Pedro Winter: « Mon background classique? Le générique des Simpsons, celui de James Bond et de Star Wars »

Pedro Winter: "C'était comme passer d'une image sortie d'une imprimante numérique couleur à une peinture à l'huile". © Kevin Millet
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Pour ses quinze ans, le label Ed Banger a concocté un grand medley maison, passant les hits de Justice, Cassius et autre DJ Mehdi à la moulinette symphonique. Explication avec son patron, Pedro Winter.

Quinze ans, ce n’est pas rien. Surtout pour un label de musiques électroniques. Qui aurait d’ailleurs misé sur Ed Banger au moment de sa création? En 2003, Pedro Winter est encore manager de Daft Punk. Dans la foulée de la folie French Touch, il crée sa propre enseigne: dance, house, mâtinée d’esprit skate et hip-hop, branché et déconneur. Rapidement, les tubes de Uffie, Justice, Mr. Oizo, etc., se chargeront d’en faire une des marques françaises les plus en vue…

En mars 2018, toute la joyeuse bande a donc fêté son anniversaire. En grandes pompes. Pour l’occasion, Ed Banger s’est en effet offert un concert symphonique, au Grand Rex (1). Logiquement, il fait aujourd’hui l’objet d’un album. « On aurait pu sortir une compilation récapitulative, un genre de best of, comme le font beaucoup, explique le patron. On a préféré proposer quelque chose d’un peu différent. C’était l’une des motivations. Même si la principale reste d’abord et avant tout l’envie de s’amuser. C’est un moteur que je revendique depuis le début. »

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Dans ce cas-ci, le facteur « fun » consistait donc à se lancer dans une relecture orchestrale de ses morceaux les plus emblématiques par un orchestre symphonique. Pourquoi s’imposer ce qui ressemble à un véritable numéro de contorsionniste? Et pourquoi pas, répond Pedro Winter. « No reason », lâche-t-il encore, reprenant le motto de Rubber, le film réalisé par Quentin Dupieux, alias Mr. Oizo… Dès la scène d’intro, le shérif Chad y explique, face caméra, que rien dans la vie n’a de sens, ni d’explication rationnelle. Pareil pour Ed Banger. « Mon background classique? C’est très simple: le générique des Simpsons, celui de James Bond et de Star Wars. Ah oui, Wendy Carlos aussi, qui reprend Beethoven au moog dans Orange mécanique. » Pedro Winter repense aussi à Metallica accompagné de l’orchestre symphonique de San Francisco (l’album S&M), en 1999. « J’avais adoré cette collision, son côté épique, grandiose. Puis, vous savez, dans les musiques électroniques, on est souvent seul à composer, à travailler. Du coup, il y avait quelque chose de très excitant à se lancer dans un processus plus collectif, de repartir de fichiers midi pondus sur Ableton pour les retranscrire sur des portées. » Ou pour le dire encore autrement, « passer d’une image sortie d’une imprimante numérique couleur à une peinture à l’huile » (rires).

De Ravel à la rave

C’est Thomas Roussel qui s’est collé à l’exercice. Le compositeur et chef d’orchestre n’en est pas à sa première excursion sur le terrain électronique. En 2006, il avait déjà réalisé l’album Blue Potential avec Jeff Mills, légende de la musique techno. « Mais après ça, il a tout refusé. Il n’avait pas envie qu’on lui colle la casquette du « musicien classique qui organise le pont avec l’électronique » ». Pedro Winter ne manquant jamais de ressources, il a toutefois réussi à convaincre le chef d’orchestre. Par exemple en lui expliquant que le défi n’était pas tout à fait le même. De fait. À l’exception sans doute du Jacques in the Box de Laurent Garnier, repris ici, il y a un monde entre la techno futuriste et l’hédonisme pop d’Ed Banger; entre les longues transes électroniques made in Detroit et les gimmicks tubesques de Justice. « Je voulais aussi que l’on débranche toutes les machines. Elles constituent pourtant la colonne vertébrale des musiques électroniques. Mais c’était justement une manière de se démarquer, par rapport à d’autres croisements techno-classique, qui ont souvent conservé les rythmes des ordinateurs. » Convaincu, Thomas Roussel s’est donc attelé à la tâche, digérant une trentaine de morceaux, réarrangés sur une partition de quelque 300 pages.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

À l’Orchestre Lamoureux de la mettre en musique. Pour l’occasion, les musiciens de la formation parisienne ont conservé leurs habits de soirée, mais ont tous enfilé des baskets blanches. Comme pour faire le lien entre le club et la salle de concerts. « L’idée n’était pas de vouloir « rajeunir » ou donner un coup de frais à qui que ce soit. Mais c’est vrai que, sans vouloir rentrer dans de grands discours, je pense que le monde du classique a encore besoin de s’ouvrir. J’ai 43 ans, il n’y a pas si longtemps que j’ai commencé à me rendre à l’opéra. Je vois que des efforts sont faits, par exemple pour proposer des places pas trop chères. Mais ça reste malgré tout un milieu encore très fermé, avec peu de mixité sociale. De l’autre côté, il faut accepter de s’intéresser à des choses différentes, qu’on ne maîtrise pas: je pense par exemple que 97 % du public présent en mars dernier au Grand Rex n’avait jamais assisté à un concert joué par une septantaine de musiciens. »

En l’occurrence, l’Orchestre Lamoureux est une formation à la fois ancienne -elle a notamment créé la version concert du Boléro de Ravel, ou encore La Nuit de Debussy-, et assez souple que pour s’offrir quelques excursions en dehors de sa zone de confort – « elle participe souvent à des cinémix, où elle rejoue notamment des BO de John Williams ». L’exemple n’est pas anodin. Bien plus que Mozart, Beethoven ou Chopin, ce sont les musiques de film qui constituent le fil rouge du « remix » symphonique mis au point par Thomas Roussel. « Jusque dans la composition même de l’orchestre: il l’a calquée sur celle de John Williams, pour la BO d’Indiana Jones. » L’intro a ainsi été inspirée par l’idée que Breakbot se fait d’une musique Disney, tandis que les violons de Justice n’ont jamais autant sonné comme ceux d’un grand péplum. C’est ce qui constitue l’originalité de l’exercice-anniversaire d’Ed Banger. Aussi saugrenu puisse-t-il paraître -et souvent, il l’est: « On tente des choses, quitte à se planter »-, le projet tient la route. Décalé, parfois même bancal, mais en tout cas cohérent avec une certaine idée du label: décomplexé et attiré par une pop culture où la musique s’écoute autant qu’elle se regarde.

(1) Le concert est encore visible sur la page YouTube de Culturebox, l’offre à la demande de France Télévisions.

« Ed Banger 15 », distribué par Because. ***

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content