
Mclusky renaît de ses cendres et sort son premier album en 21 ans
Cultissime et légendaire référence d’un rock survitaminé au chant étranglé qui aurait mangé Frank Black au petit déjeuner, Mclusky renaît de ses cendres, sort son premier album en 21 ans et partagera la plus excitante des Nuits Botanique avec The Jesus Lizard et The Ex.
Au début des années 2000, un groupe de Cardiff piquait les Pixies à la testostérone et fonçait droit dans le mur pied au plancher. Ressuscité, Mclusky a repris avec succès le chemin du studio et des tournées. La langue bien pendue et le regard ailleurs («Désolé si je ne vous contemple pas comme un Picasso mais j’ai un problème avec la caméra de mon ordi»), Andy Falkous, gamin de Newcastle jadis parti étudier le journalisme au Pays de Galles, évoque la résurrection, ses problèmes d’audition, la mort de Steve Albini et la sexualité de Michael Douglas.
Quand et pourquoi avez-vous décidé de revenir avec un nouvel album de Mclusky?
Future of the Left (NDLR: dans lequel il joue avec son épouse) devait se reposer à cause d’enfants à gérer. J’adore la paternité. C’est la plus belle des choses dans la vie. Mais elle se met clairement sur le chemin du rock’n’roll. Enfin, bref. On s’est remis à donner quelques concerts de Mclusky. Des concerts de charité ou pour soutenir des salles en difficulté. Et on s’est retrouvé sans le chercher avec des petites tournées. Quand Damien, notre nouveau bassiste, m’a demandé combien de temps dureraient nos sets ou plutôt combien de temps de musique il devrait apprendre à jouer, je lui ai répondu 20 minutes. Tant que tu sais quand la chanson commence et se termine, il ne sert à rien de s’inquiéter. Nos chansons sont très faciles à jouer. C’est du rock. Ça ne doit pas être sur-répété. Ça doit se passer dans l’instant. Instinctivement. Dans la foulée d’une courte répétition, on avait deux heures devant nous et on s’est mis à écrire des chansons. Je pense qu’on avait déjà parlé d’un nouvel album avant le Covid. On a créé quelques trucs pendant le premier confinement. Mais pas grand-chose en est sorti. Avec Mclusky, on a besoin d’être ensemble dans la même pièce sinon ça devient aussi ordinaire que de la viande et des pommes de terre. Dans bien des cas, la musique ne dépend pas tant des notes que de son volume et de sa vélocité.
Vous avez souffert de graves problèmes d’audition…
Ça a été terrifiant. Le lendemain d’une répète, en me levant, j’ai essayé de regarder du sport à la télévision pendant que ma fille jouait et j’ai ressenti ce bourdonnement insensé dans ma tête. Il répondait au son de la télé et de bruits environnants. Je souffrais d’hyperacousie et d’acouphènes. Les acouphènes sont pénibles. Mais l’hyperacousie est encore pire. Dès que j’allais quelque part et qu’il y avait un quelconque volume de quoi que ce soit, j’avais ce niveau de distorsion qui venait tout couvrir. Pendant trois mois, je n’ai pas pu écouter de musique ou ne serait-ce que rester dans une pièce avec un robinet qui coulait. Je me promenais dans Bristol tard le soir pour faire un peu d’exercice. Parce que je ne pouvais même plus aller à la salle de gym. L’hyperacousie est encore là mais n’est plus à ce point handicapante. Il y a des concerts après lesquels mes oreilles semblent encore particulièrement sensibles. On ne fait pas du folk acoustique. Mais je pense que c’est maintenant sous contrôle.
Qu’est-ce qui a changé dans le groupe hormis certains de ses membres?
Chacun a sa définition de ce qu’est une chanson de Mclusky. Moi, je sais juste quand ça n’en est pas une. Pour faire simple, Mclusky, c’est la musique qu’on représente à trois dans une pièce. C’est amusant. Mais ce n’est pas loufoque. On n’est pas le Bloodhound Gang. C’est intelligent mais ça ne le brandit pas fièrement. Et c’est confiant mais pas arrogant. La grosse différence entre le Mclusky du début des années 2000 et celui d’aujourd’hui, c’est l’assurance. Au début, tu es toujours un peu moins que la somme de tes influences. D’autant que moi, je suis devenu guitariste et surtout chanteur par accident. A l’époque, on était des mecs bizarres. Les gens beaux et chics qui ont tout ce qu’ils veulent et montent un groupe de rock ne sont pas des marginaux parce qu’ils portent des vestes en cuir et balancent quelques gros mots.
Vos concerts de réunification étaient des événements caritatifs. Quel est votre rapport à l’argent et à l’industrie?
J’aimerais gagner davantage de fric mais je peux déjà m’estimer heureux de vivre de la musique. Ça fait quelques années que je n’ai pas d’autres boulots même si je les ai enchaînés jusqu’à mes 41 balais. Je suis globalement satisfait de ce qu’on gagne ces dernières années. Je ne veux pas m’acheter un yacht… L’idée serait juste d’être un peu plus à l’aise. Quant à mon positionnement par rapport à l’industrie, disons que je n’ai pas spécialement besoin de traîner avec des gens dans des fêtes et de prendre de la cocaïne. Je comprends. J’ai été adolescent. Mais pour beaucoup, la musique, c’est juste une manière de trouver des partenaires sexuels. C’est une raison tout à fait légitime de vouloir faire carrière dans le rock. J’ai à un moment, moi aussi, eu des hormones. Tu te sens bizarre. Tu veux que toutes les filles t’aiment. Mais si c’est encore la cas à l’approche de la trentaine, tu as sans doute un problème. Ou alors tu t’appelles Michael Douglas et tu souffres d’addiction sexuelle.
Est-il facile de vieillir dans le rock?
Ce n’est pas évident si tu veux coller au cliché. Si ton but est de baiser aux quatre coins du monde. Ou peut-être que ça l’est, en fait. Je ne sais pas. Mais ce n’est guère compliqué si tu aimes vraiment le rock. Je l’ai réalisé pendant la pandémie: j’aime les musiciens. A l’exception de ceux qui sont de dangereux prédateurs sexuels. Mais je n’en ai heureusement pas trop croisés. Les musiciens sont souvent des gens sympas et intéressants avec une chouette vision du monde. Après, c’est compliqué dans le sens où comme tout artiste tu veux éviter de te répéter. Je me sens mal pour tous ceux qui ont un vrai boulot, gagnent mieux leur vie que moi, mais ont arrêté la musique. Je pense qu’ils ont abandonné une part profonde d’eux-mêmes. La musique est magique.
Plus que le football?
J’étais obsédé par le sport quand j’étais gamin. Un jour, alors que j’étais à l’université, que Newcastle avait encore perdu, je me suis retrouvé à chialer bourré devant la porte d’un de mes potes supporter d’Everton après une défaite. Je devais avoir 19 ans. Des moments pareils te font comprendre que tu as besoin de changement dans ta vie. Tu ne peux pas en pleine semaine hurler au ciel tout ce que tu penses de Manchester United en chialant sur le palier de ton meilleur ami.
Le plus important pour nous, ce n’est pas le riff. Ce n’est pas le chaos. C’est la chanson.
L’humour est aussi très présent dans Mclusky. Qu’est-ce qui vous fait marrer?
J’aime beaucoup Chris Morris. La satire, ce qui traite de l’info, de l’actualité. Cette manière différente et originale de regarder le monde. J’ai toujours apprécié le stand up. Ma femme en fait. Je l’encourage. Mais moi, je peux juste dire deux ou trois conneries entre les chansons. Ma fille a vu une vidéo des Leffingeleuren où avant Alan Is a Cowboy Killer, j’ai dit un truc du genre: «C’est la chanson préférée de ma fille. Si vous n’aimez pas cette chanson, vous n’aimez pas ma fille.» Ça l’a beaucoup fait rire. Je pense que les deux meilleures façons au monde de ne pas vendre un disque, c’est de décrire la musique comme amusante ou intelligente. Beaucoup de gens très drôles ne le sont pas du tout quand on en vient à la musique. Trop concentrés sur ce qu’est censé être leur identité et les sujets dont ils pensent devoir parler.
Votre musique est tendue. Quel est votre moteur? La colère?
Ce n’est pas une colère délibérée, en tout cas. Il n’y a pour moi aucune catharsis là-dedans. Ou si c’est le cas, c’est totalement inconscient. Pour moi, c’est de l’amusement. Nos albums sont pop. On n’est pas un groupe de rock bruitiste. Le rock bruitiste, ce sont des couches, ce sont des textures. Or, le cœur de ce qu’on fait, ce sont les chansons. Des chansons délivrées de manière particulièrement bruyante. Quand je me promène et que je me chante des chansons, je ne fredonne pas des accords de guitare. Le plus important pour nous, ce n’est pas le riff. Ce n’est pas le chaos. C’est la chanson. Nous, on fait du divertissement. Je comprends qu’on nous dise que ça sonne en colère parce que ça sonne en colère. Je ne peux pas nier ça. Et je ne peux pas nier qu’il y a un vrai élément de frustration qui a servi de carburant aux débuts du groupe. Mais quand je regarde The Jesus Lizard, je suis un peu intimidé. Nous, on est juste là pour s’amuser. Même si on a envie de défoncer la concurrence.
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My band is better than your band…
C’est une blague mais aussi la vérité. J’adore The Jesus Lizard et je suis très heureux de jouer avec eux aux Nuits Bota. C’est l’un des meilleurs groupes sur Terre. Mais ma mission, ce soir-là, c’est de monter sur scène et de tout détruire. Et leur mission à eux est exactement la même. Si tout se passe bien, les gens vont avoir droit à une super journée. C’est la dynamique du truc. Tu veux être amené à te surpasser. Après, je n’ai pas trop envie de pousser David Yow dans ses retranchements. Que veux-tu que je fasse de toute façon? Que je bouffe un spectateur?
Vos chansons sont tout de même de vrais défouloirs…
Ça dépend pour qui, j’imagine. Un jour, un type m’a dit, j’écoute Lightsabre Cocksucking Blues quand je fais l’amour à ma petite amie. Mec, cette chanson dure une minute 50. Essaie d’en utiliser une un peu plus longue quand même. (rires) Des gens ont aussi fait des accidents de la route à cause de notre morceau Slay! qui disparaît quasiment avant d’exploser. Ils l’écoutaient au volant, pensaient avoir un problème avec leur autoradio et avaient un peu trop augmenté le volume. Je ne suis pas particulièrement fier de la chose. Moi, je n’ai pas le permis de conduire. Et c’est sans doute mieux pour tout le monde.
Aviez-vous prévu de bosser sur ce nouvel album avec Steve Albini?
Pas vraiment au début. Juste une question de budget. Il aurait fallu prendre l’avion jusqu’à Chicago. Ça aurait coûté très cher. On avait plutôt envisagé ça pour le prochain disque ou le suivant. Finalement, on aurait dû bosser avec lui en France en avril de l’année passée. Mais Damien et Jack ne pouvaient plus prendre congé au boulot parce qu’on avait passé un mois à tourner. Steve laisse un vide immense derrière lui. Un mois ou deux après sa mort, j’ai regardé une de ses interviews sur YouTube mais je n’ai toujours pas été capable d’écouter sa musique. Mon père est mort quand j’étais jeune. J’ai donc toujours été hypocondriaque. Il est parti sur une crise cardiaque à l’âge de 40 ans. C’est dur. Mais parfois on a besoin de truc comme ça pour donner de la valeur et du plaisir au fait d’être sur Terre. Je n’ai plus besoin de piqûre de rappel. Même quand l’existence est ennuyeuse, elle reste délicieuse. Il ne faut pas prendre les désagréments de la vie et ce qui te tombe sur la gueule trop au sérieux.
Le 16 mai au Grand Mix, à Tourcoing; le 18 mai aux Nuits Botanique, à Bruxelles; le 8 août aux Lokerse Feesten, à Lokeren; le 2 octobre au Trix, à Anvers; le 4 octobre au Cactus, à Bruges.
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