Naima Joris: « Ce que je chante vient du coeur »

“Quand la musique est une expérience aussi intime et personnelle qu’elle l’est pour moi, je me demande parfois comment on peut la partager avec un public.” © pascal garnier
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

À 41 ans, son premier album sous le bras, la fille du jazzman Chris Joris fait son trou quelque part entre Melanie De Biasio et Beth Gibbons.

On l’a un peu vite cataloguée comme la Melanie De Biasio flamande. Chez elle, à Gand, un sourire aux lèvres et un casque sur les oreilles, Naima Joris ne s’en offusque pas. Mais aussi spontanée que franche, elle précise qu’elles ne chantent pas si calmement pour les mêmes raisons. “On m’a raconté que Melanie chantait doucement à cause d’un problème de voix (elle déclarait même qu’elle ne serait pas devenue qui elle est si elle ne l’avait pas perdue pendant un an en sortant fraîchement du conservatoire, NDLR). Moi, j’ai commencé de la sorte parce que j’avais peur qu’on m’entende. Au début, c’était avec le micro de l’ordinateur. Et quand tu mets le volume à fond, tu chantes tout doucement forcément. De toutes façons, comme j’étais tout le temps toute seule dans ma chambre, je ne pensais pas vraiment au niveau sonore. Et si ma musique est lente, c’est parce que je suis lente. Je ne sais pas jouer vite. J’ai commencé avec de la country, du Gillian Welch. C’est facile à apprendre.

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Naima, qui doit son prénom à John Coltrane (l’occasion de réécouter Giant Steps), est la fille du pianiste et percussionniste de jazz Chris Joris. “Il y a une chanson que j’ai faite avec mon père et son groupe, une reprise de blues dans un style jazz lent chanté doucement, qui ressemble à du Melanie. Mais tu te rends vite compte en live qu’on n’est pas pareilles. J’ai déjà une voix beaucoup plus basse que la sienne…

Naima est née en septembre 1981. Quand ses parents se sont séparés, à ses 11 ans, elle a suivi sa maman dans le Sud de la France. “La Provence, ça évoque ma mère et la mer. Elle y habite toujours et j’adore l’eau. D’ailleurs, je vais bientôt commencer l’apnée. Je n’en ai jamais fait. La Méditerranée est appropriée pour ça.” Ces souvenirs d’enfance amènent aussi à Nina Simone, qui habitait le village d’à côté mais qu’elle n’a jamais croisée. “Ma mère écoutait beaucoup de musique et chantait les Beatles dans la voiture. De la pop mais aussi de la soul. Ray Charles. Ce genre de choses. J’ai grandi avec tellement de trucs qu’il est difficile d’être représentatif. Pour te donner une idée, ado, j’écoutais du metal et de la bossa nova.” Naima a pas mal suivi son père en concerts aussi. “Ça m’a marquée. Surtout au niveau des percussions et du sens rythmique, j’ai l’impression.

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Naima a commencé à chanter tardivement. C’était en 2008, elle avait déjà 27 ans. Presque par hasard (“Moi, je n’ai pas d’ambition, je vois où les choses me mènent”), elle se retrouve à jouer les choristes dans Isbells pendant un an et demi. “Très vite, le projet a commencé à décrocher des gros concerts, des belles salles. On n’a pratiquement pas joué dans des cafés. On avait été nominés pour les Mia’s en 2009. C’est une histoire qui ressemble un peu à la mienne. Ce qui est bizarre, c’est que ça me soit arrivé deux fois.

Acceptation de soi

Naima se rêvait infirmière. Elle a été aide maternelle et a voulu ouvrir sa propre crèche. Compliqué avec un stress post-traumatique et des insomnies chroniques… “Je souffrais de troubles mentaux. Je ne savais pas pourquoi. Je ne dormais pas assez. Quatre ou cinq heures par nuit tout au plus… Avec l’âge,ça devenait de plus en plus problématique. La médication ça marche, mais ce n’est pas magique.

Le confinement l’a relancée vers le milieu de la musique. “Je n’étais pas très présente sur les réseaux sociaux. J’ai encore du mal d’ailleurs. Je dois toujours me forcer un peu. Mais je voyais les musiciens enregistrer des petites chansons. Je me suis dit: moi aussi je vais en faire une! J’avais toujours voulu reprendre Sodade de Cesária Évora.” Le printemps, les premiers rayons de soleil. Le timing est parfait. Les likes s’accumulent. Pour l’anniversaire de la mort de sa sœur emportée par un cancer, elle publie le morceau Bellybutton, un texte de cette dernière qu’elle a mis en musique avec son frère. Radio, management, label. Tout s’enchaîne. “J’étais invitée dans des émissions mais je n’avais pas de groupe. J’ai dû rapidement en former un autour de moi.

© National

Après un premier EP, un hommage à sa frangine sans la moindre ambition carriériste, elle en sort un autre qui revisite Daniel Johnston. “Comme je suis quelqu’un qui vient de nulle part, enfin, quelqu’un qui vient de sa chambre, on m’a soufflé des idées et proposé un disque de reprises. C’est ce que je faisais à la maison. Mais j’ai voulu le consacrer à un seul artiste et j’ai choisi Daniel Johnston. Je n’ai pas de vraie formation. Un mois de conservatoire à 20 ans, ça ne t’amène pas bien loin. Mon niveau est assez bas et mon jeu très intuitif. Et comme ce que je chante vient du cœur…

Naima parle de dépression, de bouddhisme, de méditation et de respiration (“C’est fondamental, c’est la vie”). Elle évoque aussi Portishead -certaines de ses inflexions ne sont pas sans rappeler Beth Gibbons- et dit être toujours restée fan de Radiohead. Elle a arrêté de fumer et voudrait stopper l’alcool. Pas évident dans un monde de la musique où il sert de ciment social.

En attendant, sorti l’an dernier, son premier album While the Moon l’emmène sur une jolie tournée des centres culturels flamands. “C’est encore une fois assez triste. Il y a comme une mélancolie constante dans ma voix. Même quand la musique ne l’est pas. Ce n’est pas quelque chose que je choisis. C’est quelque chose que je suis, qui est là. C’est de l’acceptation de soi.

Elle ne sait pas où ça la mènera… “Ça dépendra de ce qui arrive dans ma vie et de comment je me sens. J’essaie tout simplement d’être moi-même. J’ai atterri dans un monde qui parle de concept. Mais je n’ai pas ce sens de l’artiste qui fabrique son art. Je trouve même ça bizarre.

Naima Joris, While the Moon, distribué par Pias.

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Le 17/02 à Alsemberg/Beersel, le 25/02 à Oosterzele, le 04/03 à Zaventem, le 17/03 à Wetteren, le 18/03 au théâtre de Courtrai…

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