Oasis, Supergrass, Pulp, Suede… Les raisons du come-back de la Britpop

Le retour d’Oasis: un des signes du grand come-back de la Britpop
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Reformation d’Oasis, tournée d’anniversaire pour Supergrass, nouvel album pour Pulp et maintenant Suede. Les héros de la Britpop sont de retour…

Le 4 juillet dernier, seize ans après son sabordage aussi spectaculaire que pathétique à Rock en Seine, Oasis renaissait de ses cendres et donnait à Cardiff, au Pays de Galles, le coup d’envoi d’une tournée de 41 dates qui ne s’arrêtera pas (ça devrait être pour l’an prochain) en Europe continentale mais qui se promènera aux Etats-Unis et au Canada avant d’attaquer d’ici la fin de l’année l’Asie, l’Australie et l’Amérique du Sud. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Environ 1,4 million de tickets ont été vendus rien que pour les concerts d’Oasis au Royaume-Uni. Soit 240 millions de livres, selon une étude de la banque Barclays. En ajoutant les produits dérivés, les revenus dans le pays étaient supposés atteindre les 400 millions bruts. Matt Grimes, spécialiste de l’industrie musicale à la Birmingham City University, est l’un des rares analystes à s’être risqué ouvertement à une estimation chiffrée. Selon lui, le cachet s’élèverait à 40 millions bruts par Gallagher, rien que pour les 17 dates britanniques.

A ce prix-là, les frères pouvaient bien mordre sur leur chique et enterrer la hache de guerre. Ils ne sont pas les seuls à en profiter. Selon Barclays toujours, chaque spectateur d’Oasis au Royaume-Uni était censé débourser en moyenne 766 livres sterling (billets, transport, logement, merchandising…). Plus d’un milliard de livres (1,16 milliard d’euros environ) injectés dans l’économie britannique.

Même Damon Albarn, le chanteur de Blur, jadis leur ennemi juré, encore à l’affiche de Coachella l’an dernier, a reconnu la victoire des Mancuniens. «On peut officiellement dire qu’Oasis a gagné la bataille, la guerre, la campagne, la totale. Ils ont gagné. Ils prennent la première place. Devant des preuves à ce point irréfutables, j’accepte et j’admets la défaite avec joie. C’est leur été et que Dieu les bénisse. J’espère que tout le monde s’amusera, mais moi je serai dans un tout autre état d’esprit.»

Rock et patriotisme

Il y a 30 ans, Blur et Oasis étaient à la fois les enfants terribles et les fers de lance de la Britpop. Sous-genre du rock alternatif, le mouvement s’est développé au Royaume-Uni dès le début des années 1990. Réaction à la névrose énervée du grunge (Nirvana, Pearl Jam…) ainsi qu’au son éthéré et bruyant du shoegaze (My Bloody Valentine, Slowdive…) tous deux particulièrement populaires à l’époque, la Britpop se caractérise par un rock plus traditionnel, des mélodies de guitare accrocheuses, des refrains pop souvent entraînants et un son taillé pour les radios.

En 1995, Supergrass dégainait I Should Coco. © Redferns

Après des années 1980 durant lesquelles la jeunesse anglaise rejetait avec véhémence tout sentiment d’identité nationale, la Britpop faisait preuve de patriotisme. Elle répondait à une envie de grandeur britannique. A une volonté affichée d’à nouveau hisser la scène locale au sommet des charts mondiaux. Fini le sentiment de honte et l’autoflagellation. Tout ce qui était anglais était désormais considéré comme cool.

British beat, pop psychédélique, musique de mods et rock garage pour les sixties (les Beatles, les Kinks, les Who…). Glam, punk et new wave pour les années 1970 (Bowie, T-Rex…). La Britpop aime New York, Lou Reed, les Ramones et les Talking Heads… Mais elle s’inspire surtout énormément des musiques qui l’ont précédée sur son propre sol. Elle se démarque aussi par ses textes et son imagerie naturalistes. Elle parle de la vie quotidienne et de la culture des classes populaire et moyenne anglaises. Ce qui explique finalement le succès limité du genre dans les autres pays anglophones qui s’y retrouvent un peu plus difficilement.

La Génération Z apprécieraient les punchlines des frères Gallagher en interview.

Mode et nostalgie

Plombée par la réception mitigée du troisième Oasis et la volonté qu’affichait Blur de prendre ses distances avec le courant, la Britpop a amorcé son déclin commercial et critique à partir de 1997. Comment se fait-il dès lors que les frères Gallagher aient pulvérisé il y a quelques semaines le record de vente de bières à Wembley en générant des achats dépassant les deux millions de livres sterling (250.000 pintes par soir)?

Comment expliquer que sur Instagram et TikTok, des jeunes se filment en train de se coiffer et de s’habiller comme Liam et Noel. Tandis que les t-shirts floqués du logo Oasis ont à nouveau envahi les rayons des Marks & Spencer et même pris d’assaut les Urban Outfitters, enseigne prisée des ados et des jeunes adultes?

Déjà parce que l’histoire de la musique est cyclique et parce que l’industrie du divertissement a un faible pour les dates d’anniversaires. 1995 est considérée comme l’apogée de la Britpop. En 1995, les singles Country House et Roll with It se battaient pour la tête des charts britanniques. Oasis sortait (What’s the Story) Morning Glory? Supergrass dégainait I Should Coco. Tandis que Pulp brillait avec Different Class

Nostalgie? Pour beaucoup de quadras, le retour d’Oasis est l’occasion rêvée de revivre sa jeunesse. Puis aussi de raconter cette période de leur vie et de leur adolescence à leurs enfants. Connue sous le nom de «Cool Britannia», la seconde partie des années 1990 au Royaume-Uni était à la fois marquée par un renouveau culturel, artistique et politique. En 1996, l’Angleterre se hissait jusqu’en demi-finale de l’Euro de football organisé sur ses terres. Tandis que l’année suivante, le travailliste Tony Blair accédait au pouvoir, porté par une grande vague d’optimisme.

Mais Oasis et les années 1990 ne parlent pas qu’aux vieux qui regrettent un temps que les moins de 30 ans ne peuvent pas connaître. Ils parlent aussi à tous ces jeunes qui se sont réapproprié les bobs et les pantalons baggy… La Génération Z -celles et ceux nés grosso modo entre 1997 et 2012- considèrerait cette époque comme moins stressante que la leur marquée, par de grands bouleversements climatiques et des guerres violentes ultra médiatisées… Elle apprécierait aussi l’honnêteté (et les punchlines) des frères Gallagher en interview. Le genre de sorties assez rares de nos jours dans la pop et le rock, avec des stars qui pèsent et soupèsent leurs mots bien encadrés par leurs équipes de com.

Julie Whiteman, professeure en marketing à l’université de Birmingham, avait 20 ans en 1995. Si elle reconnaît le revival, elle se refuse à toute idéalisation. «C’était une période assez misogyne, assez intolérante, commentait-elle récemment auprès de l’AFP. Il y avait peu d’espace pour s’exprimer pour les femmes, pour ceux qui appartenaient à une minorité ethnique, ou ceux qui n’étaient pas hétérosexuels. Ce n’était pas seulement un moment cool, c’était une époque compliquée, comme le sont toutes les époques.»

Loin de la simple nostalgie, il semblerait vraiment cool d’être British en 2025, postulait récemment le Courrier international tout en évoquant un patriotisme relax. Pour la Une de son édition du mois d’août, le magazine de mode Tatler a titré «Cool Britannia is back» en faisant poser Molly Moorish-Gallagher et Sonny Ashcroft, la fille de Liam (chanteur d’Oasis) et le fils de Richard (chanteur de The Verve), devant l’Union Jack. Le maga britannique ne manquait pas de noter que le style de vie de ces enfants de stars était «fait de retraites bien-être et de jardinage». En tout cas bien loin «des cachets d’ecstasy et des rave-parties dans des souterrains» de leurs parents. Do you remember the first time?

SuedeAntidepressants

Distribué par BMG.

La cote de Focus : 2,5/5

«Si Autofiction était notre album punk (rien à voir avec les Sex Pistols, The Clash, les Damned ou les Buzzcocks, on vous aura prévenus), Antidepressants est notre disque post-punk.» Au moment d’annoncer la couleur du nouveau Suede, Brett Anderson parlait des tensions de la vie moderne, de paranoïa, d’angoisse, de névrose. De musique brisée pour des gens brisés. Enregistré en live à Londres, Stockholm et… Bruxelles (aux studios ICP évidemment) avec leur producteur le longue date Ed Buller (Pulp, The Raincoats, White Lies…), Antidepressants devait à la base être la bande-son d’une performance artistique mais s’est muée en disque de rock noir pour stade de foot. Un dixième album, le cinquième depuis leur reformation en 2010, plus proche des Editors que de Joy Division… Intense certes, mais pas particulièrement excitant.

J.B.

Et pendant ce temps…

Supergrass

Fortement marqué par les années 1960, la musique des Small Faces, des Kinks et des Who, mais aussi par l’urgence de The Jam et des Buzzcocks, Supergrass a brillé de toute sa fraîcheur, sa spontanéité et son exubérance dans le ciel de la Britpop. Le trio d’Oxford a officiellement annoncé sa séparation après six albums, le 12 avril 2010, en raison de différends artistiques. Depuis, Supergrass s’est reformé pour l’une ou l’autre tournée et plus exceptionnellement en 2022 à l’occasion du concert hommage à Taylor Hawkins, le batteur des Foo Fighters, organisé à Wembley. Cet été, les Anglais ont fêté sur les routes les 30 ans de leur premier album: l’irrésistible I Should Coco et se sont produits en Belgique dans le modeste festival Rock Olmen.

Pulp

Emmené par ce dandy décalé et lettré de Jarvis Cocker, Pulp a toujours été le représentant le plus distingué de la Britpop. Remarquable parolier, plein d’humour et d’autodérision, génial chroniqueur du quotidien et peintre réaliste de la vie sentimentale, Jarvis a raconté avec ironie et tendresse, les amours et les aspirations de la classe moyenne britannique en développant un sens aigu de la narration sociale. Le groupe de Sheffield ne s’est pas (encore?) arrêté en Belgique pour fêter ça. Mais le 6 juin dernier, Pulp est sorti de sa léthargie discographique et a publié son huitième album. Le premier depuis 24 ans. Jolie réussite, More est dédicacé à Steve Mackey, son bassiste, disparu le 2 mars 2023 à l’âge de 56 ans.

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