Martin Luther King et Bobbejaan Schoepen, une histoire belge

Bobbejaan Schoepen, sur la scène de Bobbejaanland en 2001. © REPORTERS/Tim Dirven
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Au printemps 1968, le crooner flamand Bobbejaan Schoepen écrit une chanson en hommage à Martin Luther King assassiné. Quarante-six ans plus tard, Sam Moore, soulman historique, reprend They Killed A King. Décryptage.

On rencontre Tom Schoepen (1970) dans un cosy café gantois. Le plus jeune des cinq enfants de Bobbejaan Schoepen est en duo avec Firmin Michiels, son aîné et complice (1950). Pour comprendre cette saga qui commence comme une histoire belge et se poursuit près d’un demi-siècle plus tard par un chapitre américain, il faut parler casting. Bobbejaan (1925-2010) est une sorte d’Adamo néerlandophone qui aurait sifflé divinement, flashé sur la country, partagé la scène avec Josephine Baker ou Toots Thielemans, faisant une fixette gourmande sur les Etats-Unis. D’où par exemple la bagnole, forcément ricaine, où une imposante paire de cornes de boeuf garnit le pare-chocs avant. Il est aussi le seul Européen continental à avoir eu l’honneur de se produire au prestigieux Grand Ole Opry de Nashville, sous le patronyme de Bobby John… Outre ses cinq millions de disques vendus, cet homme multiple est connu pour son parc d’attractions, ouvert dès 1961, au nord d’Anvers et dûment baptisé Bobbejaanland. Tom Schoepen: « C’est là que j’ai grandi, dans une maison à l’intérieur du domaine: ma mère s’occupait de la gestion, mon père y faisait sans cesse des shows, parfois à raison de six par jour. Après quelques années, ce « carrousel » l’avait littéralement épuisé. J’ai dû attendre l’âge de sept-huit ans, et un show de la télévision flamande qui fêtait ses trois décennies de carrière, pour me rendre compte que tout cela n’était pas que du folklore. Qu’il y avait aussi l’artiste, celui qui avait joué avec Brel à l’Ancienne Belgique, qui allait voir Johnny Cash à Las Vegas ou qui avait écrit en 1964 une chanson devenue numéro un en France dans la version de Richard Anthony de 1965, Je me suis souvent demandé. »

Tom Schoepen et Sam Moore en studio
Tom Schoepen et Sam Moore en studio© DR

Daan connexion

Tom parle de son père avec beaucoup de tendresse, et Firmin Michiels approuve l’image d’un « homme authentiquement gentil ». Cet autre Flamand, qui ne fait pas ses 64 piges, vient de monter une boîte de management et d’édition à Paris, prolongeant un parcours remarqué dans le business où il a notamment été patron de Virgin Belgique. Jouant un rôle pivot dans la carrière d’Arno puis d’Axelle Red. Firmin: « J’ai croisé quelques fois Bobbejaan dans les années 70, alors que je travaillais chez Barclay (devenu label d’Universal, ndlr). Je m’occupais d’un chanteur asiatique, Andy Han, se produisant dans le show de Bobbejaan. Celui-ci, performer total, était victime d’une image d’autant plus kitsch-décalée qu’en pleine Guerre du Vietnam ou crise du pétrole, il avait ce look typiquement US (sourire). » La première initiative de Michiels est d’intégrer Bobbejaan dans un festival littéraire itinérant extrêmement populaire en Flandre, Saint-Amour: « Au début, l’organisateur a trouvé l’idée saugrenue et puis je lui ai rappelé que Bobbejaan avait écrit des choses avec une vraie valeur poétique, comme De lichtjes van de Schelde. » Dans les années 2000, le titre est repris par Daan, qui a du nez pour les décalages majeurs. Avant cela, l’enfant terrible de la pop a déjà contribué à déringardiser l’image du cowboy anversois: avec ses compères de Dead Man Ray, il réécrit la BO d’un vieux film de Bobbejaan de 1962 (Café zonder bier) et la présente en 1999 lors d’une tournée sold-out en Belgique et aux Pays-Bas. En 2008, Daan est logiquement partie prenante du premier album depuis 35 ans de Bobbejaan, featuring Axelle Red ou Geike d’Hooverphonic. Il sort chez Pias, c’est dire qu’il se veut transgénérationnel. Et puis, peu à peu, ressurgit une déjà vieille histoire. Tom: « Dans les années 60, Bobbejaan avait engagé pour les shows au parc un chanteur né à Trinidad, Mel Turner. Mon père ne faisait pas de politique mais quand Martin Luther King s’est fait assassiner à Memphis le 4 avril 1968, lui et Mel ont eu la même sensation de tremblement de terre. » La paire écrit en quelques jours They Killed The King, qui sort dans la foulée ce printemps-là. Sans succès notable.

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Sam sans Dave

Lorsque Firmin, Tom et la bande pensent à enregistrer un « second disque de come-back » après celui de 2008, bouclant déjà neuf titres avec Bobbejaan, le spectre de la chanson pour Martin Luther King, ressurgit. Mais la mort de Schoepen en mai 2010 reporte une nouvelle fois la donne. Firmin, directeur artistique sur plusieurs albums d’Axelle Red, repense alors à sa connexion Memphis et, notamment, à l’arrangeur Lester Snell, auquel il envoie They Killed The King. Firmin: « Dans les premiers temps, il ne s’est pas passé grand-chose, mais quand je l’ai relancé à l’automne 2013, Lester a fini par me répondre que Sam Moore était intéressé. L’une des choses les plus fortes, qu’on ne savait pas, est que Sam avait été un ami personnel de King et qu’il n’a jamais arrêté de militer pour sa mémoire. » Moore n’est autre que la moitié de Sam & Dave, le plus fameux duo de la soul américaine, contemporain d’Otis Redding et perle du fondateur label Stax. Tout ce beau monde se retrouve donc en janvier 2014 aux mythiques Royal Studios de Memphis, là où Willie Mitchell a enregistré Al Green, Ike & Tina Turner ou Chuck Berry. C’est d’ailleurs le fils de Mitchell, Lawrence, qui chipote les manettes du titre coproduit par Firmin Michiels et le New-Yorkais Mark Plati, rebaptisé They Killed A King, le texte original se voyant légèrement « modernisé » par le vétéran Sam Moore (1935). L’affaire, financée par Tom Schoepen, sonne comme du rhythm’n’blues vintage et cuivré, juteux sous les pistons des choeurs et le groove Mathusalem. Tom: « Bien sûr, cela fait partie de mon désir qu’une nouvelle génération redécouvre le travail de mon père, même si on n’a aucune idée du futur commercial de la chanson, qui va sortir partout, y compris en Amérique. Un album devrait suivre à l’automne. » N’empêche que cowboy Bobbejaan doit, à cet instant précis, faire du rodéo dans sa tombe.

  • THEY KILLED A KING SORT CE 4 AVRIL, EN DOWNLOAD DIGITAL UNIQUEMENT, VIA V2 RECORDS.

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