniers jours. »

Combat contre la maladie et les horloges imprévisibles de la vie, Soul of a Woman a été mis en boîte entre les tournées et les coups de mou. « Ça a été un fameux challenge de le terminer. Pour Sharon, il était parfois évidemment très compliqué de venir en studio. Elle ne se sentait pas bien, elle avait régulièrement besoin de repos. Mais, même lors de ses derniers concerts, elle assurait et chantait mieux qu’elle ne l’imaginait. On jouait encore beaucoup et le sentiment qui s’est dégagé jusqu’au bout, c’était no bullshit. Sharon chantait parce qu’elle adorait ça, et chaque fois comme si c’était la dernière fois. Dans le temps, il y a des trucs qu’elle n’était pas emballée à l’idée d’essayer. Mais à la fin, elle embrassait à 200 % toutes les expériences musicales que nous avions ensemble. Et je pense que ça s’entend. »

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L’album, pas son meilleur mais quand même dans le genre au-dessus de la mêlée, a vu le jour en deux temps. « On a commencé avec des titres orchestrés, différents arrangements de cordes et une certaine luxuriance. Mais on devait donner à Sharon ce qu’elle aimait vraiment. Et elle adorait les trucs plus enlevés. On voulait qu’elle puisse mordre dans ces morceaux. » Elle ne s’en est pas privée. « Elle avait conscience d’enregistrer son dernier album mais on n’a jamais parlé de ça avec elle. On espérait toujours. Du moins, on voulait avancer… Puis ça n’a jamais été très clair jusqu’à ses attaques. Il y a un peu plus d’un an, elle a été emmenée à l’hôpital. Elle souffrait de plus en plus. Le cancer se répandait inexorablement dans différentes parties de son corps. On ne s’est pas dit ouvertement que ce serait le dernier disque, on continuait à faire de la musique. » Une musique qui ne trouvera normalement pas d’écho sur scène… « Les Dap-Kings pourraient partir le défendre en tournée mais c’est trop dur pour nous d’imaginer jouer avec une autre chanteuse. Honnêtement. C’est le genre de situation où rien ne semble être une bonne décision. »

Rock et mambo…

Il n’est pas nécessairement évident pour un petit label artisanal comme Daptone de survivre au décès de sa plus grande star, de sa meilleure vendeuse et de sa figure la plus emblématique. D’autant que ce n’est pas un mais deux coups de massue que les New-Yorkais ont pris sur la tête. « On vivait des moments humainement difficiles et puis le drame s’est abattu sur Charles dans la foulée (mort en septembre 2017, NDLR). C’est assez dingue, ce qui nous est arrivé. Sharon et les Dap-Kings restent de loin ce qui incarne le mieux le label. Et on savait qu’on aurait encore plus d’attention pour cet album qu’on en a d’habitude. On entre maintenant dans une nouvelle phase. »

Et elle s’annonce plutôt excitante. La seule, l’unique House of Soul n’a jamais autant sorti de disques qu’elle va le faire dans les prochains mois. « La plupart des groupes de Daptone reposaient sur des membres des Dap-Kings. Saun & Starr, les Sugarman 3… ça nous a aidés à installer la marque. Maintenant, les gens viennent à nous avec de la très bonne musique. Parfois même influencés par nos disques. On découvre des groupes super avec lesquels on est sur la même longueur d’ondes. On a trois sorties prévues pour début 2018 alors que d’habitude, c’est le volume que nous sortons sur un an. »

Daptone balancera en février un nouveau James Hunter Six: Whatever It Takes. Déballera un disque en mars sur sa succursale rock Wick Records et a récemment signé un groupe cubain, Orquesta Akokan. « Un ami à nous, producteur, avait un projet d’album à la Benny Moré, un disque mambo. Il a été à La Havane et il a rassemblé dans un studio mythique les meilleurs musiciens, jeunes et vieux, pour l’enregistrer. On va j’espère pouvoir emmener ce groupe sur les routes. C’est un challenge de bosser avec Cuba pour l’instant. Mais c’est très excitant. On a aussi fait un album reggae l’an dernier. On essaie d’élargir nos horizons. Ça ne doit pas nécessairement être soul ou funk. »

Le Budos Band, les Mystery Lights et le Menahan Street Band travaillent par ailleurs sur leur nouvel opus. « On va continuer à avancer. Au point où on en est, quoi qu’on sorte, on a droit à pas mal d’attention. Il est beaucoup plus facile de faire entendre notre musique qu’avant. C’est une période excitante pour le label même si on la vit avec pas mal d’amertume. »

Soul of a Woman, distribué par Daptone Records. ***(*)

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