Ninho, un destin en or

"Je ne fais pas du rap que pour le biz", assure Ninho. Il faut pourtant jouer le jeu.
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Avec son rap bloqué dans le quartier, il est l’une des nouvelles têtes d’affiche de la scène française. Portrait de Ninho, juste avant son passage aux Ardentes.

La première fois que Ninho est monté sur scène, c’était en 2015, sur celle de Bercy. Programmé ce soir-là en première partie de Booba (tout comme un certain Damso), il est directement propulsé devant quelque 15.000 personnes. Il a alors à peine 19 ans et des ambitions XXL… Quelques mois plus tôt, il a dû faire un choix. Il a passé, et réussi, son bac. Mais, au lieu de prolonger son parcours à l’université, c’est à la musique qu’il a décidé de se consacrer. « C’était difficile de combiner les deux. J’ai préféré privilégier le domaine que je maîtrisais le plus…« , sourit-il aujourd’hui. De fait, quatre ans plus tard, Ninho ne doit pas trop regretter son choix. Il est devenu en effet l’une des nouvelles grandes stars de la scène rap française. À son compte, au moins quatre premiers projets et une série d’apparitions chez les uns et les autres, qui en ont fait l’un des noms les plus demandés du moment. L’automne dernier, il a même eu droit à son épisode de « revenge porn » (des clichés privés dévoilés par une ex mécontente) -preuve « ultime » de notoriété dans une culture pop rongée par les réseaux sociaux…

Le 22 mars dernier, il publiait son second album « officiel », intitulé Destin, avec force promotion et marketing. Problème: le même jour, PNL grimpait au sommet de la Tour Eiffel pour lâcher son morceau Au DD, monopolisant l’attention de tous les amateurs de rap et au-delà, déclenchant un phénomène médiatique inédit. On imagine la panique dans les bureaux du label de Ninho, voyant son offensive ruinée du jour au lendemain. Ils seront cependant vite rassurés: après une semaine, Destin était déjà certifié disque d’or en France, avant de passer le cap du platine (100.000 ventes) quinze jours à peine plus tard. En Belgique aussi, le phénomène Ninho a tout balayé. Atteignant directement le sommet de l’Ultratop, le rappeur français vise un Palais 12 en décembre prochain…

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

L’explication d’un tel emballement? Bizarrement, celui qui est devenu l’une des principales têtes de gondoles de la scène hexagonale ne tranche a priori pas foncièrement dans le décor. Certes, Ninho jongle avec les assonances avec une maîtrise rare. Mais il n’est pas aussi belliqueux qu’un Booba, ni aussi « ambianceur » qu’un Niska. Évitant aussi bien la fenêtre pop ouverte par un Orelsan que le spleen sous autotune d’un PNL, il est également très loin des poses plus « littéraires » d’un Nekfeu ou des gymnastiques philosophiques d’un Damso. En fait, les aspirations de Ninho sont plus simples que ça: elles consistent à se contenter de raconter la « vie qu’on mène« , celle du quartier, des combines et des petits trafics dans les halls d’immeuble…

Là que pour la plata

Né en avril 96, de parents congolais débarqués en France depuis Kinshasa, William Nzobazola grandit du côté de Longjumeau, à une trentaine de kilomètres au sud-ouest de Paris. La banlieue donc, avec, apparemment, tout ce qu’elle peut avoir d’ennui, d’isolement et de précarité. Quand le gamin commence à rapper, vers 12-13 ans, le quartier est déjà son principal sujet, « mais avec moins de vocabulaire et de contenu » (sourire). Certes, il s’en sort pas trop mal à l’école, mais c’est la vie de la rue qui l’attire et le fascine. Notamment sa débrouille et ses petits trafics. « Dans la ville, je revends le cannabis« , raconte-t-il par exemple dans Maman ne le sait pas. De son activité de dealer, il ne fait pas mystère. Mais évite pour autant de la rendre plus glamour que nécessaire: « Y a rien de facile dans l’argent facile« , insiste-t-il, dans La Vie qu’on mène. Illégal peut-être, charbonneur toujours: si le destin existe, Ninho a « dû le forcer« .

Ninho, un destin en or

Aujourd’hui, avec le carton massif de sa musique, la nouvelle idole n’a plus trop de tracas à se faire. Sinon de réussir à résoudre ce paradoxe classique du rap: comment continuer à parler de la « rue » quand on l’a quittée? « Je n’ai plus le temps, ni l’envie de rester là, en bas des halls, à rien glander. Je l’ai assez fait avant, je ne vais pas continuer ça toute ma vie. Mais les gens qui m’entourent, eux, y sont toujours. Je n’ai pas changé de cercles d’amis. » Pas question non plus de donner éventuellement une dimension plus politique à ses chroniques d’en bas. Il a beau citer Tupac, en rappelant notamment que sa « daronne » faisait partie des Black Panther, lui-même botte en touche: « Ce n’est pas mon rôle. J’ai déjà assez de soucis personnels à régler. Donc, je propose que la société gère ses problèmes avec d’autres personnes, beaucoup mieux placées que moi (sourire). »

Car le succès a évidemment aussi son revers. On pourrait penser qu’il apaise. Visiblement, il n’en est rien. « Noir est le coeur derrière la veste en cuir« , rappe-t-il, mélancolique sur Goutte d’eau. « La notoriété et la célébrité ne résolvent rien. Au contraire. Quelque part, ça vous donne même d’autres responsabilités. Il y a des trucs à éviter, des choses à ne plus dire, parce que derrière on vous écoute. Puis, il faut faire attention à ne pas mélanger la musique, les réseaux sociaux, et la vie réelle… »

En toute fin d’album, Ninho constate encore que « le succès et la gloire attirent les démons« . On devine les trahisons et les nouvelles jalousies. Misanthrope, il explique encore dans Jusqu’à minuit que « l’amitié et l’amour peuvent affaiblir un homme« . « C’est pas vrai?« , insiste-t-il. Plus que jamais, il fait donc mine de se recentrer sur ses fondamentaux. L’important? Faire prospérer sa petite affaire, presque caricatural dans son obsession de nouveau riche, toujours occupé à courir derrière le fric. « J’arrive en tête du peloton, je ne suis là que pour la plata« , annonce-t-il dès le début de Destin. En fin de conversation, il fait pourtant mine de nuancer. « Je ne fais pas du rap que pour le biz. Mais comme disait Despo Rutti, « on ne met pas ses parents à l’abri du besoin sans être un minimum capitaliste ». C’est une manière de dire que le social, c’est très bien. Mais c’est difficile de s’en sortir si tu ne joues pas un minimum le jeu. C’est ça qui fait que je parle beaucoup d’argent: c’est une course, une lutte. »

Ninho, Destin, distr. REC 118. ***

En concert ce jeudi, aux Ardentes, et le 7/12 au Palais 12, Bruxelles.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content