Lola Young sort son nouvel album I’m Only F**ing Myself et tente de faire le break après le carton de Messy. Critique et portrait d’une artiste sur le fil
C’est l’un des plus gros tubes de ces derniers mois. Le genre de succès qui propulse son auteur dans une autre dimension. Dans l’Ultratop, Messy est resté scotché au classement durant pas moins de 35 semaines –atteignant la première place en avril. Dans le reste du monde, c’est à peu près pareil –même parfois mieux, poussé par l’algorithme de TikTok. En soi, le morceau n’a rien de révolutionnaire. Enregistré «à l’ancienne», dans un vrai studio avec de «vrais» instruments, il a même un petit côté rétro. Mais il a du chien. Et une interprète/autrice/compositrice qui ne passe pas inaperçue: Lola Young.
Originaire de l’est de Londres, la jeune femme détonne, avec sa coupe mulet bicolore, son verbe cash et son accent vinaigré. Désormais au firmament de la pop, elle apparaît toujours aussi «nature-peinture»: c’est sa carte maîtresse. Les titres de ses disques ressemblent d’ailleurs plus à des bouts de conversation qu’à de grands manifestes. Après My Mind Wanders and Sometimes Leaves Completely («Mon esprit divague et, parfois, me quitte complètement») en 2023, et This Wasn’t Meant for You Anyway («Ça ne t’était de toute façon pas destiné») en 2024, Lola Young enchaîne. Cette semaine, elle sort I’m Only F**king Myself.
No more drama for Lola
Cette fois, pourtant, on hésite sur la traduction. Faut-il y voir une affirmation de soi (« je suis juste moi-même, p… »)? Ou une manière d’afficher ses fragilités (« je ne sabote que moi-même »)? Lola Young ne précise pas. Mais une chose est sûre: la chanteuse a pris le pli de ne pas cacher son chaos intérieur. Une confusion alimentée par des troubles schizo-affectifs, la ballotant sans cesse entre phases euphoriques et dépressives. En 2022, elle s’en ouvrait dans un post Instagram: «Ma santé mentale ne définit pas qui je suis. C’est mon super-pouvoir.» Pour autant, le tourbillon de ces derniers mois n’a pas été facile à gérer. Les spectateurs de son concert bruxellois ont pu le constater: prévu initialement le 14 février au Botanique, le show avait été annulé le soir-même (Lola Young est finalement revenue quatre mois plus tard, à la Madeleine). En cela, son titre Messy est aussi un hymne personnel. Une déclaration d’émancipation, dans laquelle elle refuse de s’excuser –«I smoke like a chimney/I’m not skinny/And I pull a Britney every other week». Et plaide : «I want to be me/Is that not allowed?»
Précisément, qui est Lola Young? Née en 2001, d’une mère anglaise et d’un père sino-jamaïcain, la nièce de Julia Donaldson (l’autrice du Gruffalo) effectue ses premières scènes ouvertes dès l’âge de 13 ans. Plus tard, elle s’inscrit à la Brit School, par laquelle sont passées, entre autres, Adele et Amy Winehouse. Difficile de ne pas les relier. Outre des similitudes vocales, Lola Young dégage un naturel qui rappelle volontiers la première, et une sensibilité d’écorchée qui évoque la seconde.
Faux départ
Ce n’est pas tout. Quand elle se lance, Lola Young est managée par deux noms bien connus de l’industrie: Nick Huggett –qui a signé Adele– et Nick Shymansky –qui a découvert Amy Winehouse alors qu’elle n’avait que 16 ans, et l’a suivie jusqu’en 2006. Après la mort de la chanteuse, en 2011, Shymansky avait pourtant juré de ne plus s’impliquer dans le management d’un artiste (à l’époque, il avait essayé, en vain, d’envoyer Amy en cure de désintoxication; elle en avait fait un hit planétaire, Rehab…). Mais «parfois vous rencontrez quelqu’un, et cela change tout», avouait-il en 2022 à The Telegraph.
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Signée sur le célèbre label Island, Lola Young n’a que 18 ans lorsqu’elle sort son premier projet, Intro. Problème: au même moment, elle doit se faire opérer pour des nodules sur les cordes vocales. L’intervention est réussie. Mais quand elle sort de l’hôpital, le Covid met un nouveau coup d’arrêt. Faux départ. Deux EP suivent malgré tout, en 2020 et 2021. Sans que les premières petites victoires engrangées (un Brit Award en 2021) ne transforment la rumeur en véritable buzz. De toute façon, Lola Young n’est pas encore Lola Young. Cheveux longs lissés, elle est toujours cette jeune fille sage, chantant des ballades énamourées.
Rehab
Rien à voir avec celle qui réapparaît en 2023. Transformée, la Londonienne est devenue cette chanteuse gouailleuse, traînant en sportswear, une bière à la main. Les peines de cœur restent son thème de prédilection. Mais elles ressemblent désormais plus à des règlements de comptes, tandis que sa musique s’est aiguisée, plus tranchante.
C’est encore un peu plus le cas sur son nouveau I’m Only F**king Myself. Un album qui adore jurer comme un charretier –au hasard, les titres F**K Everyone, Who F**king Cares? , ur an absolute c word. Et qui est capable d’effectuer le grand écart entre un premier single radio très kinky (One Thing) et une saillie plus grungy –Can We Ignore It? Repartie en studio avec la même équipe que son disque précédent (le producteur Solomonophonic en tête), Lola Young prouve surtout qu’elle est à la fois bien dans son époque –dans sa manière de zigzaguer entre les genres, de mettre ses états d’âme sur la table, etc. – et en même temps décalée par rapport à certains canons féminins qui continuent d’inonder les réseaux.
Rehab
Sous le vernis pop, Lola Young ne cache toujours rien. Sur d£aler, elle fait par exemple ses adieux à son «fournisseur»: «Tell my dealer I’ll miss him.» La «séparation» n’a toutefois pas l’air simple. Dans un récent article du New York Times, on apprend ainsi que pendant l’enregistrement, Lola Young a suivi une cure de cinq semaines pour se débarrasser de son addiction à la cocaïne. Au début de Who F**King Cares?, elle explique: «I should probably take my medication/’Cause it’s been days but I’ve been busy getting high/And my doctor said you’ll get sick again/You can’t mix these meds with white lines»…
Sur le fil, Lola Young l’assure pourtant: OK pour déconner, mais «plus comme ça désormais» (Not Like That Anymore). L’Anglaise a en effet un nouveau pari à relever. Celui d’inscrire le succès massif de Messy sur le long terme, et de faire le break (sans se… briser). Sur la pochette de I’m Only F**cking Myself, elle serre dans ses bras une poupée (gonflable) à son effigie. De Dolly Parton à Courtney Love en passant par Nicki Minaj, la figure de la poupée a souvent été invoquée par les artistes féminines. Pour mieux la détourner et la dénoncer (non, les chanteuses ne sont pas des marionnettes manipulées par l’industrie). C’est au tour de Lola Young de s’y coller. Avec ce défi supplémentaire: ne pas y laisser sa santé mentale. ●