Parquet Courts ouvre les yeux
Parquet Courts embauche Danger Mouse, s’ouvre au dub, au funk et questionne la dualité entre la joie et la colère.
C’est l’une des raisons du succès de Parquet Courts. Très sérieusement fringué, plus proche du prof d’unif que de la star mal embouchée, Andrew Savage est un intello (oh! le vilain mot) de la scène rock actuelle. Loin du je-m’en-foutisme branleur d’une Courtney Barnett et d’un Kurt Vile, Savage a le rapport franc, le verbe facile et le discours articulé. « Human Performance , pour moi, était un disque super mélodieux. Très personnel, vulnérable, émotionnel, introspectif. Wide Awake! est tout le contraire. Il regarde vers l’extérieur et se veut nettement plus rythmique. »
Originaire du Texas, le New-Yorkais a voulu se concentrer sur la dualité entre la colère et la joie. Il a aussi beaucoup réfléchi à comment les articuler. La rogne surtout. « Tu peux y arriver de façon agressive: une réaction pure et immédiate. Mais je ne voulais pas d’une colère destructrice. Particulièrement dans le climat actuel. Elle est déjà partout pour l’instant. Aux États-Unis comme dans le reste du monde, elle fait partie de notre identité. C’eut été malhonnête de l’ignorer et d’enregistrer un disque d’amour. » Savage tackle le nihilisme – « C’est ce qui explique l’élection d’un Trump »-, reconnaît la fâcheuse tendance à l’indifférence et déplore une violence omniprésente. « On avait déjà dealé avec le sujet sur plusieurs morceaux. Two Dead Cops, Uncast Shadow of a Southern Myth … C’est une dimension incontournable de la vie de tous les jours aux States. Tu allumes la radio en te levant et tu entends parler d’une fusillade… C’est tellement la routine que tu ne sais plus comment y faire face. Le titre Violence résume ma manière d’ouvrir grand les yeux. C’est un exercice particulier que de raconter des choses qui nous choquent et qu’on n’exprime plus parce qu’elles se sont normalisées. »
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NYC Observation parle de sans domicile fixe, de pauvreté, d’addictions à la drogue. Une drogue en particulier: la K2, soit un cannabis synthétique, une espèce de marijuana légale… « Ce sont des fleurs aspergées de produits chimiques. Ça reste en vente parce qu’ils n’arrêtent pas d’en modifier la formule mais c’est bien plus dangereux que la beuh. Les consommateurs deviennent accros. Ça tue, ça rend dingue. Il y a même eu une épidémie. Les magasins tout autour de la clinique de méthadone près de laquelle on répétait en vendaient. Tu croisais des zombies tous les jours au milieu de la rue. C’est une autre forme de violence quotidienne. »
Before the Water Gets Too High et Back to Earth roulent des pelles au dub. Mardi Gras Beads laisse échapper un doux parfum sixties et fait penser à du White Fence. Violence joue avec le fantôme d’un Gil Scott-Heron… Parquet Courts aime le punk et le funk, revendique l’influence de Parliament, Grace Jones, Augustus Pablo, Townes Van Zandt… « Funkadelic est l’un des groupes les plus punks et DIY de l’Histoire. J’adore l’énergie d’un James Brown mais aussi celle des Big Boys, des Minutemen, des Saints… C’était des groupes bizarres, une époque où le punk n’était pas aussi codifié qu’aujourd’hui… L’influence de Gorilla Biscuits, Youth of Today, Warzone s’entend, je pense, sur un morceau comme Total Football . Là où en écoutant In and Out of Patience , tu penseras peut-être à Void ou au Black Flag des débuts… »
Pour l’occasion, les Parquet Courts ont -c’est la première fois- eu recours à un producteur extérieur. Et ils n’ont pas fait les choses à moitié puisqu’ils ont embauché Danger Mouse, de son vrai nom Brian Burton. « On était sur le point d’entrer enregistrer quand Brian s’est manifesté. Je connaissais le Grey Album et Gnarls Barkley mais rien d’autre. Il voulait bosser avec nous. On a passé du temps ensemble, parlé musique. Il était vraiment emballé. Il y a toujours chez Parquet Courts cette attitude: OK, tentons le coup. On lui a dit tout de suite que ce ne serait pas un album du top 50. Que ce serait un disque bizarre. Il l’avait bien compris. On voulait un truc rythmique avec des batteries et des basses en avant. Il excelle là-dedans et il nous a permis d’éviter certaines habitudes dues à notre manière de travailler. »
Influencé par Hergé
Wide Awake! a été enregistré à l’Electric Lady à New York et au Sonic Ranch près d’El Paso, le plus grand complexe résidentiel d’enregistrement au monde. « C’est dans le désert. Un patelin appelé Tornillo. Ça fait du bien d’aller quelque part où tu peux être bruyant 24 heures par jour et travailler sans te soucier du quotidien. Il s’étend sur 6 000 hectares et cinq studios. Quand j’ai rencontré Karen O, elle m’a dit que c’était son studio préféré. Elle s’y est même mariée. »
Les deux ont bossé sur Milano. Le deuxième concept album consacré à une ville italienne (après Rome avec Danger Mouse) du compositeur Daniele Luppi. La fabrication du disque date de 2015 mais Andrew, qui en a écrit les paroles, n’a rencontré la Yeah Yeah Yeah que l’été dernier… « À la base, Mark Mothersbaugh devait chanter à ma place. Tout le monde dans le groupe est fan de Devo. Mais il était trop occupé pour s’investir pleinement dans le projet. Je chante donc finalement des textes que j’avais écrits pour lui… » Des textes qui parlent du Milan des années 80. « Daniele voulait sonner comme le New York des années 70. Il y a des parallèles évidemment: avidité, opulence, extravagance… Ce sont des capitales de la finance, de la mode, des médias. Des villes qui vont vite et sont orientées boulot. J’ai effectué pas mal de recherches. Daniele m’a expliqué beaucoup de choses, prêté des bouquins. » Savage ne peut s’en aller manger avant d’avoir commenté l’artwork du nouveau Parquet Courts. « Hergé a été une grande influence. Quand tu aperçois une pochette dans un magasin de disques, tu veux qu’elle te dise ce qu’il y a à l’intérieur. Je pense que c’est un album sur lequel tu peux danser. »
Wide Awake!, distribué par Rough Trade/Konkurrent. ****
Le 15/07 au Kreun (Courtrai).
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