Plastic Bertrand et le surréalisme belge

"Même si je fais des choses mainstream, je resterai un artiste à part, et je me sens bien comme cela. Faut bien comprendre que Plastic Bertrand est un accident" © PHILIPPE CORNET
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

En compagnie de son associée Pierrette Broodthaers, fille de Marcel, Plastic Bertrand parle d’une carrière qui relève possiblement d’une forme de surréalisme. À la belge.

Il est là, sa belle gueule sans âge -65 selon le code civil- un peu rincée par les allers-retours entre les sessions de studio bruxelloises de son prochain album prévu au printemps 2020 et une tournée revival Stars 80 bondant les salles de France et de nostalgie. On est dans le salon ucclois joliment garni de Pierrette Broodthaers, fille du Marcel du même nom et belle-fille de Paul Nougé, poète et théoricien majeur du surréalisme belgicain. Comme si cet arbre généalogique fleuri ne suffisait pas, cette dame courtoise est aussi la belle-soeur du loustic Noël Godin, l’homme ayant contribué à faire grimper les chiffres de la farine offensive. C’est dire si on est aussi en terres philippekateriniennes, concrétisées depuis un duo sur un plateau de Taratata en 2010 entre Plastic et l’invité de la semaine dans Focus. « Katerine est un surréaliste, nous dit d’emblée Plastic Bertrand, parce que pour moi, le surréalisme passe d’abord par les poètes, plutôt que par les gens d’image. Et puis, surtout, il n’hésite pas à détourner les choses avec une hyper-intelligence, via des chansons qui peuvent aussi être des tubes. Et c’est là que je ressens une connexion, une vraie vibration, que ce soit avec Katerine, Broodthaers ou Nougé. Même si le mot « surréalisme » a été galvaudé. Ce qui, au fond, est surréaliste (rires).«  Pierrette Broodthaers, ayant aussi rencontré Katerine, travaille avec Plastic depuis un quart de siècle. Vu son pedigree, elle cadre sans peine le sujet: « Ce duo avec Katerine était inénarrable. Assez loin des surréalistes français à la Breton qui n’avaient aucune dérision vis-à-vis de leur manifeste, se prenant extrêmement au sérieux. Nougé a travaillé comme biochimiste, mais mon père n’a été étudiant en la matière que pendant une année universitaire, pour des raisons poétiques: pour lui, mélanger deux-trois produits amenait à créer une troisième substance. C’est-à-dire la poésie, qui était aussi de la magie… » La formule entre l’avocate de formation Broodthaers et le passe-muraille Plastic, est naturellement garnie de surprises. Notamment la rencontre des deux lors d’un dîner où la juriste, dont le fils gamin est copain avec le rejeton de Plastic, avoue n’avoir jamais entendu parler de Ça plane pour moi. Surréalisme appliqué à la lettre, donc.

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Dix trous de cul

Faut-il rappeler que Roger Marie François Jouret débarque dans la psyché mondiale à la toute fin 1977 avec ce méga-succès punk-pop dont la paternité vocale, selon un jugement belge de 2010, est attribuée à Lou Depryck, producteur lessinois, lui aussi surréalisant. « Le punk a été une sorte de surréalisme, l’écho d’une époque. Je faisais au Conservatoire des études très classiques et puis je me suis rendu compte que j’avais envie de me révolter. Surtout qu’en grandissant dans les années 50, on m’avait dit que le fric, c’était pas bien. Pour moi, le punk était du jeu, du glam, de la provoc’, du théâtre ». De père français et de mère ukrainienne, arrivés à Bruxelles par le hasard de l’après- Seconde Guerre mondiale, Plastic découvre « très très jeune » le monde de l’art, notamment lors d’une année à Saint-Luc où le design l’amène aux objets, à la poésie, au sens pictural. Grand saut dans le temps, début des années 90, Pierrette et « Plastic » Roger décident de monter à deux la galerie bruxelloise Broodthaers & Bertrand. Plastic est fatigué de sa couronne punkoïde et se laisse aller à une aventure d’art qui passe notamment par une fascination pour Jacques Charlier, délirant Liégeois multiple. De cette association s’ensuit un parcours… surréaliste accrédité par la réalité. Plastic tourne un film avec Noël Godin pour Canal+ – Si j’avais dix trous de cul (sic)-, côtoie trois semaines durant Jean-Pierre Mocky sur le plateau d’un film partagé avec Michel Serrault (Le Bénévole), et fait mille autres choses, comme croiser Dali ou Warhol. Accréditant l’idée que le pogoteur péroxydé de 1977 est depuis toujours un rien hyperkinétique. Le travail de galeriste avec Pierrette a permis d’exposer des talents novateurs et une « vraie vache » dans les rues de Saint-Gilles. Plastic: « Même si je fais des choses mainstream, je resterai un artiste à part, et je me sens bien comme cela. Faut bien comprendre que Plastic Bertrand est un accident: de toute façon, j’étais au Conservatoire, de toute façon, j’avais fait des groupes avant, de toute façon, je ne sais rien faire d’autre. » Sur ce, on regarde le dessus de la bibliothèque de Madame Broodthaers, où dialoguent en silence un renard et un corbeau. Et Pierrette d’expliquer: « Mon père a pas mal digressé sur cette association. Et quand j’ai vu ces deux animaux empaillés sur un marché, j’ai eu l’impression que c’était un signe… »

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