Micah P. Hinson: « Je tenais à montrer qu’il y a encore de l’humanité dans ce monde »

Micah P. Hinson, le calme après les tempêtes... © DR
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Singer et songwriter parmi les plus doués de sa génération, l’Amérindien Micah P. Hinson sort un splendide nouvel album et s’arrête à l’Atelier 210. Religion, addictions et accident de van… Improbable portrait d’un génie cabossé.

Véritable joyau du label Full Time Hobby et d’un folk profond qui lorgne du côté de la country, Micah P. Hinson raconte à lui tout seul l’Amérique. Il a la voix profondément désarmante d’un Frank Sinatra lessivé. D’un Johnny Cash apaisé. D’un Stuart Staples (Tindersticks) importé. Un petit côté Bill Callahan, Nick Cave, Richard Hawley… Hinson a comme la plupart d’entre eux vécu une existence mouvementée. Fils, petit-fils et arrière-petit-fils de pasteurs, Micah naît en 1981 à Memphis et grandit au sein d’une famille chrétienne fondamentaliste. Ses parents emménagent rapidement à Abilene, patelin trop paisible du Texas spécialisé dans l’élevage et la production pétrolière. Son paternel a accepté un poste, professeur de psycho, à l’université chrétienne.

Très tôt dans la vie de Micah, il y a la musique. Mais aussi la drogue. Hinson a huit ans quand son père lui achète sa première guitare. Dix lorsqu’il joue Smells Like Teen Spirit dans un concours de jeunes talents à l’école. Et douze quand il commence à toucher à la came. Herbe, champignons, mescaline… À l’époque, Abilene est bien équipé. Façon Californie des années 60. « Je me suis mis à consommer pas mal de drogues très jeune. Notamment beaucoup de LSD. J’avais des frères plus âgés qui m’ont appris un tas de choses… Ça n’avait rien à voir du tout avec le fait de s’amuser, de prendre du bon temps. C’était plutôt s’ouvrir le troisième oeil, vivre une expérience en dehors de nous-mêmes, comprendre le but de l’univers… »

Son adolescence terminée, alors qu’il est inscrit à l’unif où enseigne son père, Micah se met à sortir avec une top model qui a fait la couverture de Vogue. Elle vient de perdre d’une overdose son mari, le guitariste de Tripping Daisy. Elle est sous valium, accro aux médicaments. Leur relation emmène Hinson en enfer. Après avoir été arrêté pour fabrication de fausses ordonnances médicales, s’être fait virer de l’université et par-dessus le marché larguer, il se retrouve totalement fauché. Il passe de canapé en canapé, dort quelques nuits sous les ponts… Ses instruments et son équipement ont été saisis par la police. C’est son grand-père ultra conservateur qui le sort du trou en lui filant de quoi rester pendant une semaine à l’hôtel.

John Mark Lapham, un pote d’Abilene, sera son deuxième sauveur. S’ils enregistrent de temps en temps ensemble, Lapham a pris l’habitude d’ajouter une chanson d’Hinson chaque fois qu’il envoie des démos de son propre groupe, The Earlies, aux maisons de disques. Lorsque, signé par un label anglais, il a l’occasion de passer un morceau de Micah sur les ondes de la BBC, Lapham reçoit un coup de fil de Sketchbook Records. Son patron épure les 600 dollars d’amende routière qu’Hinson a de retard aux États-Unis et lui paie l’avion jusque l’Angleterre pour enregistrer son premier album, le formidable et bouleversant Micah P. Hinson and The Gospel of Progress (2004). Les Earlies serviront de backing band…

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De John Denver à Robert Smith

« J’ai beaucoup de chance. Je ne sais pas combien de personnes atteignent leurs rêves après avoir totalement détruit leur vie », déclarait un jour Hinson dans une interview. Quand il se souvient de ses premiers amours mélomanes, le trentenaire au folk noir évoque les traces paternelles. Une propension déjà à regarder de l’autre côté de l’Atlantique… « La première chose qui me vient à l’esprit, c’est mon père qui me fait écouter John Denver (un chanteur américain mort à 53 ans en pilotant un petit avion expérimental en fibre de verre, NDLR). Denver, c’était l’amour, la paix… Il a vraiment influencé ma manière d’écrire de la musique et ma carrière. Mais mes héros d’adolescence s’appellent The Cure, My Bloody Valentine… Le groupe de Robert Smith ne faisait pas du tout le même genre de trucs que Denver, mais The Cure parlait d’amour. C’était très mélancolique et puissant. My Bloody Valentine m’a montré que la musique ne devait pas sonner d’une manière ou d’une autre. Qu’elle pouvait être tout ce que tu voulais qu’elle soit. Ils créaient un truc que personne n’avait encore inventé. Ils m’ont vraiment ouvert l’accès à un monde, un univers tout entier. »

Ça ne se lit pas sur son visage, derrière ses grandes lunettes… Mais Micah est un Amérindien. Avant de s’éparpiller, son peuple, les Chicachas, vivaient dans le sud-est des États-Unis. Les villages de ce qui constitue aujourd’hui le Mississippi et le Tennessee occidental. Fiers guerriers, ils étaient réputés pour leur bravoure au combat… Son dernier album, When I Shoot At You With Arrows, I Will Shoot to Destroy You, parle d’eux. « J’ai eu une vision. J’en ai parlé à mon frère qui a discuté avec les aînés de la communauté. Il a souligné l’importance de ma mission et je pense que ça a lancé le disque. Je voulais quelque chose qui ne soit pas spécialement moderne. Quelque chose qui parle de la douleur, de l’âpreté d’être un humain, d’être un Amérindien. »

Micah P. Hinson:
© DR

Musiciens de l’Apocalypse

Pour mettre son disque en boîte, Hinson a rassemblé 24 musiciens, des légendes texanes et des contributeurs plus habituels, dans une grange de l’État. Une journée de répétition, une autre d’enregistrement. « Je trouvais ça important. Parce qu’on vit dans un monde où tout est créé sur ordinateur. Où tout est fait méticuleusement, froidement. Mais aussi parce que, je le vois autour de moi, on vit dans une société très individualiste. Regarde les réseaux sociaux par exemple: les choses qui sont censées nous rapprocher sont au final celles qui nous divisent. Je voulais que l’auditeur puisse comprendre… Comprendre que 25 personnes se sont retrouvées à un endroit donné à un moment donné sans trop savoir ce qu’ils étaient en train de faire pour donner vie à ces chansons. Je tenais à montrer qu’il y a encore de l’humanité dans ce monde. Que des gens peuvent se rassembler. Qu’ils n’ont pas besoin pour ça de téléphone ou de tous ces outils modernes qui ne sont en fait souvent que des distractions. Je voyais ça comme un message. J’espérais que ça interpelle les gens. »

Ce qui attire l’attention déjà, c’est qu’Hinson a gardé le nom secret de tous ses invités, englobés sous la bannière The Musicians of the Apocalypse. « J’ai signé un document avec tout le monde. À part ma femme, un ami et moi, personne ne sait qui sont les musiciens. Si je te filais la liste, tu aurais probablement déjà entendu parler de la moitié d’entre eux. Ce sont des hommes et des femmes qui ont été importants pour le Texas et pour moi. »

Le titre de l’album, When I Shoot At You With Arrows, I Will Shoot to Destroy You, renvoie à la Bible et est extrait du Livre d’Ézéchiel. « C’était un prophète assez bizarre. C’est une référence à la fois religieuse et personnelle. Tu peux entretenir de bonnes relations parfois avec des gens très destructeurs dont le but est de démolir ta vie sans raison. C’est de là que je viens. Ça avait du sens pour moi. Sans doute aussi parce que j’ai grandi et que j’ai été élevé à l’église. »

Hinson parle très ouvertement de son rapport à la religion. « La chrétienté dans laquelle j’ai baigné était vraiment axée autour du péché. Ce n’était pas le contexte idéal pour moi vu ma biographie. Très vite, je me suis écarté de ce paysage. Mais en grandissant, en ayant des enfants, ça a changé. Certains enseignements à l’intérieur de ce bouquin sont importants et fondamentaux. Je ne te dirai pas aujourd’hui que je suis un mec religieux, mais disons que je suis un type spirituel. Je me considère comme agnostique. »

Sur son dernier album, Hinson évoque sa relation à Dieu. La déception qu’il lui a inspirée. Il parle aussi du désappointement vis-à-vis de lui-même, de ses relations aux autres. Pour le paraphraser, Micah a voulu dire ce qu’il avait dans l’âme… The Sleep of the Damned est une métaphore. Une femme, Bonnie, est au volant un flingue à la main… « Elle incarne l’autorité. Nous, en tant que société, on est sur le siège arrière. On écoute et on accepte d’aller où on ne veut pas. C’est un gros problème. Si on abandonne nos pensées individuelles et qu’on laisse d’autres conduire nos vies, on ne s’en sortira jamais. Nos dirigeants et le monde nous emmènent dans de sombres recoins et nous les laissons faire. Nous suivons des leaders très destructeurs. Nous sommes pourtant bien plus forts que nous le pensons. »

Fuck Your Wisdom vient d’un endroit sombre auquel il essayait d’échapper. « En Amérique pour l’instant, tout le monde pense qu’il a raison, qu’il détient la sagesse, qu’il est le plus malin. Cette chanson, c’est une manière d’envoyer les gens se faire foutre… Un commentaire sur ma vie et sur le monde moderne. Je nous trouve particulièrement perdus et confus en tant que société. Ça peut sembler bizarre. Beaucoup pensent qu’on progresse, qu’on réalise des trucs géniaux. Et c’est le cas dans certains domaines. Mais dans d’autres, on perd toute humanité. C’est une chanson très dark. Mais pour moi, c’était la sonnerie du réveil. Comprendre que plein de choses que je pensais à propos de moi et qu’un tas de bases sur lesquelles j’ai été élevé étaient en fait de la connerie et que j’avais tout intérêt à suivre ma propre route. »

La route, elle a failli le tuer. C’était en 2011. Un accident de la circulation, lors d’une tournée en Espagne. Pendant l’année et demie qui a suivi, les bras du musicien n’ont plus fonctionné. Il a ensuite fallu réapprendre à jouer de la guitare. « J’étais vraiment à deux doigts de prendre ma retraite et d’arrêter la musique, mais elle était trop importante dans ma vie pour que j’essaie de m’échapper. » En attendant, le singer songwriter fait encore face aujourd’hui aux conséquences du drame. Il souffre de stress post-traumatique. « Quand je pense à l’accident, quand j’en parle comme maintenant, je me souviens du moindre détail. Le van qui se retourne. Être coincé en dessous du véhicule. L’odeur d’essence… Certains événements de ma vie sont comme une partie de moi. Et c’est quelque chose auquel j’aimerais échapper. Plein de gens qui ont été à la guerre, qui ont vécu des expériences horribles savent de quoi je parle. Tu as ces trucs qui vivent à l’intérieur. Tous les jours, tu te réveilles avec ces pensées. »

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Livre enterré

Avant d’être signé par un label, Hinson se rêvait auteur. En 2010, il a publié un livre en espagnol No voy a salir de aquí (I’m Not Getting Out of Here). « Ma première intention n’était pas de faire carrière dans la musique mais bien d’écrire des romans. Ou d’être un poète… » Au total, l’homme de mots a bossé sur cinq ouvrages, terminés pour la plupart. « L’un d’entre eux parle de mon enfance. J’essaie de retourner à cette expérience. De me souvenir de mes parents, de l’école, de mon frère. J’y évoque aussi ce qui se passe en Amérique. Parce que le but du livre, après l’avoir achevé, c’était de le mettre dans une boîte et de l’enterrer. J’ai été dans les bois près de chez moi et j’ai creusé un trou pour l’y enfouir. Tu as le bouquin et à la fin quelques définitions: qui était Abraham Lincoln, qui étaient les Native Americans… Ce genre de choses. Peut-être que dans 1000 ans, quand l’Amérique aura été détruite, des gens découvriront ce manuscrit et seront éventuellement capables de comprendre le passé. C’est un récit de ma vie et des observations sur le monde. Que ce soit ou non publié n’a pas beaucoup d’importance pour moi. Je pense à une mission plus importante que l’écriture d’un bouquin: je veux que l’humanité comprenne le chemin qu’elle a emprunté, qu’elle comprenne son Histoire. Quand on ne la connaît pas, elle a trop vite tendance à se répéter. Tu as eu Hitler, Mussolini, Franco il y a moins d’un siècle. Si tu n’apprends rien de tout ça, ce qui semble parfois être notre cas, tu cours de graves dangers. »

Le 02/12 à l’Atelier 210 à Bruxelles.

Micah P. Hinson and the Musicians of the Apocalypse – « When I Shoot At You With Arrows, I Will Shoot to Destroy You »

Distribué par Full Time Hobby/Konkurrent. ****

Micah P. Hinson:

Après le formidable The Holy Strangers qui racontait l’an dernier une famille en temps de guerre et, début d’année, la compilation de ses passages à la BBC, Micah P. Hinson réapparaît déjà avec un nouvel album. Un disque exceptionnel de Tindersticks américains, magnifié par sa voix douce et grave. Sept pépites de chansons enregistrées avec 24 musiciens dont vous ne connaîtrez pas le nom. Joliment habillé (I Am Looking For the Truth, Not a Knife In the Back), dépouillé (Fuck Your Wisdom et My Blood Will Call Out to You From the Ground), franchement rock (Small Spaces) voire carrément transcendantal (The Skulls of Christ), ce disque est une merveille.

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