Micro, Deep in the Woods…: l’économie des petits festivals

Douglas Firs au Deep in the Woods 2014 © Snappp
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Sur quels modèles économiques reposent le Micro et le Deep in the Woods, ces petites bulles d’air dans la démesure festivalière? Leurs organisateurs lèvent le voile.

Avec leur taille humaine, leur convivialité, leur cadre sympathique et/ou forestier, le Micro, à Liège, et le Deep in the Woods, à Heer-sur-Meuse, se sont en quelques éditions seulement imposés comme de véritables respirations dans l’apnée festivalière. Des rendez-vous presque obligés pour les mélomanes en quête d’oxygène suffoquant dans les machines à fric comme pour les amateurs de découvertes aimant partager la musique en famille dans les bois… Budgets respectifs: 100.000 et 70.000 euros. On est loin des sommes mirobolantes dépensées pour accueillir spartiatement le public par dizaines de milliers.

« Nous dépensons 15.000 euros pour l’artistique et nous n’avons jamais payé un set plus de 3500 balles, confie Jean-François Jaspers au sujet du Micro (2000 spectateurs). Au début, un ou deux groupes de l’affiche étaient mieux rémunérés que les autres. Mais disons qu’aujourd’hui, nous payons davantage d’artistes moyennement. »

Le festival liégeois organisé par le collectif JauneOrange n’a pas traîné à se trouver un public et à se bâtir sa petite réputation. « L’idée, c’est de se faire plaisir. Si les gens viennent sans connaître un nom et repartent avec deux coups de coeur, nous sommes contents. Nous amorçons des pistes très tôt: quand un groupe est lancé, pour nous, il est déjà trop tard… Je pense qu’on participe à la construction d’une carrière sur la Belgique. La Wallonie du moins. Beaucoup d’agents l’ont compris. On me dit souvent: « Le cachet est à hauteur d’autant, vois ce que tu peux faire… » On propose ce qu’on peut et on espère que ça passe. Ce qui suffit souvent pour l’instant. »

Notamment, il le sait, parce qu’il joue la carte de l’ambiance, du développement et n’a pas les yeux plus gros que le ventre. « Nous avons peu de spots. On ne doit pas flamber et accepter n’importe quoi pour remplir notre affiche. Autrement, on fonctionnerait avec deux scènes, et on n’aurait peut-être pas tout le temps des trucs dont on serait pleinement satisfaits. »

Les Liégeois ont jusqu’ici grandi en aménageant leur site, en optimisant sa capacité. « Depuis notre création, nous sommes en croissance constante mais elle n’est pas exponentielle. A Liège, on a une ville qui se mobilise pour des petites initiatives sympas. Nous avons commencé sur un jour à six euros. On en demande aujourd’hui quinze pour une journée et demie. Ça fait plus de 50% d’augmentation quand même. Mais ça reste des petits prix. On est bien tant qu’on ne dépasse pas le billet de 20. » La gestion semble saine et sereine. L’existence du festival pérenne. « Nous pouvons encore fonctionner comme ça pendant deux ou trois ans. Il est possible de trouver l’un ou l’autre partenaire supplémentaire (pour l’instant, le sponsoring s’élève à 10% du budget) ou de jouer un petit peu sur le tarif des boissons. Nous bénéficions de quelques aides publiques mais la picole est clairement le premier mécène de notre festival. Elle représente environ 50% de nos recettes. Le modèle est économiquement viable. Mais nous ne sommes pas à l’abri. Nous n’avons pas énormément de marge. »

Coproductions, subventions…

A Nîmes, fin mai, avec son affiche indé particulièrement alléchante (Thee Oh Sees, Ariel Pink, Thurston Moore, Caribou…), le This is Not a Love Song est devenu un mini Primavera. Un Primavera à taille humaine (environ 3000 spectateurs) et à prix réduits (60 euros les trois jours). Mais l’événement ne s’autofinance qu’à 50%. Le reste provenant du budget annuel de la salle Paloma. Des subventions de l’agglomération, de l’Etat et de la région.

Le Bad Bonn Kilbi (7500 personnes en trois jours) doit lui se la jouer moins démocratique. 170 francs suisses soit environ 160 euros le week-end. « Le Bad Bonn est dirigé par un mec au taquet. Un vrai passionné de musique, un type proactif. Il avait par exemple fait les Queens of the Stone Age dans sa salle sur leur première tournée européenne et ils ont décidé de venir jouer dans son festival. Evidemment pas au tarif d’un gros. Ça aide de devoir gérer comme nous une prog à l’année. En termes de repérage mais aussi de contacts. »

Ceux qui ont monté le Deep in the Woods organisé dans le centre de vacances de Massembre (1 200 visiteurs l’an dernier) en savent quelque chose. « Chez nous, c’est assez simple. Le budget total -comprenez technique, cachet, promo, logistique- s’élève à environ 70.000 euros, dévoile le coordinateur Herman Hulsens. L’artistique représentant entre 25 et 30% de cette somme. Ce qui nous différencie de nombreux autres événements, c’est qu’on bénéficie de beaucoup d’infrastructures sur le terrain. On ne doit pas prévoir des cabines et tout créer sur un site vide. Il y a un resto, des cuisines, des logements, du personnel. Beaucoup de choses sont à notre disposition et nous avons très peu à louer. »

Le festival est d’ailleurs une coproduction avec l’asbl propriétaire du site. « Ils prennent les dortoirs, les chambres, le camping… Nous, les tickets et un pourcentage sur l’horeca. Nous payons les boulots spécifiques: techniciens, graphistes… Mais sinon, tout le monde chez nous est bénévole. Massembre, avant, n’avait qu’une vingtaine de logements occupés le premier week-end de septembre. Et nous, ça nous permet de tenir une production très légère. Ailleurs, il faut compter trois jours de démontage. Le Deep in the Woods se termine à 16 h. A 22h, on est chez nous et tout est bouclé. » A win-win situation comme on dit… « Quand tu repars plus ou moins à zéro tous les ans, le risque n’est jamais très loin, conclut-il. Même si tu es sur de petites échelles. L’idée serait de se stabiliser autour des 2000 spectateurs. Sinon, tu fais une gaffe avec une camionnette, tu as 2000 euros à payer et tu es dans le jus… »

Micro Festival, les 7 et 8 août à l’Espace 251 Nord (Liège). Avec Girl Band, Iceage, Jacco Gardner, Reverend Beat-Man, Turzi… www.microfestival.be

Deep in the Woods, du 4 au 6 septembre au domaine de Massembre (Heer-sur-Meuse). Avec Oddissee, Kris Dane, Stuff., La Jungle, Great Mountain Fire… www.deepinthewoods.be

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