Millionaire: ceci n’est pas une pomme

"Je suis parti dans différents supermarchés pour trouver la pomme idéale. Celle de ma pochette. J'ai vraiment dû chercher longtemps. Je les auscultais sous le regard incrédule des clients." © DR
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Avec APPLZ≠APPLZ, Millionaire rend hommage à Sly Stone, Curtis Mayfield et aux disques politiques des années 70. Rencontre.

« Sisters, niggers, whities, jews, crackers. Don’t worry, if there’s hell below, we’re all gonna go« , chantait en 1970 Curtis Mayfield. C’est en pensant aux disques afro-américains de l’époque, à There’s a Riot Goin’ On de Sly & the Family Stone, à What’s Going On de Marvin Gaye, aux rappeurs de Public Enemy aussi, que Tim Vanhamel a façonné APPLZ≠APPLZ, le formidable et explosif quatrième album de Millionaire. « Quand j’ai réalisé que mes nouveaux morceaux sonnaient funk seventies, je me suis dit que j’allais parler de notre époque, de ces temps fous dans lesquels on vit, résume l’ancien guitariste d’Evil Superstars et de dEUS. Je ne veux pas me lancer dans de grandes déclarations politiques. Je ne l’ai jamais fait. J’ai toujours surtout voulu que ma musique soit dansante, qu’elle ait le sens du groove. Je n’ai jamais été vraiment branché protest song, Bob Dylan, Woody Guthrie, non. Je suis un Blanc de la classe moyenne, européen, d’une petite ville. Millionaire n’est pas Rage Against The Machine. »

Quand il cherche à expliquer sa démarche, Vanhamel pense plutôt au groupe de Pennsylvanie Ween. « Il touchait à différents genres en fonction de ses albums. C’était des espèces d’odes. Sérieux et fun à la fois. Je l’ai pris comme ça, avec espièglerie. Je ne voulais pas sonner comme un truc des années 70 non plus. J’ai mélangé tout ça à Millionaire, à ce que je suis. L’électronique, les beats hip-hop, la musique urbaine, le rock, le psychédélisme… »

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Fils d’un artiste et d’une prof de gym, né le 11 décembre 1977 à Zonhoven, le leader de Millionaire n’a pas grandi dans une famille particulièrement engagée politiquement. Il se souvient vaguement d’une grosse manif à Bruxelles contre l’armement nucléaire dans les années 80. « Je devais avoir sept ou huit ans. Je marchais en première ligne. J’ai même eu droit à ma photo dans le journal. Mes parents étaient un peu hippie. Pas des hippies hardcore, plutôt dans l’état d’esprit. Genre à conduire une Renault 4. Ils étaient de gauche. Mais mon enfance, c’était la musique, le dessin et le sport. Le basket, la gym, la natation… »

Vanhamel a des Jordan aux pieds, vestige du passé. « J’imagine que tout le monde ressent la même chose par rapport aux années de sa jeunesse. Les nineties résonnent d’une manière assez particulière en moi. Je me suis remis à quelques trucs de l’époque d’ailleurs. Les Air Jordan, les vieux jeux vidéo, le skate… C’est la crise de la quarantaine. Certains achètent un vélo. Moi, je me suis payé une Nintendo et je joue à Pac-Man  »

C’est aussi à cette époque de sa vie que renvoie APPLZ≠APPLZ. « J’ai commencé à écouter mes propres trucs, de la musique alternative, dans les années 90 mais avant j’avais grandi avec les disques de mon père. Le jazz, le blues, Frank Zappa… Et j’ai beaucoup aimé le funk. Funkadelic et James Brown notamment. Quand j’avais quatorze-quinze ans, j’en ai énormément bouffé. C’était pour moi la meilleure musique à danser qui soit. Elle était organique. Tu ne sais pas faire plus groovy que ça… »

Contraste et contradictions

Rebelle? Fataliste? Flippé? En colère? On ne sait trop à l’écoute de son nouvel album ce qui se passe dans la tête de Tim Vanhamel. Ce que lui inspire l’état du monde. Entre les intros et les interludes clins d’oeil au vieux hip-hop à la A Tribe Called Quest (Cornucopia, Applude), les références à Sly (There Is a Heart Riot Going On) et au western (Los Romanticos), les relents de Queens of The Stone Age et les plans hendrixiens, le Millionaire en chef distille du contraste, des contradictions, des humeurs… « On est noyés sous l’information. Je ne regarde plus les infos depuis longtemps. Les choses importantes finissent par arriver à toi de toutes façons. Mais bons, mauvais, ça n’existe pas. La nature humaine est ce qu’elle est. Chacun a ses motivations. »

Millionaire: ceci n'est pas une pomme

Convaincu qu’il y a toujours de la pluie avant le soleil, de l’obscurité avant la lumière, Vanhamel aime regarder le monde comme un seul être vivant. Un organisme qui bouge, qui change de forme. « Je ne suis pas fataliste. Je suis réaliste. Si tu veux aller mieux, tu dois souffrir un peu. Si tu veux être en forme, tu dois courir. Est-ce que courir est cool? Je ne sais pas. Pendant un moment, en tout cas, c’est de la souffrance. »

L’Anversois voit Sciencing et APPLZ≠APPLZ comme un frère et une soeur. « C’est comme un miroir en fait. Un miroir déformant. Beaucoup de points communs les relient. Sciencing a été enregistré au Costa Rica et mixé ici. APPLZ≠APPLZ a été enregistré ici et mixé au Costa Rica. J’ai bossé avec les mêmes gens. C’est une manière de dire « the same is not the same ». »

Qu’espère provoquer Vanhamel chez l’auditeur? Le faire remuer des fesses serait déjà pas mal… « Si ça me fait quelque chose à moi, si ça me parle, si ça groove à mes oreilles, m’emmène quelque part, me fait ressentir un truc, j’imagine qu’il y a une chance pour que ça provoque ce genre de réaction chez d’autres, quelqu’un d’autre ailleurs sur la planète. Ce disque, ce n’est pas Tim qui est en train de gueuler dans un coin de la rue. C’est un hommage à ces albums, à ces chansons, à ces artistes. Certains ne comprennent pas un mot à ce que je raconte, c’est très bien aussi. J’exagère sans doute un peu dans mes paroles. Je dis que le monde est OK mais ça ne signifie pas qu’il n’y a rien à faire. Tu peux moins prendre ta voiture, davantage utiliser le train. Je n’ai jamais compris le nihilisme. Vivre vert? Autant que tu peux, hein. Mais je ne suis pas un messie écolo. On nous met déjà assez de pression comme ça sur les épaules. »

APPLZ≠APPLZ, distribué par Unday Records. ****(*)

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