On a écouté le nouvel album de Billie Eilish, Hit Me Hard And Soft : sous la pop mellow, le fun malgré tout
Album - Hit Me Hard And Soft
Artiste - Billie Eilish
Genre - POP
Label - Universal
Critique - L.H.
Trois ans après Happier Than Ever, Billie Eilish revient avec Hit Me Hard And Soft, troisième album plus libéré. Premières impressions.
En ouverture de son nouvel album, Hit Me Hard And Soft, sur le titre Skinny, Billie Eilish fait mine de s’inquiéter : “Am I already on the way out?”. Poussée vers la porte de sortie, vraiment ? Certes, après le carton phénoménal de son premier album en 2019 – When We All Fall Asleep, Where Do We Go ? –, le disque suivant – Happier Than Ever –, sorti deux ans plus tard, avait fonctionné (un peu) moins bien. De là à y voir, comme certains l’ont suggéré sur les réseaux, un flop , il y a une marge… Entre-temps, la jeune chanteuse américaine s’est lancée dans une tournée mondiale qui l’a occupée jusqu’en avril de l’an dernier. Retrouvée tête d’affiche aussi bien à Glastonbury qu’à Coachella. A sorti un EP surprise (Guitar Songs). Gagné l’Oscar de la meilleure chanson originale pour le James Bond No Time To Die en 2022. Et remporté le Grammy de la chanson de l’année, ainsi qu’un nouvel Oscar, pour What Was I Made For, écrite pour le film Barbie, début de cette année. Pas mal pour une star sur le déclin…
Dans une année où les reines de la pop ont décidé d’occuper tout l’espace – de Beyoncé à Taylor Swift, en passant par Lana Del Rey, Olivia Rodrigo, Dua Lipa, Ariana Grande, etc -, Billie Eilish ne pouvait manquer à la fête. Il y a un peu près un mois, la machine promo était donc lancée. Savamment – la story Instagram publiée en « close friends » mais visible par tous. Mais, au fond, relativement sobrement. Et surtout, sans single annonciateur. C’était le deal : cet album, dixit l’intéressée, il va falloir, si possible, l’écouter d’une traite, comme un tout. Contradictoire avec la manière de consommer la musique de la fameuse Gen Z, dont elle est censée incarner l’esprit ? Au fond, s’il y a bien une leçon tirée de Happier Than Ever, c’est celle-là. Pas besoin de briser les hit-parades et les plateformes, à coup de tubes. Même sans Bad Guy ou Bury a Friend, un album peut vivre.
Ils ont tué, Billie!
Dès le titre suivant, cependant, le ton change. Dans une interview donnée à Rolling Stone, son frère Finneas décrivait ainsi le plot twist : « quand la batterie arrive », c’est comme si on tuait le personnage principal d’un film. « C’est comme si Drew Barrymore apparaissait dans les cinq premières minutes de Scream et qu’ils la tuaient. Tu serais là : ils ne peuvent pas tuer Drew. Oh mon Dieu, ils ont tué Drew ! ».
Lire aussi | Billie Eilish, icône Gen Z
Billie Eilish démarre ainsi Hit Me Hard And Soft, là où Happier Than Ever l’avait laissée : dans les marécages poisseux d’une hypercélébrité toujours plus pénible à gérer. « When I step off the stage, I’m a bird in a cage”, chante-t-elle, toujours sur Skinny. Ajoutant même plus loin : “And the internet is hungry for the meat, it’s kinda funny that somebody’s gotta feed it”… La dure vie de star, toujours plus entourée, toujours plus isolée… Le morceau en question est une ballade mélancolique, ponctuée par des cordes lancinantes. Billie Eilish chante comme dans un voile, presque au bord des larmes.
Pop chamallow
Dead, l’ancienne Billie ? A voir. Car, pour l’essentiel, Hit Me Hard And Soft continue de creuser les mêmes thématiques d’errance amoureuse et de malaise existentiel. Il reste aussi l’œuvre d’une fratrie – Billie et Finneas O’Connell – qui n’aime rien tant que rester dans sa bulle. Et de repenser à la rumeur annonçant un duo avec Aya Nakamura (Internet tu es parfait, ne change rien). Surtout, Billie Eilish reste cette star capable de remplir des stades à coup de chansons mid-tempos aux humeurs chamallow. Il y a bien ici l’une ou l’autre exception. Wildflower et The Greatest, par exemple, sont ce qui se rapproche le plus de torch songs grandiloquentes. Mais dans l’ensemble, Hit Me Hard And Soft reste calée sur une palette pop pastel.
Billie Eilish n’enregistre peut-être plus dans sa chambre. Mais sa musique dégage toujours ce sentiment de cocon. Une sorte d’abri rassurant, où peuvent s’exprimer toutes les angoisses (post-)ado. Sur la pochette, Billie Eilish semble couler au milieu de l’océan. Nevermind, aurait dit Nirvana. A moins que la chanteuse ne dise justement adieu à l’ancienne Billie, toute de noir vêtue. Une seule image, tellement d’interprétations. Alors qu’au fond, Billie Eilish a peut-être juste envie de s’amuser ?
Libérée, délivrée
Car, du fun, il y en a ici aussi. A commencer par Lunch, love story lesbienne, emmenée par une basse kinky. Il y a quelques temps encore, Billie Eilish était accusée de jouer avec les codes queer à des fins marketing . A l’époque, en se passant de réagir, laissant planer l’ambiguïté. Aujourd’hui « outée », elle ose dire : « Je pensais que tout le monde était au courant ! » . La star semble ainsi aujourd’hui plus libérée. Birds Of A Feather, par exemple, a la légèreté et l’insouciance d’un tube FM pop eighties, tandis que Chihiro est une rêverie électro à la douce lumière balearic. De son côté, L’amour de ma vie, qui n’a de français que de titre, décrit l’amour perdu avec un détachement fifties délicieux. Au deux-tiers du morceau, le morceau mute vers des décors plus synth-pop, façon Blinding Lights. Ce n’est pas la seule fois d’ailleurs que Billie Eilish s’amuse à switcher en cours de route. On pense par exemple à Bittersweet qui tourne autour d’un gimmick reggae louche, pour se noyer dans des nappes de synthé ténébreux.
Visible sur Youtube, l’une des interviews les plus touchantes de Billie Eilish est celle qu’elle a donnée entre 2017 et 2022, pour le magazine Vanity Fair, répondant aux mêmes questions chaque année. La dernière fois, elle revenait notamment sur celle qu’elle était à la sortie de Happier Than Ever. Ou plutôt sur celle qu’elle avait décidé d’être, à défaut d’être vraiment consciente de qui elle était. Sur son nouvel album, Billie Eilish donne parfois l’impression de ne toujours pas savoir, musicalement du moins. Mais au moins, cette fois, elle a décidé de ne pas s’en soucier. Et, au fond, cela lui va plutôt bien.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici