Lylac, clair de terre

Pour son quatrième album, Lylac s'est notamment nourri des "sonorités de la planète" résonnant dans son quartier métissé. © JEAN-CHRISTOPHE NOËL
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

L’itinérant bruxellois Lylac propose I’m The Stranger, chansons spleen nourries de ponctuations électroniques. Avec une prochaine apparition dans un opéra à La Monnaie, le musicien confirme ses ambitions mondialistes.

Pourquoi Amaury Massion, alias Lylac, ne pourrit-il pas, au sens éminemment positif, les ondes radio belges, voire internationales? La question se repose fermement avec I Am Stranger, neuf titres de pop mélancolique parfumés d’une électro gentiment intrusive. Des chansons – dont Rebel Heart, qui ouvre les festivités sur des contreforts accrocheurs – comme si le « coeur de rebelle (sic) » était vraiment destiné à mettre du baume discographique sur les présentes incertitudes. Musicales mais pas seulement. Pas de pessimisme antérieur puisque le quatrième chapitre des aventures du quadra bruxellois, né en 1977, n’est sorti que ce 21 août, tenant compte de multiples reports dus au virus que l’on se fatigue à citer.

Si l’on s’en tient aux signes précédents, ceux liés au troisième album, tout espoir radiophonique n’est pas perdu. Lylac: « Bizarrement, The Buffalo Spirit, sorti en 2018, nommé aux D6bels Music Awards et aux Octaves de la musique, a été très fortement soutenu par Georges Lang, pilier de RTL radio et fan absolu de musique américaine, de préférence californienne. Non seulement il a beaucoup passé les chansons de ce disque écrit sous l’influence d’un long voyage nord-américain en famille, mais il a également intégré deux de mes titres dans ses compilations California. Où du coup, je me suis retrouvé aux côtés des Doors ou de Crosby, Stills, Nash & Young. Là, je me suis dit que j’avais chopé un bout de vérité. »

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Ce qui rend l’affaire Lylac intéressante, c’est que sa musique n’adopte aucune manière copycat – californienne ou autre – et se nourrit de ces éventuelles épices-là pour souffler un autre vent. Européen, continental, du xxie siècle, folk-pop sophistiquée désormais dans l’ombre d’interventions « un rien plus urbaines qui consistent à suivre le son. Comme je l’ai appris dans les classes d’impro de Garrett List à Liège ».

Chaman pop

Ucclois de naissance, Lylac habite en famille une ancienne triperie au coeur de Matonge, l’Ixelles congolais et métissé. Ce père de deux enfants voyage aussi par le quartier. « J’ai pris l’habitude de composer en parcourant des pays étrangers, explique le quadra. Mais pour cet album-ci, je me suis souvent contenté de sortir de chez moi, de parcourir trois blocs et d’y entendre dix langues différentes. Et donc d’absorber les sonorités de la planète ».

Environnementaliste assumé, Lylac explique volontiers que le nouvel opus se présente sous perfusion actuelle. Moment très particulier où la jeunesse protestataire du monde entier – Greta Thunberg en tête – signifie aux dirigeants adultes leur notoire incapacité à gouverner le futur. Lylac: « J’ai participé à cette fameuse manifestation bruxelloise (NDLR: Rise for Climate, le 2 décembre 2018, qui a réuni 75.000 personnes) et je m’estime ultraconscientisé. J’aime consommer local et prendre de « bonnes habitudes », même si elles peuvent sembler un rien anodines. Toutes ces manifestations des jeudis et vendredis, auxquelles je suis allé, m’ont donné énormément d’énergie et d’espoir. On vit une extinction de la faune et de la flore, c’est pour cela que mon album s’appelle I’m The Stranger. Sommes-nous devenus des étrangers à notre propre terre? Cela dit, cette interrogation vise également à ne pas tomber dans le diktat politique. »

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Réponses en chansons, évidemment, qui dévient – pas scandaleusement – des précédents disques par l’utilisation de sonorités électroniques. Une façon de donner un autre relief aux prières généralement acoustiques de Lylac. « Initialement, je compose en voix et guitare acoustique et teste la validité des morceaux qui doivent fonctionner dans leur plus simple expression. L’électronique est venue comme ça… apprise sur le tas via des programmes ou des sons pêchés sur Internet. Elle a ensuite été triturée et puis est repassée chez Pierre Vervloesem qui s’occupe, pour le quatrième album consécutif, du mix des morceaux, une étape décisive. » A partir de là, des titres tels que Dreamers – où il s’adresse à nous comme brothers & sisters Stranger ou As We Run From The Day, Lylac trouve la juste mesure entre l’époque vénéneuse et l’esprit guérisseur. Chaman pop? Peut-être, même avec des bouts de Nick Drake dans le brillant Sisters Of Mercy. C’est dire la qualité globale de l’entreprise.

Entre vie et mort

L’album bénéficie aussi de la complicité gémellaire de la violoncelliste Merryl Havard, compagne musicale depuis le second disque, qui berce à nouveau les songes lylaciens. Le chanteur-compositeur a contribué « aux lignes de violoncelle, comme à celles des violons, les deux jouant d’une dualité avec l’électronique ». Pas tout à fait un hasard puisque le cursus de Lylac est bien de ressort académique: une demi-douzaine d’années d’apprentissage jazz entre Anvers, le conservatoire de Bruxelles et les classes d’impro à Liège. Ce qui, en ce mois de septembre 2020, le mène indirectement à La Monnaie. Soit deux représentations d’un opéra imaginé par le compositeur belge et ô combien contemporain Jean-Luc Fafchamps, Is This The End? Lylac: « Quand j’avais 20 ans, j’ai suivi les ateliers de la chanson de Martine Kivits, compagne de Fafchamps. Et là, il cherchait une voix non classique pour l’un des trois rôles solistes principaux de sa création. D’habitude, les opéras à La Monnaie se prévoient trois ans à l’avance mais là, l’initiative date de ce printemps et voit néanmoins large, incorporant un choeur de vingt personnes et un orchestre symphonique. Cela se passe dans les limbes, entre vie et mort, ce que l’on appelle la near-death experience. Où, paraît-il, vous apercevez un tunnel et des lumières. » Amaury, présenté pour l’occasion sous son vrai patronyme dans le programme, devrait aussi côtoyer le spectre de Jim Morrison. Dans une histoire où un homme qui recherche sa femme se demande s’il ne doit pas mourir pour la retrouver. Pour trouver Lylac, c’est en tout cas plus simple : I’m The Stranger est maintenant disponible.

Album I’m The Stranger distribué par homerecords.be.

En concert au Botanique, le 15 décembre. A La Monnaie dans Is This The End, les 12 et 13 septembre.

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