Pour son premier véritable album depuis Any Minute Now (2004), Soulwax botte joyeusement en touche avec un disque pétaradant, enregistré en une prise. À lire également, nos critiques des albums de Bai Kamara Jr., The Moonlandingz, Steal Shit Do Drugs, Laetitia Sadier Source Ensemble, Roméo Elvis x Le Motel, Livy Ekemezie, Future et Coely.
Soulwax – « From Deewee »
DANCE-ROCK. DISTRIBUÉ PAR PIAS. ***(*)
EN CONCERT LES 11 ET 12/04, À L’AB, BRUXELLES.
Treize ans. Si l’on ne compte pas les remix de Nite Versions, sorti en 2005, c’est le temps qu’il a fallu à Soulwax pour donner un successeur officiel à Any Minute Now. Certes, le temps passe toujours plus vite quand on s’amuse. Et depuis que les frères Dewaele ont transformé leur combo rock en machine à danser, via la spin-off 2Manydj’s, ils ont eu leur lot de fun.
DJ superstars, remixeurs ultracotés, ils ont été en première ligne lors de la révolution dance des années 2000. Avec à la clé (usb), un joli jackpot. À la différence de la plupart de leurs collègues, Stephen et David Dewaele ne se sont cependant jamais contentés de thésauriser. À la place, ils ont multiplié les expériences, avec un sens du panache assez épatant. Ils se sont par exemple perdus dans la réalisation d’un grand mix, baptisé Radio Soulwax, long de 24h; mis au point, avec James Murphy, le soundsystem haute-fidélité baptisé Despacio; lancé leur propre label, etc. L’an dernier, ils s’amusaient encore à créer une douzaine d’alias pour la BO de Belgica, le dernier film de Felix Van Groeningen…
N’empêche. À chaque fois que la fratrie gantoise filait en douce voir ailleurs, la question ne manquait pas de revenir, tel un boomerang: à quand un nouveau disque de Soulwax? Après plusieurs ballons d’essai scénique, cette fois, c’est donc la bonne. From Deewee est à la fois le 4e album officiel de Soulwax. Et une nouvelle manière de botter en touche…
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De prime abord, on peut le prendre comme une jolie boutade. Après avoir fait patienter ses fans pendant plus d’une décennie, Soulwax a finalement enregistré From Deewee en un jour, et une seule prise. C’était le 7 février dernier, dans son studio de Gand… Pour l’occasion, les guitares ont toutes été rangées au placard. Place aux batteries, drum machines et synthés analogiques, comme le laissait pressentir le premier single, Transient Program For Drums and Machinery. Avec un line-up entièrement recomposé, Soulwax lorgne plus que jamais l’axe allemand Kraftwerk/Giorgio Moroder (Conditions of A Shared Belief, qui cite Donna Summer). La manoeuvre est à la fois une refonte totale du paysage du groupe et une confirmation des obsessions sonores des frères Dewaele. Une manière de tromper les attentes et de les confirmer.
Alors qu’on attend toujours le nouvel album de leurs potes de LCD Soundsystem, From Deewee sonne souvent comme ce qu’aurait pu être la suite de Sound of Silver, si James Muprhy n’avait pas délié un peu la sauce punk-rock de son groupe (voire le prolongement de 45’33, mix long en bouche que Nike avait commandé à LCD Soundsystem en 2006 -et, de fait, pour l’avoir testé, From Deewee fonctionne parfaitement comme bande son d’une sortie running…).
Certes, comme dans pas mal de leurs travaux récents, Soulwax se laisse parfois aller à l’exercice de style. Dans le genre, il est toutefois particulièrement efficace et malin. Pas novateur mais inspiré. Laissant l’impression que les Dewaele brothers ont à nouveau réussi un tour de force: celui d’avoir sorti cette fois les remixes avant même l’album original… (L.H.)
Bai Kamara Jr. – « The Mystical Survivors and Some Rare Earthlings Vol 1 »
SOUL. DISTRIBUÉ PAR PIAS. ****
LE 19/04 AU BOTANIQUE.
On fait pas mal de cas de soulmen US à la Charles Bradley ou Gregory Porter revitalisant une musique ayant connu son apoplexie dans les années 60/70. À raison puisque ce style difficilement démodable ramène des émotions refusant le factice d’une époque saturée de superficialité réseauteuse. Si l’éternel retour d’une culture par les enfants du pays qui l’a instaurée tombe sous le sens, son appropriation par autrui reste périlleuse. Tout cela pour affirmer combien cet album de Bai Kamara Jr. est une réussite musicale et morale, généreuse en nombre de chansons proposées -quinze- comme dans les sensations de plaisir et d’intimité garanties. Ce fils d’ambassadeur né en 1966 en Sierra Leone a grandi en Afrique puis en Grande-Bretagne, d’où la diction anglophone parfaitement mariée à son timbre black chaud boulette. Depuis un quart de siècle en Belgique -où il a notamment travaillé avec Vaya Con Dios-, Kamara s’inspire visiblement d’Al Green et de Curtis Mayfield pour polir ses enregistrements à l’ancienne, cuisinés en analogique. Cette rondeur sonore profite aussi de cuivres et de choeurs pour porter aux anges des mélodies immédiates (Good Day, It Might Just Work), avec une charge funky toujours présente, même lorsque l’afro-acoustique introduit le propos (If You Need Some Time). Résultat? Un disque fortement régénérateur. (Ph.C.)
The Moonlandingz – « Interplanetary Class Classics »
ROCK. DISTRIBUÉ PAR TRANSGRESSIVE RECORDS/PIAS. ****
LE 14/07 AU FESTIVAL DE DOUR.
Quand les deux zozos en chef de la Fat White Family (Lias Saoudi et Saul Adamczewski) s’acoquinent avec The Eccentronic Research Council, groupe expérimental de Sheffield, pour incarner des rockeurs imaginaires du fin fond de l’Angleterre, ça donne The Moonlandingz. Crade kraut, glam salace, post-punk fouineur… Coproduit par Sean Lennon, pimenté par la présence de Yoko, ce « B movie electro weirdo pop album » qu’est Interplanetary Class Classics secoue pas mal de trucs dans le mixeur. Les Cramps, Iggy, Suicide, la scène de Madchester ou encore le Velvet Underground (The Strangle of Anna cite Sunday Morning et sonne comme I’ll Be Your Mirror) copulent ici dans une boîte de nuit fétichiste et rétrofuturiste. Beautiful loser… (J.B.)
Steal Shit Do Drugs – « Steal Shit Do Drugs »
ROCK. DISTRIBUÉ PAR ANNIBALE RECORDS. ****
Vole de la merde, prends des drogues… Non, Steal Shit Do Drugs n’est pas une chorale de gamins chantant la gloire de l’Église et son amour sans borne du seigneur. Si Steal Shit Do Drugs prêche la bonne parole, c’est celle d’un rock énervé, à bout de souffle, qui vénère le post-punk, le garage et les musiques bruitistes. Les Stooges, Pere Ubu, Wire, Mclusky et The Fall… Venu de Seattle, le groupe de Kennedy Carda (dont le batteur a matraqué les fûts de The Intelligence) est sans doute ce qu’on a vu de plus excité et excitant sur scène ces dernières années avec Thee Oh Sees, Ty Segall, The Blind Shake et Ex-Cult. L’Amérique dans ce qu’elle a de plus tendu, punk et nerveux. In your face! (J.B.)
Laetitia Sadier Source Ensemble – « Find Me Finding You »
POP. DISTRIBUÉ PAR DRAG CITY. ***(*)
LE 09/05 AU BIPLAN (LILLE).
Depuis la séparation en 2009 des mythiques Stereolab, alors annoncée par un message intitulé Hiatus/Sabbatique/Pause/Entracte/Respiration, Laetitia Sadier n’a pas particulièrement chômé… Elle a même agréablement vieilli et plutôt bien bossé. Après trois albums solo, déjà pour le label américain Drag City, la Frenchie nous revient avec un nouveau groupe, le Laetitia Sadier Source Ensemble, et ce Find Me Finding You ponctué par un duo avec Alexis Taylor d’Hot Chip (Love Captive). Un bel échantillon de pop fraîche, ludique et expérimentale qui célèbre, beaucoup en anglais, un peu en français, son esprit aventureux et sa légendaire douceur désenchantée. Irrésistiblement charmant. (J.B.)
Roméo Elvis x Le Motel – « Morale 2 »
RAP. DISTRIBUÉ PAR DARING MUSIC/UNIVERSAL. ****
EN CONCERT LE 01/04 À L’EDEN, CHARLEROI; LE 13/04 AU REFLEKTOR, LIÈGE, le 06/05 aux ARALUNAIRES, ARLON.
Qui a dit que les suites étaient toujours moins bonnes que l’original? Un an après leur début, Roméo Elvis et Le Motel sortent in Morale 2, tout aussi épatant.
C’est peu dire qu’on a glosé sur le rap belge en 2016. Après des années de disette, la scène locale a semblé tout à coup multiplier les coups d’éclat. Du disque d’or français de Damso, parrainé par la superstar Booba, à la hype Hamza qui déborda jusqu’à trouver écho sur le webzine américain Pitchfork. Décomplexée par le succès mainstream de Stromae, toute une nouvelle génération a ainsi commencé à secouer le cocotier rap, de la Smala à la bande de L’Or du Commun. Mieux: pour une fois, chacun semble tirer dans le même sens, jouant l’unité plutôt que la concurrence stérile. On pense encore au duo JeanJass & Caballero et leur excellent EP Double Hélice. Ou encore à Roméo Elvis et son comparse Le Motel.
L’an dernier, à la même époque, le binôme sortait Morale. Un premier EP particulièrement bien torché, au point de trouver écho dans l’Hexagone. Lors de la dernière cérémonie des Red Bull Elektropedia Awards, Roméo Elvis et son compère beatmaker repartaient même avec trois prix (dont celui du meilleur album). Un triomphe qui ne manquera pas de laisser les médias flamands perplexes: mais qui est donc ce Roméo Elvis?
Un an plus tard, le duo donne déjà une suite à Morale. Signe supplémentaire de la popularité de la nouvelle scène rap (il n’y a plus que la RTBF pour traîner encore le pas), le disque est distribué cette fois par la major Universal. Si le phénomène prend donc de l’ampleur, l’état d’esprit, par contre, n’a pas changé. Humour de sale ket et second degré enfumé mènent les échanges, cédant volontiers à l’autocélébration semi-sérieuse (Nappeux, Sabena), sans que cela n’empêche les confessions (Les hommes ne pleurent pas) ou les accents plus angoissés (à propos des acouphènes, « J’espère percer avant mon tympan », sur Ma tête).
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Si elle ne surprend plus, l’association entre le rappeur du « 16-30 » (Linkebeek, dans la place) et Le Motel, alias Fabian Leclercq, reste toujours aussi efficace et originale. Particulièrement quand ils replongent dans le spleen urbain et jazzy, déjà éprouvé sur le premier épisode Morale. Voir notamment Bébé aime la drogue, l’excellent Diable, ou encore la ballade au ralenti J’ai vu (avec Angèle, soeur du rappeur, en guest). Adepte du refrain qui fait mouche, le duo s’amuse aussi à sortir de sa zone de confort à l’une ou l’autre reprise. Par exemple quand il invite Jan Paternoster de Black Box Revelation sur Agora, ou que Roméo Elvis se met à jouer les chanteurs de charme sur Drôle de question, mélodie outrageusement poppy, qui passerait difficilement telle quelle si elle ne tenait de la blague assumée. L’humour, particulièrement dans le hip-hop belge, a toujours été un exercice délicat à pratiquer: façon Roméo Elvis, il est décomplexé et déconneur. Au passage, il permet de désamorcer toute tentative de prise au sérieux, masquant ce que le propos peut avoir parfois de bien plus torturé et ambigu -appelez ça le cool triste. (L.H.)
Livy Ekemezie – « Friday Night »
DISCO. DISTRIBUÉ PAR ODION LIVINGSTONE/V2. ****(*)
Irrésistible machine à danser que cet album nigérian rare sorti en 1983 et jadis pressé (ça n’étonnera personne à l’écoute) chez le désormais légendaire et regretté William Onyeabor. Enfilez votre pantalon à pattes d’eph le plus famboyant, vos dancing shoes les mieux cirées. Réédité par Odion Livingstone, label tout beau tout neuf basé à Lagos, Friday Night est une bombinette afro-disco. Un disque plein de groove, terriblement funky, qui sent bon La Fièvre du samedi soir en Afrique de l’Ouest, le Kool and the Gang du Nigeria et le Arthur Russell du soleil (Holiday Actions). Le slow de la brousse (I Wan’ My Bab’ Back) et l’univers de tonton William. I go out on friday night… (J.B.)
Future – « Future » & « HNDRXX »
RAP. DISTRIBUÉ PAR SONY. ***(*)
Alors que Drake sort au débotté un nouveau More Life, on commence à peine à digérer les deux dernières livraisons de Future, autre cador du genre. Pour rappel, le rappeur d’Atlanta vient de réussir un exploit inédit: placer successivement deux albums différents à la première place du Billboard US. En tout, on parle de quelque 34 titres, répartis selon un schéma clair/obscur (HNDRXX/Future). Avec forcément du remplissage -mais sans que cela ne remette en cause ce qui relève bien d’un certain charisme-, et en avouant un léger faible pour le volet HNDRXX, plus ouvert et, à bien des égards, plus audacieux. (L.H.)
Coely – « Different Waters »
POP. DISTRIBUÉ PAR UNIVERSAL. ***
Repérée grâce à des singles aussi bien troussés que My Tomorrow, l’Anversoise Coely Mbueno sort aujourd’hui un premier album qui cache difficilement son envie de convaincre. Dans l’absolu, la jeune femme (23 ans) ne manque ni d’énergie, ni d’envie, ses deux principaux atouts. Elle parvient ainsi à se glisser dans un format r’n’b-rap avec un naturel assez confondant. Ce qui donne une série de titres plutôt réussis, comme No Way ou Blu Mood. Ce que Different Waters ne parvient toutefois pas toujours à donner, c’est assez de place à son interprète, s’éparpillant parfois entre chant et rap. Soit. Après tout, Beyoncé, l’idole avouée de Coely, a elle-même eu besoin de trois albums pour se trouver… (L.H.)
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