Album - Nymph
Artiste - Shygirl
Genre - Dance/électronique
Label - Because
Après une paire d’EP qui ont fait monter la hype, la Londonienne sort enfin son premier album, Nymph, entre grooves lubriques et détours hyperpop.
C’est une étude anglaise qui l’affirmait cet été: les millennials et la génération Z sont de moins en moins tentés par une sortie en club. Pas la meilleure des nouvelles après une pandémie qui a entraîné la fermeture des établissements pendant quasi deux ans, enchaîné à une crise énergétique et économique qui n’épargne personne… Visiblement, l’“expérience” ne ferait plus rêver les plus jeunes, qui préfèrent rester casernés chez eux. Récemment, le média web Resident Advisor consacrait d’ailleurs un long reportage sur le boum du clubbing virtuel… The end of the discotheque as we know it? Shygirl, 29 ans, est sceptique: “C’est étrange… Personnellement, c’est là, dans le club, que j’ai rencontré la communauté qui m’a permis de me trouver en tant qu’individu. À l’école, je ne faisais pas vraiment partie des cool kids, j’étais plutôt la nerd de service. J’avais des potes, mais je n’avais pas réussi à trouver les gens avec qui je pouvais être vraiment moi-même.”
De fait, depuis que Shygirl est apparue sur les radars, en 2016, le club semble être le centre de gravité de sa musique. Un genre de pop électronique nébuleuse, qui cultive son côté un peu kinky, un peu chelou, aussi lascive que percutante, mélangeant langueur dancehall et morgue rap. Intuitive, la formule n’a pas tardé à taper dans l’oreille d’artistes aussi “crédibles” que Björk ou Rihanna. Depuis, Shygirl s’est retrouvée sur un remix de Lady Gaga. Elle a aussi eu le temps de collaborer avec feue SOPHIE, l’une des productrices électroniques les plus influentes de ces dernières années. Et FKA Twigs et Arca l’ont chacune invitée sur leur projet -la première sur sa “mixtape” Caprisongs sortie au début de l’année, la seconde sur le premier volet de sa série Kick. N’en jetez plus: sur l’échelle du cool, Shygirl a directement tapé dans le haut du panier. De quoi prendre son premier album avec des pincettes? Au moins, Shygirl ne fait pas semblant. Pas question par exemple de jouer la star investie, qui n’a toujours vécu que pour ça -“La musique est arrivée par accident, ça n’a jamais été une vocation”-, ni d’être tout à fait dupe du business, victime consentante d’un marketing bien huilé -“j’aime l’idée de tenter de préserver une certaine authenticité à l’intérieur d’une industrie installée”.
Lire aussi | Shygirl sort son premier album, Nymph
Queer as folk
Née en 1993, à Londres, d’un père caribéen (Grenade) et d’une mère galloise, Blane Muise de son vrai nom a toujours été entourée de musique. Mais longtemps, elle s’est limitée au rôle de simple auditrice. “Pendant des années, on m’a offert des compilations, de dance notamment, comme celles du Ministry of Sound (célèbre club londonien, NDLR). Mon père m’a aussi fait découvrir des artistes comme Aphex Twin, Björk, etc. Ma mère, c’était davantage les Isley Brothers, Missy Elliott… Donc j’ai toujours consommé beaucoup de musique. Mais ça n’a jamais été le médium sur lequel je m’appuyais pour m’exprimer.” Son truc, c’est plutôt les mots. Elle commence d’ailleurs par composer des poèmes. D’autant que les parents encouragent les trois enfants de la maison (elle est l’aînée) à développer leur créativité. “Mon père nous proposait par exemple d’écrire une histoire courte chaque semaine… Mes parents ne travaillent pas dans le domaine de l’art, mais ils ont toujours trouvé important de nous pousser vers ça. C’est une manière pour eux d’avoir à la fois une vie plus remplie, et un moyen d’extérioriser ses sentiments, sans forcément chercher à en faire son métier.”
Plus tard, Muise étudie la photographie à l’université, puis commence à travailler dans une agence de modèles. Elle écume aussi la vie nocturne de sa ville. Un jour, elle fait la connaissance du producteur Salvador Navarrete, aka Sega Bodega. “À l’époque, il vivait à Glasgow. Grâce à lui, j’ai pu rencontrer une série de personnes qui m’ont aidée à sortir de ma zone de confort, et avec qui je pouvais vraiment connecter. C’est devenu un peu une seconde famille. J’ai découvert par exemple une communauté queer dans laquelle j’ai pu me retrouver. Je n’étais pas spécialement en “quête”. Mais j’ai compris que ma manière d’appréhender la vie se rapprochait le plus de leur expérience.”
Sous le nom de Shygirl, elle commence à jouer comme DJ lors des soirées PDA, événement queer inclusif très couru à Londres. Un jour, Sega Bodega lui propose d’écrire et de poser pour l’un de ses morceaux. On est en 2016 et le titre commence rapidement à tourner dans le milieu fashion. Deux ans plus tard, Shygirl et Sega Bodega ont créé le label/collectif Nuxxe, et sortent un EP, Cruel Practice. Une première carte de visite brute de décoffrage. Elle ouvre la voie d’une electronica qui ne s’éloigne jamais très longtemps de la piste de danse (Tasty), le beat souvent offensif et lubrique, ne cachant pas son appétit sexuel (Coochie). Ces ingrédients sont toujours présents sur son album Nymph, mais en dévoilant des côtés plus “vulnérables et sensibles”, assure l’intéressée. “Pendant longtemps, j’ai dû batailler avec le syndrome de l’imposteur. Aujourd’hui, ça va un peu mieux. J’ai par exemple l’impression d’avoir un certain talent pour découvrir des mélodies.” Ce qui n’empêche pas la jeune femme de conclure plus tard: “Je suivrai ce fil musical tant qu’il me permettra d’assouvir mon appétit créatif. Mais je ne ressens aucune pression. Parce que je ne crois pas que c’est la musique qui me définit. Ce sont plutôt mes relations et la manière dont je me lie avec les autres…”
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici