Critique | Musique

Nouvel album pour Gruff Rhys: « Il faut parfois reconnaître la tristesse »

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Gruff Rhys: “Avec les Super Furry Animals, on s’est reformé en 2015. On partait sur cinq concerts et on a fini par tourner pendant deux ans. Ça me semble encore très récent. Il n’y a donc pas de plan pour le moment.” © Mark James
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Album - Sadness Sets Me Free

Artiste - Gruff Rhys

Genre - Rock

Label - Distribué par Rough Trade/Konkurrent

Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Génial ambassadeur du Pays de Galles, Gruff Rhys, le chanteur des Super Furry Animals, retrace son éclectique parcours et raconte son nouvel album solo: Sadness Sets Me Free.

Il est dans la chambre de sa fille, chez lui, à Cardiff. Une chemise à carreaux sur les épaules et un bonnet vissé sur la tête. Gruffudd Maredudd Bowen Rhys parle lentement. Très lentement. Il ferme même les yeux la moitié du temps. Comme pour mieux articuler sa pensée et se concentrer sur ses souvenirs. Né le 18 juillet 1970 dans le même bled, Haverfordwest, que Christian Bale, Gruff Rhys a sorti quelque 25 disques en 35 ans de carrière. “Je continue d’apprendre, justifie-t-il avec sa légendaire modestie. Ça me semble toujours nouveau et frais. Je pense aussi que c’est ma manière préférée, parce que plus lente, de communiquer. Certains peignent. Moi, je fais des chansons. Je ne suis pas quelqu’un de très bavard dans la vie de tous les jours. Je pense que c’est de famille. La musique me permet de prendre mon temps.

Après être parti se promener dans le sud du Sahara algérien pour collaborer avec les Touaregs d’Imarhan, Gruff Rhys a profité de jouer à Paris pour passer trois jours en studio avec son groupe de tournée. Il a embarqué les chansons avec lui au Pays de Galles, y a ajouté des cordes et les a laissées mijoter avant d’en changer quelques paroles et d’y adjoindre quelques synthés. Doux et irrésistible trésor de pop classique et soyeuse, son nouvel album s’intitule Sadness Sets Me Free.Je pense être quelqu’un de plutôt optimiste. Je crois au potentiel de la musique, à sa capacité de changer l’humeur des gens, à les rassembler. Mais j’ai le sentiment qu’il faut parfois reconnaître la tristesse. Reconnaître la frustration engendrée par la politique notamment. On vit une période sombre et problématique. Tant sur le plan domestique qu’international. Je pense notamment à des guerres menées en mon nom, à des endroits bombardés par le gouvernement du Royaume-Uni. Il y a de quoi être accablé. Je n’ai pas pondu un album de protest songs. Mais elles déplorent de manière générale le manque de démocratie. À tout le moins là où je vis…

Si Gruff chante pour le coup en anglais, il a plus souvent qu’à son tour défendu le gallois dans ses disques. “Je pense qu’il est inévitable de devoir s’accepter soi-même. La musique permet de transcender des dimensions artificielles stupides créées par les humains. Je me sens davantage défini par le fait d’être un musicien que par ma nationalité. Comme la plupart des artistes, j’imagine. Mais je reconnais aussi ce qui fait de moi celui que je suis. Je risquerais de tomber dans le pastiche si ce n’était pas le cas. Je vis sur des terres bilingues. J’utilise l’anglais et le gallois tous les jours. J’imagine être un reflet de ma société.

Gruff n’a commencé à chanter dans la langue de Shakespeare, des Kinks et de The Clash qu’à l’âge de 25 ans. “J’ai été à l’école en gallois. Je vivais dans une région ouvrière qui le parlait. Ma mère faisait de la poésie. Mon père a sorti quelques livres. Et mon frère jouait dans un groupe et était politiquement actif. En plus, quand j’étais ado, pas mal de gens chantaient dans cette langue tout en faisant de la musique intéressante et expérimentale. Il y avait une vraie contre-culture galloise.

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Cool Cymru

Gruff Rhys a grandi dans une communauté militante, un mouvement punk anarchiste et des musiques à la marge. Au milieu des années 90, il a sorti trois disques avec Ffa Coffi Pawb. “On était des idéalistes. On avait tourné un peu en Europe devant des gens qui acceptaient les langues des minorités. Mais avec les Super Furry Animals, on voulait l’aventure. Monter un groupe ambitieux, attirer l’attention de MTV avec une pop expérimentale. On a utilisé notre propre langue dans un premier temps mais c’était important pour nous de sortir notre musique du Pays de Galles. Ce basculement linguistique est sans doute aussi lié au délitement idéologique en Europe après la glasnost en Union soviétique.”

Quand Alan McGee a signé les Super Furry Animals chez Creation Records, il leur a demandé de chanter davantage de chansons en anglais. “Ce qui est marrant, c’est qu’on n’avait fait que des morceaux en anglais ce soir-là mais notre accent était si prononcé qu’il pensait qu’on chantait en gallois. On était engagés dans ce processus depuis un mois. Il ne comprenait rien de ce que je racontais.”

Jusque-là, on connaissait surtout les Gallois à cause de leurs footballeurs. Ian Rush et le tout jeune dribbleur Ryan Giggs en tête. Mais tout à coup, des groupes comme Manic Street Preachers, Stereophonics, Catatonia et Super Furry Animals ont commencé à devenir populaires. “Quelqu’un dans le New York Times a écrit que le Pays de Galles était le nouveau Seattle. Des labels sont venus et ont signé tout le monde. Au début, ce phénomène n’avait pas de nom. Mais quelques années plus tard est arrivée l’expression Cool Cymru (Cymru signifie Pays de Galles en gallois, NDLR).” Elle a aussi été utilisée pour qualifier le cinéma indépendant et des réalisateurs comme Marc Evans. “Ça a facilité les choses. Parce que c’était clairement nouveau de voir des Gallois dans les médias.”

Profondément attaché à ses racines, sans la bêtise qui accompagne le nationalisme, Gruff Rhys n’est jamais bien loin quand le Pays de Galles est mis à l’honneur. Il a composé la musique de Set Fire to the Stars, un film avec Elijah Wood sur Dylan Thomas, et écrit le livret d’un opéra inspiré par la vie de Hedd Wyn, un autre poète gallois. Il a aussi réalisé avec Dylan Goch deux étonnants documentaires mus par sa volonté d’abandonner le circuit industriel des tournées. Pour Separado!, il est parti en Patagonie sur les pas d’un chanteur folk, lointain membre de sa famille. “Parfois, je me suis produit avec des animaux pour tout public.” Tandis que pour American Interior, il a suivi les traces de l’explorateur John Evans aux États-Unis. “Evans cherchait une tribu d’Indiens gallois qui n’existait pas. Il est mort à 29 ans à La Nouvelle-Orléans et a été enterré dans le cimetière du trip d’acide d’Easy Rider. J’ai aussi écrit un livre et enregistré un disque à son sujet.” Quand on lui demande qui est le meilleur ambassadeur du Pays de Galles à l’étranger, Rhys cite l’ancienne analyste militaire et lanceuse d’alerte transgenre Chelsea Manning. Imprévisible comme toujours…

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