Parquet Courts: « On n’a pas décidé de faire un disque plus dansant, c’est juste ce qui est arrivé »
Dans l’esprit des Talking Heads, de Primal Scream et de The Clash, Parquet Courts se rapproche du dancefloor. Conversation autour des musiques électroniques, du LSD, de John Parish et de l’Amérique d’aujourd’hui…
Première journée de presse avec un étranger depuis des lustres. Un Américain de surcroît… Le 24 août, Andrew Savage, venu rendre visite à sa gonzesse (une Belge), est au Dominican Hotel pour causer de Sympathy for Life, le septième album de Parquet Courts. Le groupe new-yorkais est en forme. Plus remuant que jamais.
Pourquoi avez-vous décidé de vous diriger vers un disque plus dansant et électronique?
Andrew Savage: Je ne pense pas qu’on ait réellement décidé, c’est juste ce qui est arrivé. Notre album précédent Wide Awake! avait déjà certains éléments et les germes de celui-ci en lui. Austin (Brown, guitariste et chanteur, NDLR) et moi apprécions l’électronique et la dance music. Tous nos disques se dessinent et se construisent d’eux-mêmes. Il n’y a pas de grands projets, de planification. Quand bien même on essaierait de prévoir, on ne s’y tiendrait pas. Ce n’est pas comme ça qu’on fonctionne. Les choses se passent. J’ai démarré par un petit voyage. J’avais envie de me barrer quelque part tout seul et d’écrire quelques morceaux. Je suis parti en Italie.
À quoi a ressemblé cette expédition, ton « acid trip » comme tu l’appelles?
Pas mon acid trip, disons plutôt un acid trip. J’étais à la campagne, loin de tout. Je connaissais le coin. Tu y trouves des maisons très typiques -elles ressemblent à des visages- dessinées par l’excentrique architecte Gaetano Pesce. J’y ai pris quelques acides et bossé sur des chansons. Je faisais de l’exercice, soulevais des poids. J’appelais ça les « trippy liftings »… Je courais aussi sous LSD. Le soir, le soleil se couchait. Je buvais du vin. Mon trip se dissipait. Je commençais à bosser sur la musique et j’écrivais des chansons. Quelques-unes se sont frayé un chemin jusqu’à l’album: Pulcinella, Trullo, Just Shadows, Walking at a Downtown Pace.
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L’électronique et la dance music, c’est un vieil amour?
Je suis tombé dedans en 2017, je crois. Austin est DJ. Il est vraiment intégré à tout cette scène new-yorkaise. Je mixe aussi. J’ai déjà assuré un set techno qui a plutôt bien marché, mais moi je passe du rock dans des bars pour des gens bourrés, pas spécialement pour des foules survitaminées qui veulent danser toute la nuit. Beaucoup de choses nous intéressent musicalement parlant. Le rock’n’roll bien sûr. On est un groupe de rock, il n’y a pas le moindre doute sur le sujet. Mais on apprécie aussi la musique électronique. Pas que celle qui fait danser. Je parle aussi d’Arthur Russell, de Tangerine Dream, d’Einstürzende Neubauten… Un tas de déclinaisons différentes de ce que peut être la musique électronique nous marque et nous influence.
Tu es un clubber?
J’ai eu ma période mais le concept de dance music est pour moi une ineptie. Le rock en est aussi quelque part. Tu peux danser sur n’importe quoi si tu en as envie. J’ai toujours considéré la techno comme quelque chose de différent. Bien sûr, je n’ai pas la même relation au rock’n’roll qu’au jazz. Mais la techno est pour moi une expérience très physique. Je vois moins ça comme de la musique que comme un environnement. Un des trucs que je préfère à New York, c’est d’aller me promener à la Dream House, cette salle de Tribeca créée par le compositeur expérimental La Monte Young. C’est une installation sonore, une petite pièce remplie d’immenses tours de baffles. C’est bruyant, très bruyant. Tu ne danses pas sur les fréquences de la dream house mais je vois un peu la techno comme un lieu sonore et physique.
L’aspect immersif de la musique électronique, tu le lies à la drogue?
Pas vraiment. Elle peut aider peut-être. J’ai été en couple avec quelqu’un de cette scène. Et pour cette personne, ça allait de pair… Durant tout le week-end, elle était partie. Pour moi, ça ne fonctionne pas nécessairement de la sorte. Je peux y prendre plaisir en buvant des bières. Je ne dois pas me perdre pour me laisser aller.
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À part les Talking Heads et Screamadelica, qu’est-ce qui te parle dans le rock qui fait danser? Tu étais branché par le label DFA?
Pas du tout. Par contre, j’aime beaucoup les Screamers et Futurisk, les Butthole Surfers, qui ont beaucoup joué avec les drum machines, ou encore les Happy Mondays. On ne s’est pas dit: faisons un disque comme Primal Scream. Ce n’est jamais comme ça que ça fonctionne. Tu y vas chanson par chanson. Et de temps en temps, tu te dis: j’aimerais un truc qui sonne un peu comme ça. Pour le titre d’ouverture par exemple, j’ai passé une chanson de Ministry en parlant de la batterie. Et ce morceau ne sonne pas le moins du monde comme Ministry…
Marathon of Anger a été marqué par Black Lives Matter. Tu as participé aux manifestations?
Je pense que l’été 2020 a été le plus excitant dont j’ai pu être le témoin à New York. C’était très intéressant. Beaucoup de tensions. Avec la pandémie mais aussi les manifs. Pour des raisons sur lesquelles je ne veux pas trop m’étendre, je n’ai pas été en mesure d’y participer. Je devais rester enfermé chez moi mais j’ai assisté à tout ça et je me suis engagé comme je le pouvais. J’ai créé de l’art pour récolter des fonds. Je vis à Bed Stuy, un quartier noir de Brooklyn. Il y avait des tensions mais aussi de la collaboration. Les gens allaient dans les parcs, faisaient des fêtes de quartier. J’ai vraiment ressenti ce sens de la communauté. Austin a écrit les paroles de Marathon of Anger et je ne veux pas parler à sa place, mais il a participé à ces manifestations et il y a sans doute trouvé une certaine énergie. Énergie qui était partout dans la ville. Je n’en avais jamais palpé autant en douze ans à New York. Je n’ai pas vraiment vu de violence. Personne n’est mort. Quand tu protestes, des voitures brûlent, des propriétés sont détruites. Mais ce n’est pas de la violence à mes yeux. Rien comparé à celle à laquelle la population afro-américaine fait face. Les médias de droite ont dépeint le truc de manière très sombre. Mais pour moi, la destruction de propriété n’est pas de la violence. Dans la société capitaliste qui est la nôtre, on a tendance à mélanger les choses. Les protestations étaient pacifistes. La violence émanait de la police, pas des manifestants.
L’Amérique est-elle différente aujourd’hui?
Dans ma manière de voir les choses, la protestation mène rarement à des effets directement perceptibles. Je ne sais d’ailleurs pas si on a besoin de résultats concrets. Je pense que les manifestations comme celles-là participent surtout à changer la mentalité des gens, à modifier leur manière de penser demain. Beaucoup ont réfléchi notamment aux questions de race. Ça les a conscientisés sur l’expérience que vit une grande partie de la population avec la police. Il y a trop d’exemples. Tu as l’histoire d’Eric Garner, qui a été tué pourquoi? Pour avoir vendu des cigarettes? George Floyd a été arrêté pour 20 dollars… Personne ne devrait perdre la vie pour 20 dollars. Le fait est que si ces mecs avaient été blancs, ils seraient toujours vivants. C’est maintenant entré dans la tête des gens, je pense. 2020 a été une année d’élection chez nous. Et ça a changé le discours des politiciens. Biden est devenu le candidat démocrate. Mais Bernie Sanders, son idéologie et celle de BLM l’ont forcé à se positionner plus à gauche qu’il ne l’était vraiment.
Sympathy for Life contient aussi des chansons sur le capitalisme. Tu penses que le Covid l’a changé?
Sans aucun doute. Notre système de soins de santé est étroitement lié au capitalisme. Parce que tu as besoin de fric pour te l’offrir aux États-Unis. Cette année a été un tel désastre. Beaucoup de gens ont eu besoin d’accès aux hôpitaux. C’est barbare de faire payer les gens pour pouvoir être soignés. Ça a mis tout ça en lumière. Puis aussi les inégalités face au logement. À commencer par les villes, qui sont devenues de plus en plus impayables. Quand tout le monde perd son boulot, comment tu fais pour payer un loyer? Beaucoup des inégalités, qu’elles soient raciales, économiques et/ou sociales, sont devenues impossibles à ignorer.
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Pourquoi avoir choisi Rodaidh McDonald (Hot Chip, King Krule, David Byrne…) et John Parish (PJ Harvey, Arno, Aldous Harding…) comme producteurs?
John est très bon pour faire sonner l’instrument de manière incroyable dans une pièce avant qu’il n’entre dans les micros. Il n’use pas d’astuces, il utilise juste le bon matériel. Il est doué pour aller chercher ce son naturel. Rodaidh, lui, est particulièrement talentueux quand il s’agit de faire sonner les choses autrement. C’est lui qui nous a encouragés à jouer avec différents synthés et à essayer de nouvelles approches. Je joue beaucoup de guitares sur l’album mais Austin nettement moins qu’avant. Il utilise énormément de claviers. Les chansons avec John sont plus composées. Celles avec Rodaidh viennent d’improvisations, de jams dont on a ensuite fait des chansons. Austin mettait un 12 inch dance. On aimait bien un beat. Et on demandait à Max, mon frère, notre batteur, de trouver un truc du genre. Sean (Yeaton) venait avec sa ligne de basse. C’était vraiment rafraîchissant. Application/Apparatus est sans doute le morceau sur lequel ça s’entend le plus.
C’était comment de bosser au studio Real World de Peter Gabriel?
Incroyable. Quand j’étais gamin, j’avais un Tascam quatre pistes avec lequel j’ai enregistré les démos de mes premiers disques et un bouquin sur les techniques de home recording. Sur la couverture, c’était une photo de Real World. C’était assez dingue d’y entrer des années plus tard. Là-bas, on ne lisait pas les journaux. On a vécu un moment magique juste avant que le monde devienne incroyablement dangereux. Encore plus qu’il l’était déjà. Je suis rentré à New York le 10 mars 2020. Le 13, c’était mon annif. Je suis parti manger au resto ce soir-là. Et c’était la dernière fois avant un bout de temps. Je me souviens que mes potes voulaient annuler et attendre quelques semaines que tout soit fini…
Des auteurs et paroliers t’ont marqué ces derniers temps?
Je lis pas mal. J’ai terminé le dernier ouvrage du Norvégien Karl Ove Knausgaard. L’ultime volet, une brique qui fait plus de 1000 pages, de son roman autobiographique My Struggle. J’ai aussi lu un bouquin sur l’école de peinture londonienne. Francis Bacon, David Hockney… Je peins. J’aime lire sur les autres artistes. Surtout ceux qui étaient et sont radicaux, qui ont poussé leur processus créatif dans ses retranchements. C’est inspirant. J’ai aussi lu un livre sur Wagner d’Alex Ross, un critique musical pour le New Yorker. Tout ça me fait réfléchir. Mais je lis pour le plaisir et pour m’occuper. Je ne vois pas ça comme des recherches. Je ne sais pas à quel point ça m’inspire. Je suis un musicien, j’écoute d’autres groupes. Je suis un artiste visuel, je vais voir leur boulot. Tout ça nourrit. Ma vie est une suite permanente et infinie d’influences. Une fois que le processus d’écriture commence, je ne me passionne plus vraiment pour un livre ou un disque. Je me souviens juste avoir beaucoup écouté Pink Floyd et étudié la structure unique de leurs chansons, la manière qu’avait David Gilmour de jouer de la guitare qui correspondait aux paroles de Roger Waters. Comme Austin jouait moins de gratte dans Parquet Courts, j’ai ressenti le besoin, l’urgence de devenir un meilleur guitariste et j’ai commencé à penser des solos plus compliqués.
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Vous avez décidé de clipper tout votre disque dans un film, Feel Free – Sympathy for Life, Visualised. Mais aussi d’organiser onze happenings pour promouvoir la sortie de l’album. Une fanfare gay et lesbienne a joué un de vos titres dans les rues de New York…
Les gens n’ont pas pu se rassembler pendant un bout de temps. Alors, on s’est demandé comment les y aider. Parce qu’être fan, c’est, je pense, faire partie d’une communauté qui baigne dans le même état d’esprit. Ce n’était pas des concerts. On ne savait pas si ce serait possible, comment et combien de gens on pourrait rassembler. C’était donc des événements en extérieur avec des publics très réduits. Une manière de se retrouver.
Distribué par Rought Trade/Konkurrent. ****
Un groupe à deux têtes pensantes: Andrew Savage et Austin Brown. Un disque enregistré avec deux producteurs: John Parish et Rodaidh McDonald… Le septième album de Parquet Courts est celui de punks modernes new-yorkais anticapitalistes qui chassent le groove électronique et se réinventent sans perdre leur rock de combat. Il y a du Clash période Sandinista! (dans le mélange des genres), du Happy Mondays (dans Plant Life), du Can et de la club culture dans ces onze nouveaux chapitres. Youpie la vie…
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