Critique | Musique

On a assisté au concert de Madonna: sous les tubes, la rage de vivre

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Concert - Madonna

Date - 21/10/2023

Salle - Sportpaleis

Critique - L.H.

Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Arrivée avec plus d’une heure de retard sur scène, pour le premier de ses deux concerts au Sportpaleis d’Anvers, Madonna a plié mais n’a pas rompu. Avec une flopée de tubes, du grand spectacle, des danseurs, ses enfants en guests. Et un voile de mélancolie inédit.

Quelle Madonna a votre préférence? Faites votre choix. Au bout de deux heures de show, elles sont quasi toutes là, rassemblées sur scène. Chacune est incarnée par un danseur/danseuse : la bonne copine, la provocatrice, la battante, l’obsédée sexuelle, la tubeuse en série, l’icône gay, l’actrice, la lolita post-new wave, etc. Et puis, quand même, au milieu, la seule et l’unique. Celle qui synthétise à elle seule tous ces alias : Madonna, aka Louise Ciccone.

Elle s’est faite désirer, arrivant plus d’une heure après l’horaire annoncé. Mais la mission de départ est accomplie. Elle était claire : après avoir fêté en août dernier ses 65 ans, et, juste avant, les 40 ans de son premier album, la Queen of pop était venue réclamer une nouvelle fois son trône. D’ordinaire, elle mettait un point d’honneur à le faire avec du nouveau matériel. Pour la première fois, avec sa tournée baptisée Celebration, elle cède au principe du concert best-of.

© getty

Sous la boule à facettes

Si les hits ont plu à Anvers, raccord avec la météo, la star ne s’est pas contentée de dérouler en mode juke-box. On comprend vite que cette tournée est l’occasion pour l’une des icônes pop les plus importantes, et controversées, du XXe siècle d’inscrire une bonne fois pour toute sa version de l’histoire dans le marbre. Elle qui a à la fois marqué l’oreille. Mais aussi la rétine de plusieurs générations. Quand le comédien drag Bob The Drag Queen fait son entrée au milieu du public, déguisé en Marie-Antoinette, il renvoie directement à la performance de Madonna au MTV awards de 1990

Le maître de cérémonie ouvre le livre-souvenir : « L’histoire démarre en 1978, à New York City »… Soit le moment où la jeune aspirante chanteuse/danseuse débarque du Michigan avec 35 dollars en poche. Quatre ans plus tard, elle sort son premier single, directement un hit : Everybody.

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Dans un Sportpaleis sold out, il est dégainé, juste après la déclaration de Nothing Really Matters« I’ll never be the same because of you ». Into The Groove et Holiday le suivent de près, sur fond d’images d’archives eighties. Elles évoquent la Danceteria, club où elles avaient ses habitudes, et le Paradise Garage, où l’on pouvait croiser Jean-Michel Basquiat et Keith Haring. Sans musiciens, entourée de ses danseurs, Madonna fait le show. Même si son genou gauche blessé (elle porte une genouillère) l’empêche d’exécuter ses chorégraphies habituelles. Et que les versions sur bandes se retrouvent par moment réduites à une bouillie dance quelconque…

La fête est finie

Au milieu de cette première volée de tubes, Madonna prend le temps de s’arrêter deux secondes. Se postant sur l’une des avancées de la scène dans la public, elle prend la parole, bière à la main. L’occasion de saluer ses deux chorégraphes belges (Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet). Et de se remémorer ses premiers pas de chanteuse. Elle entame alors, seule à la guitare, Burning Up, tout en distorsion et gros riff teigneux. Pas vraiment le genre de séquence à laquelle on s’attend dans un concert de Madonna. Mais, après tout, ces années-là, de la boule disco à la déglingue punk du CBGB’s, il n’y avait souvent qu’un pas…

Le tableau suivant est sans doute l’un des plus réussis du concert. Aux années folles succèdent la tragédie du sida. Encadrée dans une boite qui survole le public, Madonna donne une version émouvante de Live To Tell. Autour d’elle, s’affichent les visages des premières victimes, connues, du virus : Martin Burgoyne (l’un de ses premiers soutiens, qui a dessiné la pochette de Burning Up), Alvin Alley, Freddie Mercury, Tina Chow,…

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Quand Madonna redescend, elle enfile une tenue de pénitent. Au centre de la scène, le plateau est occupé par une sorte de roue (de torture ?). Dans chaque engrenage, un danseur, torse nu, masqué de cuir, une croix allumée derrière lui. Bientôt, ils se suspendront à la manière de crucifiés. C’est Like A Prayer, provoc’ mêlant sexe et religion qui avait fait frémir l’église catholique à l’époque : près de 35 ans plus tard, on se surprend à penser qu’elle n’a peut-être pas perdu tout son potentiel sulfureux.

En famille

La suite de l’histoire est un peu plus confuse. Il y a évidemment un passage sur les facéties érotiques de Madonna, revendiquant une libération sexuelle qui ne se ferait pas qu’au bénéfice des hommes. La star prend ainsi les commandes sur Erotica ou Justify My Love. Tout en enchaînant avec Hung Up, le premier vrai feu d’artifice du concert, réveillant un public jusque-là un peu mou. Juste derrière, la sexagénaire en nuisette rouge chante Bad Girl, accompagnée de sa fille Mercy, au piano.

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Dans le tableau suivant, elle est encore rejointe par ses deux autres filles jumelles. L’une derrière des platines (Estere), l’autre pour danser au milieu de la troupe (Stella), pour le passage consacré à Vogue. Sorti en 1990, le single avait permis de populariser le vogueing et la culture ballroom, à qui Madonna rendait hommage. Tout comme l’a fait Beyoncé, sur sa dernière tournée Renaissance. Dans un court extrait vidéo, l’intéressée souligne d’ailleurs tout ce qu’elle doit à Madonna. Comme si celle-ci devait être rassurée ?

En prise au doute

Il est vrai que les derniers albums de la Queen of pop ont moins marqué les esprits. En outre, cela fait longtemps qu’elle n’a plus « scoré » de numéro un dans les charts. Pour autant, dans un ère où le féminisme pop a pris les commandes, son influence reste incontournable. De Beyoncé (le remix Break My Soul/Vogue) donc, qui lui a rendu hommage dans chacun de ses derniers concerts, à Bad Bunny, artiste le plus streamé au monde, qui vient encore de sampler l’un de ses morceaux (Vogue, justement) sur son dernier album.

Malgré cela, Madonna semble par moments vaciller, comme en prise au doute. A plusieurs moments du concert, revient ainsi une sorte d’avatar. Un double d’elle-même, à différentes époques. Elles se tiennent par exemple la main, amoureuses, sur Crazy For You, et se retrouvent même à partager le même lit, sur Justify My Love, se caressant langoureusement. Ou de l’importance de s’aimer soi-même… Plus tôt dans le concert, quand elle se rappelle ses tout débuts, Madonna avoue cependant aussi à son alter ego : « Parfois, j’ai pu t’oublier ». C’est dit avec une mélancolie dont on n’est pas forcément habitué de la part de Madonna.

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Spleen

Le concert n’est d’ailleurs pas qu’une grande fête débridée. Il y a évidemment la version techno explosive de Ray Of Light – Madonna dans les airs, ses danseurs en rangs serrés façon La Horde. La pop bubblegum des années 80 – une chenille sur Holiday. Et, oui, l’euphorie dance de Vogue. Mais le show n’est pas que tubes – il en manque d’ailleurs de fameux, tels Music, Material Girl, etc.

C’est que Madonna n’a jamais été une star comme les autres. Très vite, elle a utilisé le format pop faussement léger pour en faire un outil de débat et de revendication – féministe, antidiscriminations, pro-LGBT, etc. S’il y a Célébration, elle n’est donc jamais uniquement simple divertissement.   

Cette fois, cependant, la star y a ajouté également un voile de spleen inédit. C’est sans doute logique dans un concert rétrospectif. Mais le nombre d’hommage aux disparus est frappant. L’ombre de Prince apparaît par exemple brièvement, pendant Like A Prayer, tandis que Bowie, Nina Simone ou Sinead O’Connor font partie des nombreux portraits affichés pendant La Isla Bonita. Même Michael Jackson, le King of Pop, vient danser avec Madonna, la Queen of Pop, dans un medley Billie Jean/Like A Virgin. Et tant pis si son aura a été largement égratignée par les accusations de pédophilie…

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Un miracle

Madonna ressort également Mother and Father (l’album American Life, en 2003), revenant sur la mort de sa mère, d’un cancer, quand elle était âgée d’à peine 5 ans. Elle chante accompagnée de son fils David Banda, à la guitare, entourés des portraits de sa propre mère, et de la mère biologique de son fils, décédée des suites du Sida. Pour la deuxième fois de la soirée, elle prend alors le temps de parler au public. Pour revenir sur son enfance. Mais aussi sur les graves problèmes de santé auxquels elle a dû faire face l’été dernier. Hospitalisée en urgence pour une infection bactériologique fin juin, elle a dû être intubée, et placée dans le coma. « C’est un miracle que je sois ici. » Et d’ajouter, la voix tremblante, le regard embué : « Je ne me sens pas très bien pour le moment, mais je ne peux pas me plaindre, je suis vivante ».

On ne se rappelle pas d’avoir vu un jour la star si fragile, et désemparée. Certes, la pro va vite reprendre le contrôle des choses. Pas question de gâcher la fête. Elle était d’ailleurs spectaculaire. En toute fin, dans un dernier rappel de l’épopée pop étalée sur 4 décennies de Madonna, on l’entend encore expliquer dans une ancienne interview de 2016: « I think the most controversial thing I’ve done is to stick around. » Non seulement Madonna est « restée dans les parages ». Mais sa tournée rappelle à quel point elle a révolutionné la pop. Qu’elle se pare en plus de nuances plus mélancoliques ne la rend que plus spéciale.   

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