Pourquoi Benni a refusé de participer à The Voice France

Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Armée de sa guitare acoustique, la jeune chanteuse belge a enfin sorti Bleeding Colors, premier EP aux couleurs folk et au charme pop.

Il y a au moins deux Benni. La première est discrète, timide, pas toujours à l’aise avec l’exercice de l’interview. «Là, ça va. Mais juste avant, je passais à la radio, j’étais stressée comme c’est pas permis.» L’autre déboule sur scène pleine d’assurance, guitare en bandoulière, transperçant les cœurs les plus bétonnés avec sa voix à la fois délicate et assurée. Le lien entre les deux? Des mélodies pop folk à haute teneur sentimentale. Elles font l’objet aujourd’hui d’un EP –Bleeding Colours. Il est le premier statement discographique officiel d’une autrice-compositrice belge à la fois dans l’air du temps –susceptible de plaire aux fans de Phoebe Bridgers ou Gracie Abrams, voire à ceux de Taylor Swift– et complètement détachée des attentes de l’époque. Branchée donc, mais pas forcément connectée, n’aimant rien tant que partir marcher en forêt, se tenant à distance de l’agitation urbaine…

Face A, il y a donc Benni, alias Barbara Petitjean, née il y a un quart de siècle. Elle grandit du côté de Vielsalm, dans le petit village de Bêche, entre prairies, rivières et forêts. En Ardenne, donc. A moins que ce ne soit les Appalaches? «Mon papa est bûcheron. Depuis que je suis toute petite, il nous fait écouter de la country dans le pick-up. Le cliché total, je sais. Mais c’est vrai! J’ai baigné là-dedans, en écoutant Dolly Parton, les Eagles, etc. J’imagine que cela explique en partie pourquoi, plus tard, je suis allée vers la folk.» La graine est en tous les cas semée. Gamine, Barbara intègre la chorale du village, fait trois ans de guitare classique à l’académie. Et puis, lors d’un soir à traîner devant YouTube, l’ado tombe sur un live de Damien Rice, à Amsterdam. «J’étais fascinée. J’ai regardé cette vidéo en boucle pendant des heures. Je ne comprenais pas comment il pouvait procurer autant d’émotions juste avec une guitare.»

Suivront une chanteuse comme Birdy, puis plus tard Bon Iver, comme bande-son d’une vie enracinée dans la nature, avide d’horizons dégagés. «J’adore la ville, mais je ne pourrais pas y habiter très longtemps. Je me suis rendu compte que j’étais une fille de la campagne et que je resterai une fille de la campagne. J’ai besoin de ma maison où je peux chanter au milieu des vaches (rires).» Elle ajoute: «Mes parents sont tous les deux originaires de l’Ardenne. Le plus loin qu’ils aient déménagé, c’était peut-être à un quart d’heure de chez eux. C’est typique. Chez nous, on ne va jamais très loin.» Pourtant, Benni finira par prendre la tangente. Loin, pour le coup. A l’autre bout du monde, même.

Chanteuse de rue

C’est l’autre Benni. Celle qui, après ses études secondaires, décide de partir dix mois en Nouvelle-Zélande. La bonne élève ne tient plus, elle veut briser le cocon. «J’avais 18 ans, et je n’avais encore jamais pris le bus seule. J’étais extrêmement timide. J’avais besoin de me mettre un coup de pied au cul. Aujourd’hui, je reste toujours quelqu’un de réservé, mais je me suis quand même vachement améliorée (sourire)

«Il faut que je ressente une sorte d’urgence à expulser les choses qui me rongent.»

Deux mois avant de partir, elle est tout de même contactée par The Voice France. «Ils ont dû tomber sur l’une des covers que j’avais postées sur Instagram. J’ai décliné. Je n’ai rien contre ce genre de programme, mais je voulais d’abord essayer de mon côté, étape par étape. Et puis, de toute façon, j’avais mon ticket pour la Nouvelle-Zélande, je rêvais tellement de ce voyage!» A Auckland, Benni est fille au pair, récolte des kiwis et… chante dans la rue. L’ado qui, quelques mois auparavant, n’osait «pas commander une frite» s’achète une guitare et se confronte directement au public. «Cela me terrifiait-il? Oui! Mais en avais-je vraiment envie? Absolument! Donc j’ai foncé, en me disant « on verra bien »…»

Entre un morceau des Cranberries et une chanson de Piaf, elle teste aussi ses propres compositions. De ce voyage, Benni reviendra avec son nom de scène –«C’est le surnom que ma famille d’accueil m’a donné »– et une nouvelle assurance. «J’ai surtout compris que je ne pouvais pas plaire à tout le monde. Ça a l’air bête dit comme ça, mais à l’école, par exemple, j’étais toujours cadenassée dans le rôle de l’élève parfaite, qui répond correctement à tout, qui n’en fait jamais trop ou trop peu. En jouant dans la rue, j’ai bien compris que je ne pouvais pas plaire à tous les passants. Cela ne m’empêche pas de me remettre en question. Mais cette expérience m’a vraiment renforcée et poussée à continuer.»

Quand elle revient, elle en est d’ailleurs convaincue: c’est cette voie qu’elle veut emprunter. «Mes parents étaient forcément un peu déconcertés. J’avais de bons points à l’école, ils avaient imaginé que je ferais des études. Ils ont vite compris que ce ce n’était pas un caprice et m’ont toujours soutenue.» Benni entame alors une formation musicale d’un an à l’institut SAE et s’installe à Bruxelles. «Sauf que très vite, le Covid est arrivé, et je me suis retrouvée confinée avec mes nouveaux colocs.» Elle profite de ce temps libre pour enregistrer deux chansons –« juste avec un petit micro et mon ordi»– et les envoyer telle une bouteille à la mer, au Concours Circuit. «Au départ, je ne connaissais pas du tout ce tremplin. Mais comme je n’avais tout de même rien à faire, je me suis inscrite. Par la suite, je me suis rendu compte des opportunités qu’offre le concours.» Elle atteint la finale, engrange les contacts, remporte une série de scènes, etc.

Cinq ans plus tard, Benni a signé sur le label Pias. Elle y publie ce premier EP, Bleeding Colors, clin d’œil à son expérience de la synesthésie –le fait d’associer des lettres, sons, etc., à des couleurs. «J’ai découvert ça assez tard, vers 18 ans, en tombant sur une vidéo de Billie Eilish qui en parlait. Mais ce n’est pas quelque chose que je subis. Au contraire, cela nourrit ma créativité.» Et des chansons qui, sous leur emballage pop-folk, racontent la rupture amoureuse en mettant leurs tripes sur la table. Comme une forme de thérapie? «Je sais que cela peut sonner bateau mais, oui. C’est un peu comme cela que je vois la musique. Il faut que je ressente une sorte d’urgence à expulser les choses qui me rongent…»  

Benni, Bleeding Colors, distribué par Pias. Le 8 juin à Musiques pour Gaza, à La Louvière, le 20 juillet aux Francos de Spa, le 27 juillet à Esperanzah!, à Floreffe, le 22 août aux Solidarités, à Namur, et le 26 novembre à l’AB, Bruxelles. 3,5/5

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