On a vu Radiohead à Amsterdam: beauté glacée

Thom Yorke, chanteur de Radiohead, au Heineken Music Hall d'Amsterdam, le 20 mai 2016. © AFP/Paul Bergen
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Samedi, pour le deuxième concert amstellodamois du lancement de sa tournée mondiale, Radiohead, souvent brillant, est aussi apparu comme un groupe assez génialement ennuyeux.

20h30, samedi soir. Sous l’égide bienveillante de six écrans découpés façon photomaton horizontal, Radiohead laisse patiemment monter la sauce de Burn the Witch, où le sacrifice des orchestrations très Viva la Vida du morceau ouvre un boulevard à la basse vrombissante de Colin Greenwood tandis que son frangin Jonny maltraite gentiment sa guitare au moyen d’un archet. Attendue, l’affaire ne décollera jamais vraiment. Et, après tout, ce n’est peut-être pas l’idée puisque, directement dans la foulée, le groupe d’Oxford se fend (déjà) de sa première « ballade ». Assis au piano, Jonny Greenwood, toujours lui, semble laisser courir ses doigts sur les touches en mode aléatoire puis donne peu à peu corps à l’intro d’un Daydreaming lunaire (comme on dirait aux Inrocks) à l’intensité voisine de celle d’un rêve méandrique (comme on dirait chez The Drone). Talent pur: dans un silence de mort à la troublante solennité, Radiohead impose le respect sur la pointe des pieds. Le concert a à peine commencé qu’il a déjà atteint son apogée.

Suivent Decks Dark, Desert Island Disk et Ful Stop qui confirment, à défaut de convaincre totalement, que la bande à Thom Yorke est bien occupée à débiter son nouvel album, A Moon Shaped Pool, dans l’ordre et par le menu. Radiohead sonne pro(pre), précis, mais donne aussi l’étrange impression de jouer au ralenti. Et en sourdine, malgré les évidentes qualités acoustiques du Heineken Music Hall amstellodamois (3000 mètres carrés pour une capacité de 5500 personnes et un son largement meilleur -cette blague…- que celui d’un Forest ou même d’un Sportpaleis).

Lucky marque la première incursion vers le passé discographique du groupe. There There, Lotus Flower, All I Need… Chaque début de titre est invariablement accueilli sous les vivats fugaces d’un public de bûcherons biberonnant sinon essentiellement à l’amidon. Il faut dire que si le groupe s’adjoint ponctuellement les services d’un deuxième batteur (Clive Deamer de Portishead), il semble vouloir se borner à s’adresser davantage à la tête qu’au coeur ou qu’aux jambes. À distance éminemment respectable de toute tentation de geignardises vocales, Yorke, lui, esquisse quelques simili-danses de fleur de lotus ou ricane comme une hyène dans son micro, joue avec les nerfs de la foule et feint de jouer Creep, entrouvre quelques brèches mais ne tombe jamais véritablement le masque.

Karma Police, Street Spirit et Idioteque s’imposent logiquement en moments phares d’un double rappel qui balaie large. En véritable léviathan du rock moderne, Radiohead digère toutes les chapelles -electronica, jazz, musique contemporaine, blues africain…-, qu’il régurgite en élève certes diablement inspiré mais aussi appliqué à l’extrême. Rois du teasing et de la sortie événementielle, de la référence cachée et du halo de mystère, les mecs se dévoilent au fond sur scène comme dans leur comm’: en épatants control freaks très peu rompus à l’art du lâcher-prise. Alors oui, certes, on reste un peu à quai, mais malgré tout bluffé par la maîtrise. Ça doit être ça, au fond, le quai des orfèvres.

SETLIST: Burn the Witch / Daydreaming / Decks Dark / Desert Island Disk / Ful Stop / Lucky / There There / Lotus Flower / All I Need / Talk Show Host / Identikit / The Numbers / Present Tense / Separator / Nude / The National Anthem / Everything in Its Right Place // Give Up the Ghost / How to Disappear Completely / Karma Police / Bloom / Street Spirit (Fade Out) // Bodysnatchers / Idioteque

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