Patrick Watson pensait ne plus jamais chanter: «Les docteurs pensaient que j’étais foutu.» Il revient aujourd’hui avec un nouvel album de duos

Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Aphone pendant plusieurs mois, le Canadien Patrick Watson revient avec Uh Oh, nouvel album constitué de somptueuses ballades intimistes, chantées en duo.

Patrick Watson attend seul, attablé à la terrasse de son hôtel bruxellois. Café, petite clope du matin. Tranquille. Personne pour venir déranger le musicien, figure discrète mais essentielle de la scène canadienne, aussi à l’aise pour sortir des albums de rock indé, mâtiné d’influences classique et cabaret que pour composer la B.O. d’un spectacle de danse contemporaine, ou chanter aux côtés de pop stars comme Angèle et Charlotte Cardin. Pas le moindre fan pour interpeller Patrick Watson, pourtant auteur du premier morceau francophone à avoir franchi le milliard d’écoutes sur Spotify, en décembre dernierJe te laisserai des mots, titre de 2010, que TikTok a redirigé vers une nouvelle audience. «L’ironie étant que ce soit un Canadien… anglophone qui a commis cette chanson! (rires) N’est-ce pas hilarant? Il faut avoir de l’humour dans la vie…»

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Surtout quand elle ne vous fait pas de cadeau. Patrick ­Watson en sait quelque chose. A l’hiver 2023, il a vécu le pire cauchemar possible pour un chanteur: perdre sa voix. ­Pendant trois mois, il n’a pas pu prononcer le moindre mot. Ni même savoir s’il allait pouvoir rechanter un jour. La voix est finalement revenue, miraculeusement.

Patrick Watson, plutôt deux voix qu’une

De cet épisode, Patrick Watson est ressorti avec un nouvel album de ballades orchestrales. Sommet de délicatesse organique, il est entièrement constitué de duos entre Patrick Watson et des chanteuses. Telles la Portugaise Maro, la Londonienne Hohnen Ford, ou ses compatriotes Charlotte Cardin –«chanteuse pop tellement précise»–, Klô Pelgag«elle a une liberté incroyable»–, Martha Wainwright –«une guerrière, j’aimerais tellement avoir son cran». Sans oublier les Françaises November Ultra«imaginez un parfum de glace qui aurait le goût des films de Miyazaki? C’est elle» – ou encore Solann –«incroyablement intelligente, elle est comme une Piaf gothique».   

L’album sera accompagné d’une tournée qui passera par Bozar (complet, le 11 novembre). Ah oui: il est simplement intitulé… Uh Oh. Une explication? Patrick Watson se marre : «Arf, j’avais oublié que ce n’était pas aussi évident à saisir pour les francophones. Mais en anglais, c’est assez courant. C’est une manière de signifier qu’il y a un souci, avec tout de même une intonation un peu comique. Et comme pour l’instant on peut avoir l’impression en se levant le matin que chaque jour est un peu la fin du monde…»

C’est aussi ce que vous vous êtes dit quand vous avez perdu votre voix? Jusqu’à quel point ce genre ­d’«expérience» a pu être effrayante?

Je ne sais pas comment répondre à cette question.

Avez-vous paniqué?

Non, parce que ce n’était pas la première fois. Mais ça n’avait jamais été aussi grave. Un soir, pendant un concert, j’ai chanté une note assez fort, et j’ai senti un craquement. Le lendemain matin, je me suis réveillé, plus un son ne sortait de ma bouche. La paralysie complète. Pendant trois mois, je n’ai pas pu dire un mot, je communiquais avec mes enfants par SMS. Je n’étais même pas supposé pouvoir rechanter un jour. Les docteurs pensaient que j’étais foutu. Je m’étais résigné à l’idée que j’allais devoir me contenter de composer des B.O. de films. Ce qui est très chouette à faire. Et puis, j’adore les tournées, etc., mais c’est aussi quelque chose de très fatigant. Donc il y a une partie de moi qui se disait que la vie m’envoyait peut-être un message, que ce chapitre de mon parcours était clos. Vous devez respecter ce genre de choses quand cela vous arrive…

D’où vous vient cette «sagesse»?

C’est ce que vous apprenez quand vous vous faites régulièrement botter le cul par la vie! (rires) La seule chose qui m’ennuyait, c’est ce que cela impliquait dans ma relation aux autres. Ce n’est pas toujours évident de trouver sa place dans la société. Et être chanteur m’a toujours aidé. Si je n’ai pas ça, je peux me sentir très désorienté. Dans le sens où je ne vois pas toujours comment faire partie du monde, lui être utile. En cela, chanter est une manière vraiment jolie d’apporter ma contribution. A travers mes morceaux, je me retrouve connecté aux gens de manière parfois très intime. Perdre ça fut incroyablement stressant.

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Comment avez-vous soigné votre voix?

Je ne l’ai pas vraiment soignée. Elle a  juste lentement guéri. Ce n’est pas comme si j’avais chopé un virus ou une bactérie. Il  s’agissait juste de vaisseaux sanguins qui ont explosé…. Je tourne depuis que j’ai 16 ans. Ce n’est pas anormal qu’à force d’être sollicitée, ma voix s’use et finisse par lâcher. Donc j’ai fait des exercices vocaux, et je me suis reposé, en attendant que cela revienne. Je ne pouvais faire grand-chose d’autre.

Arrêter de fumer?

Non, ça n’a rien à voir. J’ai perdu ma voix à cause des milliers de shows que j’ai pu donner, à chanter parfois tous les soirs pendant trois semaines d’affilée. C’est comme un athlète pro. Un footballeur, par exemple, ne se blesse pas parce qu’il fume. A la limite, si j’arrête –ce qui risque d’arriver quand même à un moment–, ça changera davantage ma voix que ma blessure. Ça gonflera mon falsetto. Bon, n’écrivez pas ça dans votre interview, ce n’est pas bien pour les kids. Mais Nat King Cole fumait. Sinatra aussi.

Sur le titre qui ouvre l’album, Silencio, vous chantez: «I think you like me better/When I lost my voice» («Je pense que tu me préférais quand je n’avais plus de voix»).

Oui, c’est ce que mes amis m’ont fait sentir! (rires).Disons que je suis une personne très anxieuse. Quand il y a un silence ou un blanc, j’ai tendance à croire que je dois absolument le combler, avec une énergie souvent plus nerveuse qu’intelligente. J’ai pu m’en rendre compte quand j’ai perdu ma voix. Tout à coup, en devant communiquer par écrit, je devais davantage réfléchir. J’ai mieux réalisé que ce que j’avais à partager n’était pas forcément toujours utile et ne concernait même souvent que moi (rires). Ça n’a manqué à personne en tout cas.

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Et vous ajoutez: «The funny thing is/They think you’re smarter when you shut your mouth» («Le truc marrant, c’est qu’ils vous croient plus intelligent quand vous fermez votre gueule»).

C’est vrai! Tout le monde pense que c’est celui qui parle qui a le  contrôle, mais c’est l’inverse! Pour le fréquenter un peu, Wim Wenders est comme ça. Un taiseux. C’est horrible pour moi! Je me rappelle une de nos premières rencontres. Je connaissais sa réputation et je m’étais promis de le laisser causer. On était assis à ce café. Je n’ai pas tenu 15 minutes! C’était impossible, je tremblais de l’intérieur. C’est comme ça. Il gagne à chaque fois. Et il a l’air tellement plus intelligent que vous. D’une jolie manière, parce qu’il est adorable. Mais tout de même…

Pour résumer, vous perdez votre voix et vous décidez alors de la «confier» à d’autres? C’était ça, le plan, en sortant cet album de duos?

Il n’y avait pas vraiment de plan. Sinon de se balader avec deux micros, une carte son et de quoi enregistrer. On louait des maisons bizarres et on voyait ce qui arrivait. J’ai commencé avec November Ultra, Martha puis Solann. Et au fil du temps, les choses se sont précisées. Mais, à vrai dire, tout ça a démarré bien avant que je ne perde ma voix, pendant le Covid. Instagram s’était alors transformé en gigantesque scène ouverte et je découvrais tous ces chanteuses et chanteurs incroyables. Vous savez comment fonctionnent l’algorithme: une fois qu’il a cerné vos intérêts, il vous abreuve de contenus du même genre. Donc je tombais sur toutes ces vidéos de jeunes musiciens. C’était fabuleux.

Vous êtes de ceux qui ont passé le confinement derrière leur ordinateur?

Quand la pandémie est arrivée,  j’ai rapidement compris une chose. J’étais en tournée. Tout s’est arrêté du jour au lendemain. Je savais que les choses ne seraient plus jamais comme avant. C’est pour ça que je n’ai jamais autant bossé que pendant le Covid. J’ai réalisé que si des gens comme moi ne changeaient rien à leur façon de faire, ils n’auraient plus de travail. J’ai commencé à donner des concerts une fois par semaine. Ou à donner des tutorials pour les gamins. Je n’avais jamais fait ça. Mais je suis dans le business depuis assez longtemps que pour savoir qu’il vaut mieux s’adapter. Je te laisserai des mots, c’est ça. J’avais donné l’un de ces «stupides» concerts en live stream, que tout le monde trouvait un peu bizarre. Et quelqu’un est tombé sur ce morceau, s’en est emparé en l’accompagnant d’un petit visuel à l’ancienne, qui a fait des millions de vues, et a relancé l’intérêt pour ce titre auprès d’une nouvelle génération. Tout ça n’est pas apparu comme par magie. C’est arrivé parce que je me suis cassé le cul en investissant une plateforme comme Instagram.

Tous les artistes ne sont pas forcément «équipés» pour gérer les réseaux sociaux…

Vous pouvez toujours trouver votre chemin. Vous n’avez même pas besoin de vous trahir pour ça. De toute façon, c’est quoi l’alternative? Changer de travail? Moi, perso, je n’ai pas envie d’un autre boulot. Et puis, il y a cet autre truc par rapport aux gens qui geignent sur Instagram et les réseaux sociaux. Je fais régulièrement des tournées promo, je donne pas mal d’interviews. Et c’est parfois intéressant. Mais ce n’est pas moins vain que de donner un tutorial à des gamins pour leur expliquer les accords de ma chanson. Ce n’est pas éthiquement moins cool. Avant TikTok, plus personne ne jouait de musique. Aujourd’hui, vous avez des milliers de kids qui ont décidé d’apprendre un instrument et postent des vidéos de reprises de leur morceau préféré.

Disons alors que la manière dont fonctionnent les réseaux et les plateformes ne favorise pas toutes les musiques de la même manière…

Sans doute, et je ne dis pas que tout est parfait. Mais regardez la musique instrumentale: elle n’a jamais été aussi populaire. L’ambient, par exemple, cartonne. Même si ça tient aussi à des playlists merdiques, dont la moitié des morceaux ont été créés par l’IA. Soit. Les choses ne sont jamais simples. Je constate juste par exemple que sur mon album précédent, Better in the Shade, le titre qui a le mieux fonctionné est un instrumental au piano de 90 secondes

Comment avez-vous vécu le raz-de-marée de Je te laisserai des mots?

Bien. Super. Est-ce que cette chanson-là en particulier méritait autant d’attention? Probablement pas. Mais elle a resurgi au bon moment pour parler aux gens. Je sais aussi que ce morceau ne me définit pas entièrement, j’ai fait tellement de choses différentes au cours de ma carrière… Et puis, recevoir des messages du type «votre chanson m’a sauvé la vie» n’est pas forcément la chose la plus désagréable qui soit. Je veux dire par là que ce n’est pas non plus une petite chanson ou un hit de l’été qui a buzzé grâce à une challenge dance un peu bizarre. Ce n’est pas trop mon truc en général. Ce n’est pas ce que je fais. Récemment, j’étais en vacances au Costa Rica, je prenais des cours de surf avec mes enfants. Les moniteurs savaient que j’étais vaguement musicien. A la fin du séjour, l’un d’eux m’a quand même demandé ce que je faisait comme musique. Quand je lui ai joué To Build a Home, il a fondu en larmes: il avait enterré sa mère sur ce morceau…

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Sur Uh Oh, le titre The Lonely Nights évoque la disparition de votre propre maman… Ces chansons, peut-être plus personnelles, sont-elles plus délicates à «manœuvrer»?

J’écris beaucoup de chansons. Pour les garder, il faut qu’elles m’accompagnent un moment. J’ai probablement jeté des morceaux qui étaient meilleurs que tout ce que j’avais pu faire avant. Mais à partir du moment où ils n’accrochent pas, je ne m’acharne pas. En l’occurrence, sur The Lonely Nights, je superpose deux images: celle de l’enterrement de ma mère, au beau milieu de l’hiver, et le souvenir de l’affichage géant auquel j’avais eu droit sur Times Square, à l’occasion de la sortie de Better in the Shade. C’était tellement absurde de voir ma tronche en grand. J’imaginais cette version de moi, seule au milieu de la nuit, entre trois SDF. De manière étrangement similaire, les deux souvenirs me renvoyaient à une certaine solitude. Voilà. Après, est-ce que le background du titre le rend forcément plus compliqué à aborder? Je ne sais pas. De toute manière, les chansons personnelles ne fonctionnent jamais.

Comment ça?

C’est ce que j’observe. Les morceaux les plus intimes ne marchent jamais. J’aime une chanson comme The Lonely Nights, je la trouve jolie et ça me semblait valoir le coup de la mettre sur l’album. Mais je sais que moins vous vous impliquez dans une chanson, plus les gens ont tendance à l’investir. C’est comme si ça leur donnait plus de place pour se l’accaparer.

N’est-ce pas frustrant pour un auteur?

Pas du tout, c’est la vie. Ce que les gens aiment leur appartient. Ce sont leurs affaires. Et ce que j’aime en est une autre. J’ai composé des heures de musique pour m’accompagner quand je vais  me balader le soir. C’est juste pour moi. Et parfois, j’ai ces petites chansons que les gens vont peut-être aimer et s’approprier. ●

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