Critique | Musique

Nos albums de la semaine: Scott & Charlene’s Wedding, Jack White, Wilco, Maxwell…

Scott & Charlene's Wedding © Tom Rooney
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Emmené par le petit prince en slash des slackers australiens, Scott & Charlene’s Wedding fait sa crise de la trentaine. On vous parle également des nouveaux albums de Jamie T, Jack White, Wilco, Maxwell, Young Thug, Eluvium et Kompakt.

Scott & Charlene’s Wedding – « Mid Thirties Single Scene »

ROCK. DISTRIBUÉ PAR FIRE RECORDS/KONKURRENT. ****

« Quand je danse, j’ai l’air d’un crabe. Je ne sais rien y faire. Je n’ai aucun sens du rythme. Ça ne m’ennuie pas du tout. Ça ne m’ennuie pas du tout. » Dans une pimpante combinaison orange d’ouvrier communal, un type traîne les pieds et arrose son potager avec l’enthousiasme de Kevin De Bruyne sous le maillot des Diables rouges et la vivacité de Gringe et d’Orelsan bloqués dans leur divan à s’imaginer milliardaires ou à disserter sur La Liste de Schindler. Je-m’en-foutisme charmant, tempérament nonchalant… Le clip de Don’t Bother Me, premier extrait du nouveau Scott and Charlene’s Wedding, colle plutôt bien à l’image de ce groupe de rock australien originaire de Footscray, quartier multiculturel planté à quelques kilomètres du centre de Melbourne. Scott & Charlene’s Wedding est la créature de Craig Dermody. Un guitariste né à Adelaïde, look d’autochtone (cheveux blonds et longs), qui écrit des chansons sur les Chicago Bulls, ne reconnaît pas Kirsten Dunst et Ryan Gosling (embêtant quand on a bossé à l’entrée d’un bar trendy new-yorkais) et a vu défiler 30 à 40 musiciens à ses côtés (« Certains me qualifieraient sans doute de dictateur »).

Le mariage de Scott et Charlene, c’est celui où le témoin arrive en retard avec la bague, où la mariée se tape son beau-frère et où le traiteur éméché se blesse en coupant le gâteau… Le mariage de Scott et Charlene, c’est le rock qui a la flemme. C’est l’hymne de la glandouille. La version en slip kangourou du slacker.

Lou Reed, Pavement et l’antifolk…

Dans un monde qui adore les losers et les glorifie, qui aime les histoires de jobs merdiques et de canapés pourris, Dermody a le profil du superhéros. Et son nouvel album, le troisième, a presque des allures de manifeste. Mid Thirties Single Scene se la coule douce et traîne dans l’antichambre de l’antifolk. Il deale avec la banalité de la vie quotidienne, les opportunités ratées et les amourettes foireuses. Textes parlés chantés, guitares bancales, son résolument lo-fi… Hardest Years sonne comme un inédit de Pavement. On pense à Jeffrey Lewis, aux Moldy Peaches et aux Anglais d’Art Brut. Aux dinosaures Richard Hell et Jonathan Richman. Puis inévitablement à Lou Reed et à son Velvet Underground.

« When you called me to the hotel room, it was such a scene. But I didn’t have the guts to ask: what the hell happened here… My life was so different when I knew you… » (Scrambled Eggs) Teinté d’une sincérité touchante et d’une autodérision bienvenue, Mid Thirties Single Scene brosse la crise solitaire de la trentaine. « I need a distraction« , réclame Dermody avec bien moins d’agressivité et de hargne que Nirvana et son Smells Like Teen Spirit… De retour de New York qui avait influencé son album Any Port in a Storm, le bonhomme a visiblement perdu un peu de son optimisme, mais pas son sens de l’humour. Un disque assez irrésistible qui reste dans l’oreille avec sa fraîcheur décontractée. (J.B.)

Jamie T – « Trick »

ROCK. DISTRIBUÉ PAR VIRGIN. ***(*)

Après deux premiers albums plutôt bien emballés, voire carrément emballants, le Londonien Jamie T avait disparu de la circulation, semblant céder à la pression. Encore une promesse déçue? En fait, il lui a fallu cinq ans pour accuser le coup et revenir avec l’album Carry on the Grudge (en 2014). La machine relancée, il enchaîne aujourd’hui avec Trick. Jamie T persiste et signe, toujours en équilibre entre rock (Tescoland, comme une version réactualisée du Lost in the Supermarket des Clash), punk, pop (Power over Men) et saillies vaguement hip hop. La cohérence, comme la consistance, de l’ensemble, tenant largement à cet élan et cette assurance typiquement anglaise. ˜(L.H.)

Jack White – « Acoustic Recordings 1998-2016 »

ROCK. DISTRIBUÉ PAR XL RECORDINGS. ***(*)

S’il s’est imposé en une petite quinzaine d’années comme l’un des derniers véritables guitar heroes, voire limite, à un moment, comme le sauveur d’un rock à l’agonie, Jack White ne s’est pas toujours caché sous un déluge d’électricité. Compilation de ses morceaux les plus boisés, Acoustic Recordings 1998-2016 traverse la discographie des White Stripes (Apple Blossom, Hotel Yorba, As Ugly as I Seem) et la carrière solo de monsieur Jack (Love Interruption…). Il revisite ses Raconteurs (Top Yourself, Carolina Drama), rassemble une chute de Get Behind Me Satan (l’inédit City Lights), une face B produite par Beck (Honey, We Can’t Afford to Look this Cheap), une chanson enregistrée pour la BO de Cold Mountain et une autre pour une campagne Coca Cola. Vingt-six morceaux célébrant la poussière, les derniers cow-boys et le talent d’un monstre vivant. (J.B.)

Wilco – « Schmilco »

ROCK. DISTRIBUÉ PAR PIAS. ***(*)

Les 27 et 28/10 à l’Ancienne Belgique (complet).

La voix douce et chaude de Jeff Tweedy a toujours sonné comme celle rassurante et réconfortante d’un vieil ami. Un ami qui, pour l’occasion, après s’être fait discret quelques années durant, s’est décidé à nous redonner des nouvelles. Après un disque avec son fils Spencer (2014) et dans la foulée du remarquable Star Wars sorti l’an dernier, Wilco signe avec Schmilco un album particulièrement calme et posé qui fait honneur à ses racines américaines (country en tête) mais sans délaisser totalement l’aventure sonore (Common Sense, Locator…). Quelques titres (Cry All Day, If I Ever Was a Child et Someone to Lose) tiendront fièrement leur place sur un live ou un best of du groupe de Chicago là où d’autres feront peut-être, qui sait, avancer le schmilblick de Wilco… (J.B.)

Maxwell – « blackSUMMERS’night »

SOUL. DISTRIBUÉ PAR SONY. ****

En concert, avec Mary J. Blige, le 17/10, à Forest National.

Sept ans après son prédécesseur, blackSUMMERS’night est un nouveau petit bijou de soul séminale, disque classieux et amoureux. Maxwell, pas la peine d’en rajouter…

Maxwell
Maxwell© DR

On oublie trop souvent Maxwell. Cet été encore, tout affairé par l’événement qu’a constitué la sortie, annoncée, démentie, puis finalement confirmée du nouvel album de Frank Ocean, l’amateur de (neo)soul-r’n’b a pu faire involontairement l’impasse sur blackSUMMERS’night, 5e album, brillant, du chanteur américain.

La faute est partagée. Tout se passe en effet comme si Maxwell essayait régulièrement de se faire oublier. Après avoir laissé passer huit ans entre ses deux disques précédents, il a de nouveau pris quelque sept années pour livrer ce blackSUMMERS’night, second épisode d’une trilogie (débutée avec BLACKsummers’night, en 2009).

A la lumière éblouissante du star-system, Maxwell semble avoir toujours préféré faire profil bas. A l’instar de la pochette de l’album précédent, le profil littéralement planqué dans l’ombre. Ou de celle du nouveau blackSUMMERS’night, qui le montre le visage caché dans les mains. Au Guardian, il expliquait récemment: « Les célébrités sont dans la compétition, ont des concurrents, qu’il faut combattre, ou parvenir à surpasser. Les artistes, eux, ne fonctionnent pas vraiment de cette manière-là…« 

Raison et sentiments

Old school, Maxwell? Il y a de ça. Cocasse quand on se rappelle qu’à la moitié des années 90, en même temps qu’un D’Angelo ou une Erykah Badu, il faisait partie de ceux qui s’étaient lancés dans une large entreprise de rénovation de la soul… En fait, il s’agissait déjà, comme aujourd’hui, de revenir aux racines du genre. Ou en tout cas de lui redonner une épaisseur que les strass et les paillettes du business avaient eu tendance à rogner, confondant sentiments et sentimentalité, crooning et minauderie, miel et mélasse.

C’est encore ce qui anime aujourd’hui Maxwell. Dans la même interview, il se justifiait du temps pris pour réaliser un nouveau disque. « Je n’ai pas à ma disposition une mafia de créatifs qui bossent pour que ça se passe. Ce n’est pas mon style, ça ne m’intéresse pas« , à rebours de la tendance actuelle (hello Kanye West, coucou Beyoncé), préférant citer des modèles comme Marvin Gaye ou Sade. De cette dernière, Maxwell cultive en effet l’irrésistible classicisme.

Privilégiant la ballade adulte (« We will climax with reason », sur 1990X) et le mid-tempo, blackSUMMERS’night a le groove soyeux, amoureux, mais jamais précieux. Falsetto en avant, All the Ways Love Can Feel montre le chemin d’un disque inspiré, à la fois instantané et riche de mille détails. Prince n’est jamais très loin -comme sur Fingers Crossed, dont la fin est emballée dans des cuivres bienveillants. Difficile encore de résister au lover call de 1990X, sommet de soul romanesque, épopée séminale qui redonnerait des émotions au plus blasé des palpitants. A cet égard, et pour boucler la boucle, blackSUMMERS’night est moins une réponse à un disque comme Blond de Frank Ocean que son complément, sa version luxuriante. Ou plutôt: une preuve de plus que le r’n’b et la soul, en 2016, sont plus prolifiques que jamais. (L.H.)

Young Thug – « Jeffery »

RAP. DISTRIBUÉ PAR WARNER. ***(*)

Difficile aujourd’hui de nier l’influence de Young Thug sur les musiques « urbaines », véritable phénomène qui fascine autant par sa dégaine que par son flow, à la fois directement reconnaissable et largement imprévisible. Prolixe, le garçon n’est toutefois pas toujours facile à suivre: avec Jeffery, il sort sa troisième mixtape/album de l’année… Quitte à lasser? Sans révolutionner complètement son fonds de commerce (beats trap, productions autistes, voix sous vocoder), le rappeur d’Atlanta ouvre les fenêtres, laissant rentrer un peu d’air frais: des péripéties vocales de Riri au quasi-pop Pick Up the Phone, en passant par le Kanye West, invitant Wyclef Jean à se joindre à la party. (L.H.)

Eluvium – « False Readings On »

AMBIENT. DISTRIBUÉ PAR TEMPORARY RESIDENCE. ***(*)

Derrière Eluvium se cache Matthew Cooper, musicien américain électronique expérimental. Au printemps dernier, il participait encore au projet Shattered Dreams, au cours duquel chaque participant devait créer un nouveau morceau, lequel tournait ensuite en boucle pendant 24 heures, avant de disparaître progressivement. Une réflexion sur l’éphémère qui semble se poursuivre sur son nouvel album. Quasi entièrement bâti sur d’épaisses nappes de synthé, False Readings On creuse une mélancolie rêveuse. Jamais très loin de la méditation (Regenerative Being), sans tomber pour autant dans le décoratif, il flirte aussi dans ses moments les plus tendus avec les stridences shoegaze (Posturing Through Metaphysical Collapse, Washer Logistics…). Beau. (L.H.)

Divers – « Kompakt: Total 16 »

COMPILATION. DISTRIBUÉ PAR KOMPAKT. ***

Actif depuis 1998, le label Kompakt basé à Cologne continue de traverser les époques, et les tendances, avec un aplomb assez épatant. Pour preuve, la dernière livraison de sa série (quasi) annuelle. Comme d’habitude, la compilation Total, seizième du nom, alterne entre best of des dernières sorties maison, et titres ou remix inédits. Double, la sélection démarre par exemple avec le Reflecting Lights de The Field (repris en main, de manière assez trippante, par Kaytlin Aurelia Smith), se poursuit notamment avec une version plus deep du Moonbuilding 2703 AD de The Orb, file pop (Magical Party), avant de revenir à des préoccupations plus techno (Six de Sweet 100). Éclectique, mais toujours élégant. (L.H.)

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