Plastic métronomique supersportif

Comme chaque lundi, Guillermo Guiz revient sur les soirées qui ont fait bouger la capitale. Du Kultuur au K-Nal, en passant par les Brasseries Belle-Vue: « Night in Night out », épisode 6.

Ca commence vendredi. Passé minuit. Plongé dans la lecture du fourmillant Electrochoc, ouvrage souvenir dans lequel Laurent Garnier raconte comment il est devenu Laurent Garnier, je me décide à briser cette douce torpeur pour affronter le crachin-mesquin des terres extérieures. Arnaud Rebotini, ai-je lu, se produit à l’orée du campus de la Plaine, dans un KultuurKaffee à l’obédience étudiante bien assumée.

Rebotini, c’est Black Strobe, groupe électroïde français créé en 1997 avec le future DJ-star Yvan Smagghe. Rebotini, c’est une moustache en fer à cheval. Et Rebotini, c’est un gros vent dans ma face. « Ca fait un mois qu’on a annoncé l’annulation de son live », me glisse, mi-penaud mi-« informe-toi fieu! », l’un des organisateurs de la soirée Buzz on your lips. Arnaud, si tu lis ceci, sache-le et sache-le fort: si, au lieu de poursuivre ma lecture, je suis rentré le lendemain à 14h chez moi, avec l’impression d’avoir 700 grammes de pâte à pizza dans la bouche, c’est un peu grâce à toi.

En fait, le stuuut, comme beuglerait l’inadmissible Marc Herman, c’est que Rebotini joue le lendemain avec Black Strobe, au Plastic Festival. Echaudés par ce double booking, les mecs de Buzz on your lips ont fini par décommander leur tête d’affiche. Ou comment, enfonçons le clou, la scène electro bruxelloise n’en est toujours pas vraiment une: quand énergie rimera avec synergies, la ville pourra passer la surmultipliée.

Sans Arnaud, rien de beau? Nop! Déjà, au KultuurKaffee, la vodka-Perrier coûte 5,50 euros, comme en 1994. Et dans un coin, y’a une petite table d’info drogues et sida. Réflexe purement ado: je chope une capote gratuite au passage. Qui sait… Sur un malentendu…

Habituée aux concerts plus ou moins expérimentaux du Magasin 4, l’équipe de Buzz on your lips a le dansant ce soir. Et s’est quand même mitonné un line-up costaud, avec, comme attraction principale, un black tout timide, accoudé au bar avec sa compagne. All Stars-jeans slim aux pattes, T-shirt « Back to te future », lunettes à la Lumumba et coupe à la Carl Lewis: OLUGBENGA Adelekan, membre de l’explosif quatuor anglais Metronomy, s’est accordé une récréation bruxelloise à quelques centaines d’euros. En attendant la sortie du prochain opus du groupe.

Vers 1h30, le bassiste et remixeur anglo-nigérian s’apprête à chevaucher son Mac devant quelques dizaines de noceurs désarticulés, pour qui danser sur de l’électro reste manifestement un concept très obscur. J’arrive néanmoins, dans un anglais qu’on dirait Dustin Hoffman dans Rain Man, à lui confier rapidement la vérité, rien que la vérité: Nights Out, l’album sorti en 2008 par Metronomy, est tout bêtement l’une de mes plaques préférées au monde. Je suis mignonne, en groupie toute mouillée. Après vérification, il se révèlera pourtant qu’Olugbenga, authentique intello de la musique (il a étudié l’anglais classique à Cambridge), n’a intégré le groupe qu’en 2009… Comme disait feu Pierre Bachelet: « Avoir un peu l’air con, ça n’a jamais tué personne ».

C’est la première fois que le garçon teste son DJ-set en dehors des frontières britanniques. Mais je te parie six frites que ce ne sera pas la dernière: clairement taillé pour les grandes messes festives, OLUGBENGA cisèle ses enchaînements en mélangeant crapuleuseries mainstream et fonds de beat irrésistibles. Des tubes vicieusement remixés de Lady Gaga, David Guetta, Black Eyed Peas, Gwen Stefani, R. Kelly ou (mais oui !) Guns’n’Roses, complètement vidés de leur substance sirupeuse. Etonnant….

Le set est bourré de gimmicks (les ultra-entêtants Technologic de Daft Punk et Where’s your head at de Basement Jaxx) et s’autorise, par-ci par-là, quelques explosions libératrices (Standing in the way of control de Gossip, version pleine de BPM). Les rouages semblent d’ailleurs si bien huilés que ça sent un peu la playlist préprogrammée. « Viens voir », m’encourage sa copine, ancienne agent pour jazzmen reconvertie en bête de bourse dans la City. De fait, vu de derrière, Gbenga chipote son Mac pour de vrai, avec un programme geek-friendly ou clairement, rien n’est joué d’avance…

Il est près de 3h30. Onze heures plus tard, je regagnerai le confort satiné de mes pénates en refaisant le match: après le Kultuur, Circus Party pour la nouvelle Anarchic (complet), grandes lampées de philosophie alcoolisée (plein), after poudrée pour les plus intrépides (même pas moi) et retour cassé en deux, avec la joyeuse perspective d’affronter, après la sieste du siècle, une nouvelle soirée qui s’annonce gentiment volcanique.

Gros bouillonnement samedi, le long du canal

Dans sa richissime bio Electrochoc, Laurent Garnier retrace, avec l’aide de David Brun-Lambert, ses premiers atermoiements house et techno, fin des années 80. Des débuts aussi chaotiques que confidentiels. Avant la toute puissance, vingt ans après: si l’on excepte le live de l’ex-Ruff Ryders Eve au Louise Gallery, les deux événements phares de ce samedi bruxellois, aux Brasseries Belle-Vue et au K-Nal, sont forcément imprégnés jusqu’à l’os de musique électronique.

Démarrage au Plastic Festival, déclinaison hormonée des soirées éponymes créées en 2007. Disons même démarrage un peu avant. Car « Night in Night out », c’est aussi des conseils pratiques sociabilisantes, pour toi l’ami: ne te lance jamais sobre dans une soirée quand à minuit, tes deux comparses ont déjà 18 longueurs d’avance au test de l’éthylotest. Ca plombe le mood, le décalage tranche l’élan. Mais comment leur en vouloir puisqu’elles ont le corps chaud: l’été indien est allé voir ailleurs si j’y cuis et l’hiver, en carnassier, semble bien décidé à mater lui aussi ce que Christophe Bertelli et Bertrand Jacques ont sorti de leur chapeau. J’ai froid. Mais le spectacle vaut le pelage. Aidés par un paquet de subsides institutionnels et par leur soif naturelle de créativité, les deux pilotes de Bamboola Prod. ne se sont pas moqués du chaland. Vraiment pas.

Le site des Brasseries Belle-Vue, authentique ville dans la ville, s’ouvre sur une ruelle couverte qui, dans ses premiers mètres de glaciation, pourrait s’appeler « la solitude de la fille du vestiaire ». Peu importe: de cette ruelle s’échappe surtout un pur sentiment de magie, une atmosphère de vieux studio hollywoodien où, de chaque incrustation dans les murs de briques, pourraient émerger le petit Noodles d’Il était une fois en Amérique.

Le duo Plastic espérait 4000 visiteurs. On n’y est pas, en tout cas pas tout de suite. Du monde, y’en a, mais ça ne déborde pas. « Même si vous vous cassez un peu la gueule, vous aurez toujours la satisfaction d’avoir créé quelque chose d’unique à Bruxelles »: pas sûr que Bertrand ait envie de m’écouter ânonner sur la réussite du concept, mais bon… On est en plein concert des Black Strobe: Arnaud Rebotini et son band retournent brutalement la petite salle dans laquelle ils ont été parqués. Rebotini, on dirait la version rockabilly du Big Lebowski, une vraie machine à l’ancienne, sorte de puits à testostérone tirée d’un vieux caleçon puant Bidochon. Mais ça prend.

Ca prend un peu moins dans la Main Room où le très fluo Don Rimini, toujours aussi poseur aux manettes, n’arrive pas plus que son prédécesseur Breakbot à faire la différence. Clair que les organisateurs tablaient sur une assistance plus massive dans cette grande salle au sol ridé, aux colonnes nues et aux murs lépreux: moins de djeunzs que prévu, l’effet « 20 euros l’entrée »? Niveau musique, grosse kiffation sur l’élégant set du Canadien Mike Shannon, dans une salle plus confidentielle mais subtilement décorée. A l’extérieur, à l’étage (avant qu’on le ferme, vers 2h, en raison des menaces que la bourritude ambiante fait peser sur les oeuvres) et dans les petites pièces disséminées un peu partout, une quarantaine d’artistes belges et internationaux se sont amusés à tatouer tout ce qu’ils pouvaient. Installations, expos, performances, graf’, etc. Fascinant, mais trop de trucs à voir. Bonne nouvelle: le Plastic Festival, ça continue samedi prochain. J’y serai. Plus tôt. Et avec ma doudoune powerpanda.

Il est presque 3h. A un jet de brique des anciennes brasseries, le K-Nal fait péter ses coutures. Le surexcitant Libertine Supersport souffle une première bougie de succès. Et j’en suis persuadé: Aeroplane va réinjecter, dans les membres de mon long corps, les kilowatts de chaleur abandonnés en terres post-industrielles. Pas forcément parce que je raffole du groupe (enfin, de l’ex-groupe, puisque Vito Deluca poursuit le projet sans Stephen Fasano): We Can’t Fly, l’album tant (trop?) attendu d’Aeroplane, m’a laissé violemment de marbre avec son trip rétro-disco-pompier. Par contre, je connais l’impact Aeroplane sur un club: l’an passé, les deux super remixeurs (voir le superbe Now Til’69 de The Shortwave Set) avaient retourné le LibSup avec une session grosse comme une maison, mais festivement ultra-efficace.

Rebelote pour ce DJ-set dopé aux tubes dancefloor: casquette de fluokid sur le crâne, Vito rend le Supersport complètement dingue. Mais moi, je le snobe, parce que je lui râle encore dessus pour l’album et que j’ai définitivement raté le train de la soulitude joyeuse ce soir. Faudra attendre que Wierspielen et So’Lex terminent le boulot en total lâcher prise, notamment en tapant Climbatize (un track génialissime perdu sur le Fat of the Land de Prodigy), pour que moi aussi, au final et au forceps, je puisse sentir une petite goutte perler sur le haut de ma tempe. 6h26, l’heure des braves. Rideau.

Guillermo Guiz

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