MGMT, retour en forme

Ben Goldwasser (à droite): "L'un des trucs qui nous ont donné envie de continuer, c'est d'avoir entendu de jeunes personnes vivant des moments difficiles ou se sentant seuls, expliquer que nos chansons leur avaient fait du bien." © BRAD ELTERMAN
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Marqué par l’état du monde et les dépendances aux nouvelles technologies, bercé par la pop à synthé russe des années 80 et l’insolence du punk anglais, MGMT questionne son époque sur Little Dark Age. Un quatrième album qui a le sens retrouvé et tordu du single.

Dans les couloirs, des portraits de Michael Jackson et de David Bowie représentés pour le coup par des chiens superstars. Au beau milieu de la chambre, coquette pour employer un vocabulaire d’agence immobilière, la baignoire… L’insoupçonnable Hôtel Saint-Géry, sur la place du même nom à Bruxelles, va bien au teint surréaliste, psychédélique et kitschounet de MGMT et de sa pop music. … À quelques heures de son concert à l’Ancienne Belgique, Ben Goldwasser -barbe noire de hipster, petites lunettes d’intello-, tête pensante du groupe avec Andrew VanWyngarden, se raconte avec pudeur mais sans faux-fuyants. Il assume les choix, la carrière singulière et une vision disons assez « tordue » de la pop.  » On avait les mêmes intentions en réfléchissant à ce nouvel album qu’en commençant à travailler sur le précédent. Pour MGMT, on s’était mis au boulot en voulant enregistrer des pop songs directes et efficaces, mais au bout du compte ça avait fini par sonner tout autrement. On avait été très excités à l’idée d’une espèce de collage sonore, de faire un disque influencé par notre présence dans un studio, d’assembler des sons. On s’était bien amusés et on aime encore la musique. C’est toujours bon signe. Mais cette fois, on s’est davantage tenus à nos engagements. On s’est concentrés sur le songwriting, acharnés à trouver des mélodies, des rythmes sur lesquels construire des chansons. »

Little Dark Age sonne comme une quête pas désespérée du tout de singles. La preuve vivante qu’on peut encore entendre de la bonne musique à la radio. MGMT n’avait plus rien sorti d’aussi direct et efficace depuis son premier album, Oracular Spectacular, il y a dix ans et des poussières. Un disque qui enquillait les tubes: Kids, Electric Feel, Time to Pretend… « On y a prêté davantage attention que pour tous nos autres disques en tout cas. C’est pas qu’on voulait des hits, caracoler en tête des charts. On avait juste l’idée de pistes qui font bouger. »

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Si Franz Ferdinand a toujours clamé vouloir faire danser les filles, MGMT a plutôt pour ambition de faire remuer les freaks. « Ce n’est pas quelque chose d’insultant, je tiens à préciser. L’un des trucs qui nous ont beaucoup inspirés et qui nous a donné envie de continuer à faire de la musique, c’est d’avoir entendu de jeunes personnes en dépression, vivant des moments difficiles ou se sentant seuls, sans ami, expliquer que nos chansons leur avaient fait du bien. J’ai vécu ça quand j’étais gamin. C’est dur d’être ado, de ne pas avoir l’impression que ton cerveau fonctionne comme celui des autres. C’est le genre de gens avec qui on aime entrer en connexion. Sommes-nous, nous, encore des freaks? Andrew et moi n’avons sans doute jamais vécu une vie aussi normale qu’aujourd’hui. On a acheté des maisons. J’ai déménagé à Los Angeles il y a trois ans. J’ai un jardin, un chien. Je vais me marier au printemps aussi… Mais je n’ai pas de réponse à ta question pour autant.« 

Portes ouvertes

Des gentils freaks, rêveurs iconoclastes, sorciers de la pop, il y en a quelques-uns sur le nouvel album du duo de barjots (lire aussi l’encadré ci-dessous). Ariel Pink, Connan Mockasin… On croise même, discret, ce gourou barbu français de Sébastien Tellier. « Je pense qu’en bien des points ce qu’ils font est similaire à ce qu’on veut faire. De la pop music mais à leur sauce. Un truc qui semble s’être échappé des profondeurs de leur cerveau, presque subconscient. On a toujours eu une idée assez tordue de ce que la pop pouvait être. C’est cool de savoir qu’il y a d’autres personnes dans les parages qui voient la musique comme nous et ont rencontré un vrai succès. »

MGMT, retour en forme
© Brad Elterman

Ouvrir les portes, lâcher du lest, prendre l’air… L’idée vient du producteur Patrick Wimberly. Un ancien de Chairlift passé derrière les manettes de Solange et de Beyoncé. Ben et Andrew sont pour leur part plutôt insulaires et cachottiers… « On n’était pas contre le principe mais on ne fonctionne pas comme ça d’habitude. On aime s’enfermer, ne pas interagir avec le reste du monde pendant qu’on écrit. On avait déjà un peu tenté le coup sur notre second disque Congratulations. Mais c’était juste nous, notre live band et Sonic Boom dans une maison à Malibu.« 

Mister Pink assure quelques choeurs, joue du clavier par-ci, un peu de guitare par-là. « Ariel est un pote de Patrick. On est de grands fans de sa musique mais on voulait aussi voir comment il fonctionnait. On était excités à l’idée de bosser avec un mec qui, comme lui, travaille très vite. Il pense toujours à des chansons. Des morceaux se promènent en permanence dans sa tête. Et il imagine ce qu’ils vont devenir. Avec lui, le moindre petit truc qui tombe dans la conversation peut devenir une chanson. Ça nous a inspirés. Il a glandouillé avec nous pendant d’autres sessions mais il a surtout coécrit When You Die. « When You Die, c’est le China Girl du disque. Un titre dans lequel Mockasin donne d’ailleurs un peu de la voix… « Connan a passé davantage de temps avec nous. Il était souvent dans les parages. Andrew et lui ont développé une véritable amitié ces deux dernières années. Ils traînaient ensemble. Il joue un peu sur le disque, mais il a surtout influencé le truc en tant qu’ami. Il a aussi une manière très singulière de bosser. C’est tout l’inverse d’Ariel. Il emprunte un sentier délibérément lent, construisant chanson après chanson de manière très patiente. Il s’accorde du temps. »

Addictions

MGMT, retour en forme

Enregistré dans quatre studios entre New York et la Californie, Little Dark Age est le disque de gentils fêlés qui jettent un regard assez lucide sur leur époque. Ils parlent de leur pays, de l’état des choses aujourd’hui. « D’une certaine manière, c’est aussi une période personnelle d’obscurité et de doute. Voire de dépression. Ce disque nous a permis de sortir d’une humeur maussade. Que ce soit en tant que groupe ou de manière individuelle. À un moment, on s’est même demandé si on devait continuer MGMT. On ne savait pas trop ce qu’il allait advenir du projet. D’autant qu’Andrew est resté habiter à New York. »

À l’été 2016, la musique les a à nouveau excités, leur permettant de sortir de cet état d’esprit et de ces sentiments moroses. « Reconnaître l’amitié est l’un des thèmes principaux de l’album. Les amis, ça aide à se rappeler de ce qui compte dans la vie. Après avoir tourné autant, sans avoir de vie stable ni être vraiment connectés aux gens avec lesquels on vivait, ça a été facile de perdre de vue que c’était important, que ça nous manquait. » Si James, marqué par un trip de VanWyngarden au LSD, parle justement du sujet, When You Die évoque la méchanceté en ligne. Et TSLAMP (Time Spend Looking At My Phone) l’addiction au GSM… « Nous reconnaissons tous les deux notre dépendance au téléphone et à Internet. Mais certains ne communiquent plus du tout avec les gens qui les entourent, absorbés qu’ils sont par leur écran. Tout spécialement en ville, je pense. C’est inévitable. C’est comme ça qu’on interagit aujourd’hui. Comment je lutte? Je me fixe des règles. Pas de téléphone dans la chambre. Je l’enferme de temps en temps quelque part pendant quelques heures. Le danger, pour moi, c’est d’oublier les moments entre lesquels tu fais les choses. Ces moments où tu réfléchis, où ton esprit fait le point, où naissent des idées. Même quand tu ne penses à rien en particulier. J’ai l’impression qu’on remplit trop souvent maintenant ces petits breaks avec notre téléphone. »

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Cool secrets

Gentiment anxieuse, claustrophobe et chaotique sur son troisième album, la musique de MGMT se fait avec Little Dark Age plus fun et ludique. Le disque a été profondément marqué par les années 80. La new wave. La pop à synthé soviétique et européenne de l’époque. Il évoque même ses génériques de film (TSLAMP). « Andrew a pas mal fréquenté une page Facebook russe où les gens postaient un tas de vieux morceaux synthpop. Des trucs eighties. Ça l’a beaucoup inspiré. Comme Ariel et Connan, on a été influencés par pas mal de minimal wave, de musique DIY à synthé. Des bazars belges notamment d’ailleurs. Beaucoup de ces trucs sont vraiment cool. Ce sont des gens qui ont entendu de grosses pop songs à la radio et se sont dit qu’ils pouvaient en composer aussi. Ce qu’ils ont fait à leur manière toute singulière. Ça fait du bien ces bazars autoproduits, ces pop songs catchy bizarres. »

Ça ne s’entend pas musicalement sur le disque: Ben Goldwasser est le premier à le reconnaître. Mais il a lui été plus particulièrement marqué par les punks anglais. « Par leur démarche et leur sens de l’humour plus que par leur son. Je suis un grand fan des Stranglers, qui n’étaient déjà pas vraiment un groupe punk. Dans les années 80, ils ont fini par faire de la synth pop sophistiquée et complètement folle. Les paroles étaient vraiment drôles et intelligentes. Les punks savaient qu’ils blessaient des gens. Ils savaient sur quels boutons appuyer. Ils savaient que certaines de leurs chansons endommageraient probablement leur carrière parce qu’elles foutraient des mecs en rogne. Il y a quelque chose de génial et de beau dans tout ça. Ça ne les a pas empêchés de rencontrer le succès et de prendre des risques. »

MGMT, retour en forme
© Brad Elterman

Ben, qui avait passé tout le reste de son existence à New York, semble vivre son déménagement à Los Angeles comme une grande bouffée d’oxygène. Il s’est installé dans un quartier résidentiel calme, sort peu et va rarement voir des concerts, mis à part ceux de ses potes. « Andrew a toujours été un auditeur obsessionnel. Il collectionne. Moi, j’écoute beaucoup de musique à la maison mais je fais un tas d’autres choses. J’aime bien le cinéma, la cuisine, les promenades, la programmation informatique… Je voulais quitter New York, changer un peu de perspective. »

Et s’il a longtemps entretenu une relation d’amour/haine avec la Cité des Anges, il semble y avoir trouvé son petit coin de paradis. « La première fois, j’ai détesté. Puis, tout doucement, j’ai réalisé qu’il y avait toutes ces choses incroyables sous la surface et les apparences. Que c’était une ville avec de cool secrets. Los Angeles est réputé « fake ». Mais souvent, les gens y vivent leur vie comme ils le veulent. À New York, il y a davantage de règles. Des règles sociales. Les gens s’attendent à ce que tu te comportes d’une certaine manière et sinon te le reprochent… Pour les artistes et musiciens, L.A. est un chouette endroit où habiter. Beaucoup de gens se sont installés là-bas pour percer sans jamais y arriver mais ça a créé une culture en soi… Il y a tellement d’artistes fauchés à Los Angeles que c’est devenu normal. C’est excitant. Des choses se passent. »

Little Dark Age, distribué par Sony. ***(*)

Le 07/07 à Rock Werchter.

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Lancé par Animal Collective et son label Paw Tracks au milieu des années 2000, Ariel Marcus Rosenberg Pink est l’un des plus beaux weirdos de la musique. Né il y a 40 ans à Los Angeles, le bonhomme enchaîne depuis les disques de pop malade et foldingue. Il enregistre avec R. Stevie Moore (Ku Klux Glam), demande de l’aide à Kim Fowley (Pom Pom, du nom d’une position sexuelle chère aux homosexuelles qu’on vous laisse découvrir par vous-mêmes) et dédie certains de ses albums à des beautiful losers (Dedicated to Bobby Jameson). Freaks out…

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