On était au concert d’Aphex Twin à Dour : stupeurs et tremblements

© Joris Ngowembona
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Dimanche soir, Aphex Twin a créé l’événement sur la Last Arena de Dour. Pas de prisonnier pour un set aussi fascinant que déstabilisant.

Dans un festival, il existe au moins deux types de têtes d’affiche. Il y a d’un côté celles faites pour rassembler. Ce sont les plus répandues. Elles sont nécessaires, voire indispensables, pour attirer la foule. Et puis il y a celles pour l’Histoire. L’un n’empêche pas forcément l’autre. Mais en invitant Aphex Twin à venir clôturer sa Last Arena, dimanche soir, le festival de Dour a clairement choisi la 2e option, tout en se privant potentiellement de la première. Le DJ/producteur britannique reste en effet l’un des noms les plus influents et respectés de l’électronique. Mais avec une musique souvent expérimentale, dont même les contours les plus pop restent des anomalies totales. Le tout combiné avec un refus affiché de jouer le jeu promotionnel (il faut aller voir sa bio de présentation) et une tendance têtue à déjouer les attentes.

Le retour de Richard D. James à Dour – 14 ans après un premier passage – n’en restait pas moins un événement. Un joli coup même pour le festival, qui a réussi à se glisser dans la petite dizaine de dates, à peine, prévues en Europe. La mini-tournée accompagne la sortie d’un nouveau morceau – le premier d’Aphex Twin en cinq ans. Si Blackbox Live Recorder 21f étonne, c’est par son côté relativement accessible, se rapprochant des humeurs les plus ambient de l’intéressé. C’est d’ailleurs aussi sur ce mode-là que démarre le concert.

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Nouveau culte

Il est 23h, quand Aphex Twin débarque sur la Last Arena de Dour. Derrière lui, les éoliennes rappellent presque son fameux logo. Planqué dans la pénombre, derrière ses machines, il ne tarde pas à ouvrir le feu. D’abord en douceur. Nappes synthétiques enveloppantes, breakbeat accueillants, kick techno presque pop : la porte est grande ouverte. Mais c’est pour mieux refermer ensuite le piège.

Il paraît que le producteur bénéficie d’un retour de hype auprès de la Gen Z, fascinée par ses excès sonores. Devant lui, la plaine est en tout cas bien garnie. La surprise, c’est qu’elle va le rester. Car très vite, les choses se corsent. Les changements de rythme s’accélèrent. L’ambiance se tend. Dans un grand mouvement free, Aphex Twin pousse les curseurs, et multiplie les dérapages, tout stromboscopes allumés. Le geste est tranché. Au-dessus de la scène, un énorme cube sert de réceptacle à des visuels abstraits, auxquelles viennent se mêler lights tranchantes et lasers autoritaires. Dès que le beat s’affole, les lumières se mettent au diapason. La scène devient alors comme un tableau vivant de Pollock qui exploserait en direct. Ou encore un flipper qui tournerait fou. Jusqu’au ridicule.

Blague belge

Car, à Dour, Aphex Twin ne manque pas non plus d’humour. Probablement conscient que sa musique arty peut aussi vite passer pour prétentieuse, Richard D. James dégoupille volontiers tout sérieux. A Dour, par exemple, il projette les photos d’une série de Belges célèbres sur lesquels il colle sa propre tête – un paradoxe de plus pour un artiste qui a réussi à entretenir le mystère, tout en faisant de son visage quasi une marque. Aphex Twin prend ainsi successivement les traits de : Eddy Merckx, Jacques Brel, Angèle et Roméo Elvis, des Diables rouges, de Remco Evenepoel, des Red Flames… Mais aussi du teen band flamand K3, de Zwangere Guy, Annie Cordy, Salvatore Adamo, ou encore… James Deano. Une parenthèse aussi drolatique qu’absurde, qui arrive à point pour alléger le propos.

On peut aussi y voir un hommage aux connexions belges d’Aphex Twin. Pour rappel, c’est en signant sur le label gantois R&S qu’il va connaître ses premiers succès. Au début du set, il glisse d’ailleurs l’une ou l’autre boîte à rythme vintage, rappelant l’EBM. On pense même avoir reconnu une citation de Front 242, groupe pionnier de ce qui était, dans les années 80, une spécialité locale.

Furie sonore

Passé le clin d’œil, Aphex Twin ne lâche pas pour autant l’affaire. Comme le producteur change de mode régulièrement, on ne s’ennuie jamais. Mais le trip n’en est pas moins déstabilisant. On ne comprend pas toujours tout. En quelques secondes, Richard D. James peut ainsi passer d’un bourre-pif techno à une caresse ambient quasi new age. Laissant manifestement beaucoup de place à l’improvisation, il peut mêler arpèges de guitare acoustique et rythmes de drum and bass secoués. Dans la foulée, il se permet encore de vous coller au mur avec un beat jungle, compter jusqu’à trois, vous redéposer par terre, avant de balancer aussi sec une deuxième rasade.

On l’imagine fier de son coup. Le Dour festival, lui, peut être content du sien. Dans un contexte concurrentiel particulièrement aiguisé, les organisateurs n’ont pas hésité à se faire plaisir, quitte à prendre des risques. Payants, pour le coup.

Dans la dernière ligne droite, Aphex Twin n’hésite pas à pratiquer la politique de la terre brûlée. Le BPM s’affole alors, quasi jusqu’au gabber, tous les potards dans le rouge. Il est près d’1h du matin. On est tenté de faire la métaphore entre la fureur sonore et le chaos de l’époque. Mais à ce moment-là, on a plus simplement l’impression qu’une dizaine de boeing 747 sont en train de décoller en même temps de la scène. A moins que ce ne soit les portes de l’Enfer qui s’ouvrent en direct?

Juste derrière, les éoliennes, elles, continuent en tout cas de tourner placidement…     

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