Mélanie Isaac, intime et lumineuse: “La gloire ne m’intéresse pas”
Sur son deuxième album, Mélanie Isaac trouve enfin sa voix, proposant une collection de chansons lumineuses, conçues autour d’un piano intimiste.
Mélanie Isaac (en concert le 12/12, au Botanique) est une femme pressée. Sinon comment expliquer que, sur son nouvel album, En attendant Nico, elle lâche d’emblée la chanson éponyme, « grillant » un piano-voix à vous faire chavirer le palpitant. Non pas que la suite du disque ne soit pas à la hauteur. Mais En attendant Nico fait partie de ces chansons touchées par la grâce. Le genre de beauté qui, dans un monde idéal, devrait se répandre au moins aussi vite que la dernière routine de danse TikTok. Même si l’on n’est pas sûr qu’une telle perspective excite outre mesure l’intéressée, rencontrée dans un café de Saint-Gilles. « Ah ben si un jour, on me propose de me produire à Forest National, je ne dirai pas non (sourire). Mais si je dois choisir entre une carrière qui explose sur base d’un seul morceau et une trajectoire plus modeste mais qui me permet d’en composer plein, je n’hésite pas une seule seconde. La « gloire » ne m’intéresse pas du tout. Ce que je veux, c’est faire des chansons. En fait, ma plus grosse angoisse est de ne pas en écrire assez. Et d’un jour partir, sans avoir eu le temps de toutes les enregistrer. »
Alors, Mélanie Isaac trace. En 2022, elle sortait Surface, premier album autoproduit qui trouvera son chemin jusque dans la playlist d’une radio comme France Inter. Deux ans plus tard, celle qui est devenue entre-temps maman d’une petite fille -Nico, c’est elle-, enchaîne avec neuf nouvelles chansons. « Et en même temps, j’ai 42 ans. N’avoir sorti que deux albums à mon âge, ça ne va pas du tout! » (rires)
Mélanie Isaac exagère un peu. La chanteuse n’a pas attendu Surface pour présenter d’autres projets. Ni pour obtenir une première forme de reconnaissance. Originaire de Neufchâteau, débarquée à Bruxelles pour les études, elle a par exemple remporté la Biennale de la Chanson française (futur parcours FrancoFaune) en 2012, et sorti l’EP L’Inachevée en 2018. « Mais pendant longtemps, je ne savais pas trop où aller, comment fonctionner. J’ai beaucoup cherché, essayé plein de choses. J’évoluais aussi dans un milieu de musiciens qui n’étaient pas du tout dans la chanson française. Pour pouvoir bosser avec eux, je me sentais un peu obligée de leur faire des propositions susceptibles de les séduire. Je me suis un peu perdue là-dedans. Aujourd’hui, par contre, j’ai l’impression d’avoir suffisamment précisé mon langage artistique pour faire des choses qui me correspondent. Je ne me force plus. J’assume simplement que je fais des chansons simples, un peu intemporelles. »
En route pour la joie
Sur En attendant Nico, elles prennent un tour encore plus dépouillé. Cela n’était pourtant pas forcément l’idée de départ. « J’avais prévu d’avoir plein de musiciens dessus. Mais j’ai fini par me rendre compte que ce n’était pas ce dont les chansons avaient besoin. Et puis, je venais aussi tout juste de devenir maman. Je pense que j’avais envie de quelque chose de plus feutré, de plus « domestique »« . La veille des sessions, la chanteuse rappelle donc ses camarades pour leur éviter de faire le déplacement pour rien. « Ils ont été très compréhensifs. » Ils reviendront d’ailleurs un peu plus tard.
Pour autant, les morceaux tournent bien la plupart du temps autour d’un piano-voix. De quoi ranimer la filiation avec la figure de Barbara, à laquelle Mélanie Isaac a été souvent associée à ses débuts? « À l’époque, il y avait sans doute quelque chose dans la voix -c’est un peu moins le cas aujourd’hui. Et puis c’est vrai que j’ai quand même eu dans ma vie une longue période très solitaire, sombre et mélancolique. Donc je pouvais comprendre le rapprochement. Même si Barbara était aussi très lumineuse… » Ce qu’est également En attendant Nico. On le rapprochera par exemple d’une chanson telle que pratiquée par Jeanne Cherhal (Elle cherche le A) ou Juliette Armanet (Je te garderai), sans se priver d’influences indie pop plus anglo-saxonnes (Une fleur sur le piano, Sublime ordinaire).
Surtout, les chansons d’En attendant Nico donnent l’impression de couler de source, comme si elles se créaient en direct. Mélanie Isaac en a composé l’essentiel à Astaffort, en 2022, pendant l’une de ces fameuses résidences musicales, mises sur pied par Francis Cabrel. « Je m’étais fixé l’objectif de mettre au point un morceau par jour. » Pari réussi. « L’écriture de chanson n’est jamais quelque chose de douloureux, ce n’est que de la joie. »
Ce qui n’exclut pas de voir poindre malgré tout les hésitations et les prises de tête, plus tard dans le processus. « Quand je suis rentrée d’Astaffort, je tournais en rond, je ne voyais pas trop quoi faire de toute cette matière ramenée. Et puis, une nuit, je me suis réveillée avec Adieu je reste en tête. » La chanson n’est pas d’elle, mais du regretté Marc Morgan. « On avait bossé ensemble sur mon premier EP. Le morceau traînait sur son bureau. J’avais déjà essayé de l’enregistrer à ce moment-là, mais je n’arrivais pas à le chanter comme je voulais. » Mélanie Isaac le rangera donc dans un tiroir, jusqu’à ce qu’il réapparaisse au milieu de son sommeil. « C’était comme si Marc était venu me dire : « Allez, arrête de te faire chier et appelle Maxime« », son fils, qui finira par co-réaliser le disque. « J’étais dans une impasse, et d’un coup, tout s’est débloqué. »
Joliment désabusé, Adieu je reste clôture un disque au charme diaphane, qui ose embrasser ses doutes (Le Camp et la Couleur), cherchant la poésie (Une fleur sur le piano) et le surplus d’âme jusque dans les plus petites choses du quotidien. « J’ai parfois l’impression que tous les artistes tirent la gueule aujourd’hui. C’est fou, non? Amusons-nous plutôt! Moi, en tout cas, j’ai encore envie de croire aux jolies choses. Quelque part, j’ai même l’impression que la vraie transgression est là aujourd’hui… »
Mélanie Isaac, En attendant Nico ***(*), distribué par ART-I.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici