
On a vu Mustafa à l’église Notre-Dame de Laeken: entre consolation folk et stand-up spirituel
En tournée, le Canadien Mustafa se produisait lundi soir à l’église Notre-Dame de Laeken. Compte-rendu d’un moment suspendu, mêlant confessions folk, questionnements religieux, traits d’humour désespérés. Et un invité-surprise!
« Qui aurait pu croire un seul instant que ce serait un musulman qui vous ramènerait dans une église ? », s’amuse Mustafa. Et l’assemblée d’exploser de rire avec lui. Organisée par le Botanique, l’unique date belge de la tournée mondiale du chanteur canadien n’avait en effet pas lieu dans l’une des salles habituelles. Mais bien à l’autre bout de l’avenue de la Reine : en l’église Notre-Dame de Laeken.
Lundi soir, Mustafa Ahmed est venu y présenter son premier album, Dunya, sorti à l’automne dernier. Fils d’immigrés soudanais, il y raconte la vie dans l’un des quartiers les plus pauvres de Toronto, gangréné par les gangs – en 2021, son premier essai When Smoke Rises était dédié à son meilleur ami tué par balle en pleine rue. Ces violences, il ne les raconte pas en rappant de manière désenchantée sur un beat drill. Mais bien sur des folk songs dépouillées, plus proche de Sufjan Stevens que de Chief Keef, chantant les louanges de Dieu, autant que les doutes inhérents à sa foi. Par ailleurs, celui qui a pu écrire pour des pop stars comme Justin Bieber ou The Weeknd a collaboré aussi bien avec Aaron Dessner (The National) que Rosalià, Clairo ou le producteur chilien Nicolas Jaar. Quelques jours auparavant, à Londres, il était également accompagné sur scène par Sampha.
Seul en scène
Cette diversité, on a pu la retrouver aussi, pour une fois, dans le public présent lundi soir : croyants et non-croyants, militants et simples fans de pop, jeunes et vieux, bobos et femmes voilées, hétéros et gays. Ce que la musique peut faire, parfois… Voire la religion ? – étymologiquement « relier », « rassembler », si l’on se rappelle bien de nos anciens cours de latin. Les premières minutes du concert de Mustafa ressemblent d’ailleurs fort à une célébration. Vêtu d’un simple qamis kaki, l’héritier spirituel de Cat Stevens est juste entouré de deux guitaristes/joueurs de oud, en tunique blanche. Droit comme piquet sous les immenses voûtes de l’église, la posture hiératique, Mustafa prononce quelques mots, et délivre le premier couplet de Nouri dans un silence impressionnant. Dès le morceau suivant – What Happened Mohamed ? -, toutefois, le corps se délie. Assis sur une chaise, le dos courbé, il allong les bras, se fait plus conteur de rue que mystique.
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D’ailleurs, il va passer une grande partie de l’heure et demie à parler entre les morceaux. « Je ne pensais jamais me retrouver sur scène, encore moins effectuer une tournée mondiale. Donc forcément, cela ne peut pas être tout à fait un concert « traditionnel » ». Le récital folk se transforme alors volontiers en seul en scène. « Vu la musique que je fais, explique-t-il encore plus tard, je suis obligé d’éclaire les morceaux, de les entourer d’un contexte. » Et les interludes de se multiplier. De ces nombreux moments de parole, Mustafa aurait pu en faire une tribune prosélyte – « J’espère que vous n’allez pas être trop vite fatigués d’entendre un mec parler en permanence d’un truc dans lequel vous ne croyez pas… ».
Mais si Dieu est partout dans ses paroles, c’est autant pour le célébrer que le questionner. D’autant que, du point de vue des canons religieux, Mustafa est conscient qu’il ne rentre pas complètement dans le moule du musulman pieux modèle – « Je n’aime pas le terme islamophobie, parce qu’il généralise et stigmatise les musulmans. Alors que, moi aussi, certains musulmans me font peur ! », se marre-t-il.
Noir, musulman et en danger
Plus curieusement, il ne fait pas davantage de la scène une tribune politique. Sinon pour présenter sobrement son morceau Gaza is Calling, expliquant qu’il n’avait jamais imaginé que son appel – écrit avant le 7 octobre 2023 – allait prendre une telle ampleur tragique. ll va falloir constituer des « archives des silences » assourdissant entourant la situation au Proche-Orient, précise-t-il encore. Ce soir-là, il doit d’ailleurs le recommencer – « certaines chansons sont plus compliquées à chanter que d’autres ». Avant que les notes d’oud ne prennent, pour la première fois de la soirée, une texture plus agressive et métallique…
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Réfugiée dans une église, les chansons de Mustafa n’en oublient donc pas le chaos du monde extérieur. Pas plus qu’elles ne s’interdisent des aspirations spirituelles. Une quête de sens à laquelle la pop n’est pas habituée, et qui peut poser question. Après tout, c’est un drôle de jeu d’équilibriste auquel s’adonne Mustafa, exprimant une foi sincère à travers des morceaux folk, chantés dans une église. Mais c’est justement parce qu’elle ne se laisse pas facilement contenir ou résumer, que la démarche du chanteur est intrigante. Il peut ainsi chanter la vie des gangs sur un riff d’oud, ou se confier à Dieu au son d’une steel guitar aux accents country. Sur scène, il arbore à la fois un durag de rappeur sous le kufi traditionnel, et un gilet pare-balles sur lequel est écrit le mot « poet ». « Pour que je n’oublie aucune de mes identités : je suis noir, musulman, et… en danger », explique-t-il, en riant (jaune).
L’ami Tamino
Originaire d’un pays en guerre, élevé dans un quartier rongé par la violence, Mustafa a plus d’une fois fait l’expérience du deuil. « Et j’ai pu saisir à quel point il se vivait à travers des émotions extrêmes, d’un côté une tristesse infinie et, à l’autre bout du spectre, une certaine forme d’humour. » De fait, à force de prendre le temps entre chaque morceau pour parler, le concert n’est pas loin de virer quasi, non pas au prêche, mais bien au numéro de stand-up – il faut l’entendre, à moitié-hilare, parler de son père, musulman rabique, refusant que ses enfants regardent The Grinch, jusqu’à ce que ceux-ci lui expliquent que le croque-mitaine voulait voler précisément la fête de Noël !
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Dans la dernière ligne droite, heureusement, Mustafa redonne plus de place à ses chansons. Des mélodies folk bienveillantes, qui font de leur douceur et de leur tendresse un « acte de résistance ». A l’instar de I’ll Go Anywhere. Ou du morceau final, pour lequel il invite « l’un de mes meilleurs amis, originaire d’Anvers » : Tamino. Sous les youyous d’une partie du public, et le regard des statues religieuses, ils concluent alors avec Name of God. Tandis que Mustafa tord son long corps dans un danse traditionnelle soudanaise (Hadandawa), Tamino reprend la mélodie : « Whose Lord are you naming/When you start to break things? ». Une dernière question pour la route, illustration d’un concert qui aura moins cherché à conforter les certitudes, qu’à réconforter.
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