L’Impératrice: « Le second degré est une sorte de masque, un camouflage »

L'Impératrice, groupe de musiciens calés sous la houlette de l'autodidacte Charles de Boisseguin (deuxième en partant de la gauche). © DR
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Qui a dit qu’Internet avait rétréci la musique, au point d’en faire un exercice en solitaire, planqué derrière un ordinateur? Présents aux Nuits Bota, les Français de L’impératrice remettent le jeu collectif à l’honneur.

Une enquête du quotidien Libération l’assurait encore récemment: avec la démocratisation du home studio et la généralisation de la musique assistée par ordinateur, les musiciens de session commencent à avoir du mal à trouver du boulot, « remplacés » de plus en plus souvent par les machines. C’est un refrain désormais bien connu: si la révolution Internet n’a pas amené de nouvelles révolutions musicales majeures, elle a profondément modifié la manière de concevoir la composition. Plus besoin de mobiliser de gros moyens pour pondre le prochain hit planétaire. Un ordinateur correct et une bonne connexion wi-fi peuvent suffire.

Quelque part, c’est d’ailleurs un peu comme ça qu’a demarré le projet de L’Impératrice. Au départ, Charles de Boisseguin est simple journaliste musical. « Mais j’en ai eu marre. Je lisais trop de critiques un peu gratuites et méchantes, écrites par des types qui n’avaient aucune idée de ce dont ils parlaient. Par ailleurs, on vit dans une époque où, à part peut-être dans le domaine littéraire, la critique n’est plus vraiment prescriptrice. Il y a tellement de médias différents et de moyens d’accéder directement à la musique: chacun peut se faire son avis. » Charles de Boisseguin décide donc de se lancer lui-même dans la composition. Et commence à produire ses première maquettes sur… son ordinateur. Il rêve une pop instrumentale capiteuse, entre disco suave, jus funky et musiques de film raffinées (de Michel Legrand à Vladimir Cosma en passant par François de Roubaix).

Plus de cinq ans après l’EP inaugural, voici donc Matahari, premier album officiel de L’Impératrice. Il n’est désormais plus question d’un projet solo en chambre. Il a laissé place à un vrai groupe de six musiciens. « C’était indispensable. Pour moi, c’est comme ça que cette musique se joue. En particulier en live. Je ne me voyais pas, par exemple, me contenter de lancer des bandes préenregistrées. On perd toute la dimension humaine, tout le groove. Cette musique existe parce que l’on est six sur scène, et que l’on joue en même temps, avec une énergie commune. » La démarche pourrait paraître anachronique. Dans les faits, elle ne l’est pourtant pas tant que ça…

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Sourire ambigu

L’Impératrice repose en effet sur une drôle de formule: un groupe de musiciens hyper calés, tous passés par le conservatoire, mais rassemblés sous la houlette d’un autodidacte complet. « Je n’ai aucun bagage musical. Du coup, c’est un peu comme si vous faisiez monter un joueur de rugby sur un terrain de foot: les codes se bousculent (rires). Par la force des choses, je me retrouve à donner de grands coups de pied dans leur rigueur. Et moi, je tiens compte de leur bagage technique. ça donne un hybride, une musique à la fois très spontanée, amateure, et en même temps hyper maîtrisée. » L’esthétique pop deluxe, élégante et funky, sert de ligne directrice. Volontiers geek, elle est nourrie aux notes de pochette et à la culture hyperlien du Net – « On n’invente rien, on revisite un héritage, en évitant malgré tout les formules à succès trop évidentes ».

Au départ, la musique de L’Impératrice est même purement instrumentale. « J’ai eu la chance de tomber sur d’excellents musiciens qui me permettaient d’assumer ce choix. » Des musiciens qui en l’occurrence ont tous frayé dans le classique ou le jazz, « autant de genres qui ne peuvent pas être reproduits par l’ordinateur », glisse Hagni Gwon (claviers). « J’avais envie de les entendre jouer. En fait, j’ai toujours écouté beaucoup de musiques de film, par exemple, et quand j’achetais des maxis, je préférais toujours la face b instrumentale: on y entendait souvent mieux la ligne de basse, ou la mélodie de synthé. » Depuis, la formule s’est toutefois ouverte. Flore Benguigui a rejoint le groupe, présence vocale discrète derrière le micro, évoquant plus la mélancolie menthe à l’eau d’une certaine chanson française que les éclats des grandes hurleuses disco-soul. « Quand je suis arrivée, on m’a fait comprendre que je devais éviter les grands effets et rester dans la simplicité. Ce qui m’allait très bien! De toute façon, je n’imaginais pas beugler dans un groupe baptisé L’Impératrice. »

Ce qui n’était donc à la base qu’une lubie personnelle est bel et bien devenu un vrai groupe. À l’ancienne? De l’extérieur certainement. Vu de l’intérieur, L’Impératrice revendique cependant une véritable « horizontalité ». Une manière de fonctionner collégiale qui, pour le coup, correspond bien à l’époque. Car si, auparavant, un groupe était souvent indispensable pour donner corps à la vision musicale d’un leader -qui ne pouvait pas jouer de tout-, aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Il est moins l’outil d’un meneur incontesté qu’un lieu d’échange où tout le monde se retrouve sur un pied d’égalité et se complète. Charles de Boisseguin: « On a mis en place une vraie gymnastique de groupe. Une manière de fonctionner qui fait que, même si je ne suis pas au même niveau technique que les autres, j’arrive à faire comprendre mes idées, et eux à me transmettre les leurs. »

L'Impératrice:

On retrouve ainsi dans la musique de L’Impératrice aussi bien des bouts de French Touch (Daft Punk, Justice) que du Duran Duran, des coulées seventies comme de l’électro-boogie eighties. Avec ici et là, une inclination assumée pour le kitsch. Produit par Renaud Letang – « on voulait quelqu’un qui nous apprenne à jouer ensemble et à accepter nos erreurs »-, Matahari a même pu compter sur le concours de Deodato, auteur-compositeur-producteur dont la carrière n’a pas forcément toujours bien vieilli (réécoutez S.O.S./ Fire In the Sky pour voir). « Honnêtement, travailler avec lui était un rêve de gosse! Il incarne tous nos fantasmes disco, jazz funk et BO. Personnellement, c’est une figure cruciale de mon éducation musicale. » Et aussi de son goût pour les mélodies un peu « limite »? « Je crois que cette apologie du kitsch est assez générationnelle. Je suis né en 1986 et je remarque que je ne suis pas le seul à avoir envie de déterrer un héritage longtemps bafoué: une musique glamour, fun, sensuelle, qui ne se prend pas au sérieux pour autant, avec laquelle vous pouvez vous amuser. Quand vous écoutez l’album de Juliette Armanet, par exemple, c’est merveilleux, linguistiquement irréprochable. Mais il comporte aussi une bonne dose d’humour et de second degré qui permet de revisiter les codes de la pop. » Alors qu’on pensait l’avoir vu tiquer , Hagni Gwon prolonge et confirme: « Si on ne jouait que sur cette corde du kitsch, ça pourrait vite devenir un peu lourd. Mais ce n’est pas le cas. Je pense même qu’en glissant un peu de second degré, vous amenez une autre émotion, une nouvelle profondeur. »

Volontiers lascive, éminemment sentimentale, frenchy jusqu’au bout des ongles, la musique de L’Impératrice a le sourire ambigu. Ce n’est pas pour rien que le groupe a choisi d’invoquer la célèbre espionne pour le titre de son premier album. Charles de Boisseguin: « Le second degré est une sorte de masque, un camouflage. C’est d’ailleurs le thème du disque, et en gros toute l’histoire de ce projet. N’assumant pas du tout le fait d’être musicien, ne me sentant pas légitime dans ce rôle-là, L’Impératrice permettait de me planquer, de brouiller les pistes jusqu’au bout. »

L’Impératrice, Matahari, distr. Microqlima. ***(*)

En concert le 01/05, aux Nuits Bota, et le 14/07 au Dour festival

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