Peet, flemmard sensible

Peet: “Jusqu’ici, tout va bien.” © Daniil Zozulya
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Mr. Good Vibes de la scène rap bruxelloise, Peet sort un deuxième album qui confirme et affine sa formule: sous la moustache blagueuse, la mélancolie douce-amère…

C’est peut-être un détail pour vous, mais pour lui, ça veut dire beaucoup: Peet a passé son permis. Le théorique. Mais avec les 20 heures d’auto-école, je peux conduire seul. Du coup, je me suis acheté une voiture. C’est le premier achat que j’ai fait avec mes éditions! Une Twingo, hein. On n’est pas encore sur une BM ou une Merco” (rires). Dans le circuit depuis dix ans, Peet ne roule pas encore sur l’or. Mais il y travaille. À son rythme. Longue silhouette à la Gaston Lagaffe, fine moustache de chat de gouttière (ou de caracal), Peet est un peu l’incarnation du cool. Le vrai Mr. Good Vibes du rap game belge.

Jusqu’ici, cela lui a plutôt réussi. D’abord avec son groupe, Le 77: une joyeuse bande de pieds nickelés, pas loin d’une version snul des Beastie Boys, dans laquelle on trouvait les copains Félé Flingue et Morgan. Entre-temps, le groupe a été mis entre parenthèses. Mais Peet et Morgan sont toujours colocs, dans la maison trois façades décatie au fin fond d’Uccle où a lieu l’interview. Les murs sont minces, “mais les voisins sont sympas”, et, au fond du jardin, le garage a été reconverti en home studio. C’est d’ailleurs là que Peet a enregistré son nouvel album, le deuxième.

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Deux ans après Mignon -le vrai nom de famille de celui qui se prénomme Pierre dans la vie-, Todo bien démarre par cette déclaration d’intention: Y a des erreurs que j’ai pas envie de refaire. Alors, allons-y: de quelles erreurs parle Peet? “Arf, je savais bien qu’on allait finir par me poser la question… Rayan, aide-moi, s’il te plaît!” À l’autre bout du salon, le manager fait mine d’hésiter: “Je les connais, mais bon… Disons qu’à un moment, il sortait un peu trop. Et puis, après la sortie de Mignon, il n’a rien fait pendant six mois. Il s’est un peu reposé sur ses acquis, en se disant qu’avec un premier album, le plus dur était fait, que ça allait aller. Mais c’est comme pour tout, faut toujours travailler et avancer.” Circonstances atténuantes tout de même: quand Mignon a paru, au printemps 2021, la troisième vague de Covid réduisait à nouveau tout espoir de reprise rapide.

Depuis, la situation est redevenue (quasi) normale, et Peet s’est donné de nouveaux motto: “Plus de discipline” (sur Foi) ou “faut bosser, bosser, bosser” (sur Dime). La période de flou n’en a pas moins laissé des traces. “Jusqu’ici, tout est OK”, scande Peet. Comme un écho au film La Haine et son slogan: Jusqu’ici tout va bien. Mais pour combien de temps?

Soirées arrosées

Sur la pochette de Todo bien, Peet saute dans le vide. Sans parachute, mais avec le sourire, toujours. “Après tout, “L’important, c’est pas la chute, c’est l’atterrissage”, pour continuer sur La Haine (rires). En général, j’aime penser que la vie est bien faite. Mais tu ne sais jamais de quoi sera fait l’avenir. On s’est lancé dans une carrière de musicien. Il y a plus stable comme trajectoire…

De disque en disque, Peet n’a cessé d’agrandir son audience. “Mais j’ai conscience de ne pas avoir encore sorti le morceau susceptible de parler au plus grand nombre.” Ce n’est d’ailleurs pas forcément l’ambition. Pour autant, en écoutant Mignon ou Todo bien, on ne voit pas non plus ce qui pourrait tenir Peet à l’écart d’un succès plus large. Sinon une image encore un peu tronquée?J’ai parfois l’impression qu’on me voit juste comme le gars qui déconne, une sorte de Lorenzo 2.0. Alors que ma musique n’est pas tout le temps fun.

Sur Mignon, Peet évoquait par exemple, avec une pudeur bouleversante, la disparition de sa mère, emportée par la sale maladie (le titre 17). Sur Todo bien, il réussit à parler de son penchant pour les soirées trop arrosées, dans Verre en main. “Plus jeune déjà, comme j’habitais Kraainem, je me retrouvais à sortir dans les soirées de l’Alma (le site universitaire de l’UCL à Woluwe, NDLR). J’ai grandi dans cette culture étudiante où tu “affonnes” tes bières, tu vomis, et tu rebois derrière.

Par la suite, le milieu de l’horeca dans lequel il a travaillé n’a pas aidé. Celui de la musique non plus. L’été dernier, son copain Zwangere Guy annonçait même qu’il arrêtait l’alcool, après avoir trop souvent frôlé le gouffre. “Respect à lui. Aujourd’hui, je bois beaucoup moins. Parce que je ne sors plus aussi systématiquement. Mais à un moment, je n’arrivais pas à boire juste une bière. Dès que je voyais que mon verre était presque vide, je pensais à commander le suivant.” Sur Déjà fait, Peet explique encore: “Je ne veux plus demander pardon à cause de la boisson/ Je veux me rappeler de mes soirées, me rappeler de mes actions”.

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Pas question de faire la morale pour autant. Ni de politique, même quand il “pense qu’on ne va pas dans le bon sens” (Dime). “Je me vois mal m’engager, ou devenir un porte-parole. Je ne fais que décrire ce que je vois autour de moi, ce qui me touche.” Avec humour, second degré et sens de l’(auto)dérision. Mais pas que. Entre les lignes, Peet cultive aussi son côté clown triste et émouvant. Comme quand il décrit les panoramas traversés lors d’un trip en auto-stop le long de la côte équatorienne: “Je vois le paysage défiler/Mais c’est pas le vent qui me fait pleurer”. Peet, ce rappeur sensible…

Peet, Todo Bien (8), distr. Top Notch.

Parfois un album ne suffit pas. Parce que le pli avait été pris de retenir surtout de Peet son sourire malicieux et son sourcil ironique, on avait gardé de Mignon le souvenir d’un “chouette” premier disque. Avec tout ce que cela peut avoir de charmant mais aussi de “fugace”. La bonne idée de Todo bien est donc de ne pas hésiter à remettre le couvert, Peet y confirmant et affinant la recette dont on n’avait pas tout de suite retenu toutes les nuances. Made in BX (tous les invités sont des habitués de la maison, de JeanJass à Primero en passant par Roméo Elvis), Todo bien est un disque de rap feelgood, qui pratique la mélodie cool (Déjà fait) et énergisante (Foi), mais ose aussi les sentiments pudiques (Verre en main), trouvant même dans les cuivres jazz (Déjà fait) et les violons soul (Gentil) les ingrédients d’un spleen particulièrement attachant.

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