Première femme à avoir remporté le César de la meilleure musique originale, Irène Drésel bouscule les normes de l’électro et de la techno. Elle sera l’une des grandes attractions du festival LaSemo.
Bruxelles. Parc du Cinquantenaire. Quelques heures avant de faire danser les Fêtes de la Musique dans sa tenue de célébration, Irène Drésel se présente pour papoter sans artifice, en toute simplicité et décontraction. Irène, qui avait déjà enflammé le festival de Dour l’an dernier et s’offrira le Zénith de Paris en novembre prochain, n’est pas qu’une nouvelle reine de la nuit, c’est aussi la première et jusqu’ici unique femme à avoir remporté le César de la meilleure musique originale pour le long métrage A plein temps, d’Eric Gravel.
Née en 1984 d’une mère femme au foyer grande amatrice de musique classique et d’un père ingénieur obsédé par le travail, Irène Billard (son vrai nom, Drésel est celui de jeune fille de sa mère) a grandi dans la banlieue parisienne, à trois quarts d’heure de Paname. «Je suis la troisième et petite dernière de la famille. J’ai vécu une enfance paisible et agréable. Ma mère m’emmenait partout avec elle. J’avais ma petite mallette avec des feuilles et des feutres. Je suivais. D’après mes parents, je ne me plaignais jamais. J’étais d’une nature docile.»
Créatrice dans l’âme, Irène a fait le conservatoire. «De la musique, de la danse. J’aimais beaucoup le solfège mais pas le piano. Les examens de fin d’année et les auditions me mettaient un peu la pression. Ma mère n’avait pas trop le temps et manquait de patience.» Son frère, lui, avait un faible pour Gainsbourg, Metallica, Guns N’ Roses. «Il a neuf ans de plus que moi. J’écoutais à sa porte. Quand il passait Je t’aime moi non plus, je ne comprenais pas pourquoi le « moi non plus ». J’étais un peu fan de mon frère, je pense. C’est lui qui, sans le savoir, m’a initiée à la musique. Ma sœur en faisait, du classique, du violon. Elle était dans les livres. On s’entendait très bien. On partageait la même chambre. Mais c’était moins rock’n’roll.»
Collège et lycée privés catholiques. A un moment, Irène est tombée en dépression. Elle a bifurqué dans l’enseignement public. «J’ai repris confiance en moi, passé un bac L (NDLR: littéraire) et intégré les Beaux-Arts de Paris en dessin, peinture, photo, vidéo, installation. Je voulais devenir artiste plasticienne. Parallèlement, je me suis inscrite aux Gobelins en photo. Double diplôme, jusqu’à ce que je me dise un an plus tard que je voulais faire de la musique électronique.»
Auditif, et visuel
Durant ses études, Irène écoutait beaucoup de musique étrange aux voix féminines aigües. Sigur Rós, Múm, les freakfolkeuses de CocoRosie et leur Maison de mon rêve. «Je pense que ce que je fais vient de là. Un style de musique que j’ai transformé en techno ou en électro parce que j’aime que ça tape. J’adorerais faire un featuring avec CocoRosie. Un morceau avec la voix de femme-enfant de Bianca. Si elle cherche une prod, je suis partante…»
C’est toutefois un concert de James Holden, en juillet 2008, qui lui a servi d’épiphanie et l’a poussée quelques années plus tard à suivre une formation de six mois en musique assistée par ordinateur, à Aubervilliers, dans la banlieue parisienne. «J’étais la dernière de la classe mais motivée.» Dans la foulée, déterminée, Irène voulait enregistrer un album. Elle a mis trois ans avant de sortir un premier EP. «J’ai tout de suite tenu à construire une interaction avec le public, à créer un univers visuel autour de ma musique. C’était une évidence de prendre ça moi-même en main.»
Pour son premier concert en 2016, Irène Drésel a fait appel à une styliste florale qui a habillé toute la scène de fleurs naturelles. «Il y a une histoire dans le sens où il y a des tableaux, des vidéos. Un travail avec notre ingénieur lumière. Je ne suis pas DJ. Je ne sais pas mixer. Je suis productrice de musique électronique et j’utilise la musique comme la peinture. J’associe d’ailleurs des images à tous mes morceaux.»
Elle voit son premier album comme un arc-en-ciel –«Il est très varié», qualifie le deuxième d’un peu plus sacré et le troisième de percutant. «Pour moi, la musique et l’image comptent autant l’une que l’autre. Je bosse actuellement sur un clip et j’ai pris l’Eurostar avec mes feuilles, mes feutres et mes crayons de couleur. J’ai envie que le spectacle ne soit pas juste auditif. L’an dernier, j’ai sorti une trilogie de clips en dessin animé (Glam, Thérèse et Fluo). Ils se regardent les uns à la suite des autres et racontent l’histoire d’une petite rose qui se déplace et entre dans un univers imaginaire.»
«J’écoute peu de musique. Mais quand c’est le cas, c’est de manière obsessionnelle.»
Fontaine, Jarre, Nicloux…
Ce n’est pas un hasard si Irène Drésel s’est mise à composer pour le cinéma et a remporté un César. Elle avait déjà imaginé de petites musiques pour des marques de luxe et mis en son le Loulou de Georg Pabst, un film muet des années 1920, pour la Cinémathèque française.
C’est par l’intermédiaire de pubs digitales qu’elle a fait la connaissance de la société de production du film A plein temps, qui l’a contactée en dernière minute. Le tournage était quasiment terminé. «J’ai beaucoup discuté avec Eric Gravel par téléphone pour comprendre ce qu’il avait dans la tête. Il m’a dit: « Je veux une musique qui reflète son flux sanguin sans rythmique, sans drums, sans percu. Juste du synthé typé années 1970, mais en même temps moderne. » J’ai choisi une scène que j’aimais beaucoup et je lui ai fait une quinzaine de propositions.»
Irène Drésel espère que son César aidera des filles à se projeter. «C’est plus facile quand on a un modèle. Enfin, un exemple. Parce que moi, si j’adorais James Holden, j’écoutais aussi Chloé. Et si elle n’avait pas existé, je ne suis pas sûre que j’aurais fait de la musique. Elle m’a offert un modèle féminin. Je lisais ses interviews. Elle me stimulait, rendait mon projet plus concret. Sans référence, ça ne te vient même pas à l’idée. J’ai l’impression que ce César va faire du bien et je pense que bientôt, ce ne sera plus un sujet.»
La productrice vient de terminer avec Sizo Del Givry, le batteur qui l’accompagne sur scène et au départ coiffeur dans le domaine de la mode, la musique de Mi Amor, le prochain Guillaume Nicloux. Une heure et demie de musique pour une heure et demie de film. L’histoire d’une DJ qui part mixer aux îles Canaries. Elle a aussi participé à la cérémonie de clôture des Jeux paralympiques et collaboré avec Brigitte Fontaine (en échange d’une paire de chaussettes) et un certain Jean-Michel Jarre. «On s’adore avec Jean-Michel. Je pense que petite, j’avais fait une chorégraphie de gymnastique sur l’un de ses morceaux. Il est bien plus moderne et jeune que moi. Il bosse avec la Chine. Il est en avance sur son temps. Il est étonnant.»
Irène aime la voix d’Angèle, le rose fluo et la musique de Mac DeMarco. Elle a consacré un morceau à un club naturiste où elle a travaillé (Club Saint Paul) mais aussi à sainte Rita et sainte Thérèse. «Je prie énormément sainte Rita. On a un ami qui était dans le coma depuis dix jours et là il s’est réveillé cet après-midi. Je n’ai pas fait une seule prière à sainte Rita qui n’a été exaucée. Pas une seule. Regarde: elle est même autour de mon cou. Dans le même genre, sainte Thérèse a une très belle histoire. Elle a dit: « Sur mon lit de mort, j’aimerais qu’il pleuve du ciel des pétales de rose. » Forcément, ça me parlait.»
En concert le 12 juillet au festival LaSemo.