Lignes de faille: à la rencontre du rappeur anversois Dvtch Norris

"À l'école, c'était l'enfer, je ne trouvais rien qui me convenait. J'ai tout lâché pour me consacrer à la musique." © DR
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Empêtré dans un parcours scolaire chaotique, l’Anversois Dvtch Norris a trouvé le salut dans la musique. Portrait d’un rappeur qui n’hésite pas à revendiquer ses insécurités.

Le rendez-vous est fixé dans un café du côté du canal, à Bruxelles. Dvtch Norris arrive sous la pluie, la tête encore remplie des images de la veille: pour le lancement de son nouvel EP, le rappeur organisait un petit concert de présentation au Museum aan de stroom, le Mas pour les intimes, bâtiment emblématique d’Anvers, sa ville natale. « J’étais extrêmement nerveux. Se retrouver dans un endroit pareil, quand tu viens du hip-hop, c’est quelque chose. » A fortiori de ce côté-là de la frontière linguistique: le rap a beau avoir bousculé un peu partout la domination de la pop et du rock, au nord du pays, il n’a pas encore tout à fait acquis la même force de frappe que, par exemple, du côté francophone.

Malgré cela, cela fait un moment que Dvtch Norris a réussi à se faire connaître. Notamment aux côtés de la « superstar » Coely, dont il est le plus fidèle « backeur ». Mais aussi en participant au projet Niveau 4, dès 2016 (avec Roméo Elvis, Caballero & JeanJass, etc.). Comme pas mal de ses collègues flamands, Fahad Seriki, de son vrai nom, réussit à être crédible en anglais dans le texte: ses racines nigérianes ont pu aider. Il y a un an, il quittait Ekeren et la Métropole pour emménager à Bruxelles. Autre lieu, autre ambiance. « Cela m’a fait du bien. Bruxelles m’a permis de prendre un peu de recul sur ma situation, de mieux comprendre qui j’étais. » Perdu dans ce nouveau décor, Dvtch Norris a pu changer de perspective. Et puis surtout, mettre le doigt sur ce qui cloche, les additions qui restent à régler, les écorchures qui ne cicatrisent toujours pas…

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Né en 1993, Dvtch Norris tombe dans le rap en matant MTV – Snoop Dogg, Dr Dre, etc. Quand il commence à pondre ses propres textes, ses parents, très croyants, sont sceptiques. Mais il s’accroche. « J’envoyais des mails, personne ne me répondait. Finalement, un jour, j’ai reçu un message de Glenn De Vree. Il avait un petit studio, assez underground, à deux pas de chez moi! Il m’a proposé de passer pour essayer. C’est devenu mon meilleur pote. » L’apprenti rappeur pense alors à sauter définitivement le pas. « Je me rappelle être passé devant cette grande villa blanche, qui me faisait complètement fantasmer, dans le quartier chic, à côté de chez moi. J’avais 18 ans. À l’école, c’était l’enfer, je ne trouvais rien qui me convenait. Par contre, quand je me suis mis à rapper, c’était la première fois que je recevais des applaudissements. Je me suis dit que cela valait le coup d’essayer. J’ai tout lâché pour me consacrer à la musique. »

Lignes de faille: à la rencontre du rappeur anversois Dvtch Norris

Walker, Antwerp ranger

Il se cherche alors un pseudo, finit par adopter Dvtch Norris, à la fois ronflant et un brin ironique. « Je suis vraiment fan de Chuck Norris, à cause de ma mère qui nous a fait regarder tous ses films. Il est toujours dans un coin de ma tête » (sourire). Tous les superhéros ont cependant une faille. Il suffit de jeter un oeil aux titres des deux premiers EP de Dvtch Norris: après I’m Sad, I Wanna Make It, le rappeur anversois a sorti au printemps dernier un sept-titres baptisé Fahad Seriki, I Hate You« Disons qu’il y a eu une série d’événements dans ma vie qui font que j’ai du mal à me voir tout le temps comme une bonne personne », glisse-t-il timidement. Sur le morceau Save Us, il en dit un peu plus: « I was kind of different/needed special schooling (…) Kids were looking at me thinking I’m retarded ». À l’âge de six ans, au moment d’entrer en primaire, le jeune Fahad Seriki s’est en effet retrouvé orienté vers l’enseignement spécial. Le prétexte: l’hyperactivité. « À la maison, on n’a jamais accepté ça. Mais ma mère, qui ne parlait alors pas bien le néerlandais, n’a pas vraiment eu le choix, elle n’avait même pas compris qu’elle pouvait contester cette décision. » Le matin, il monte donc dans le bus scolaire en se planquant sous sa capuche. La honte au quotidien. « Le vrai scandale, c’est qu’ils ont essayé de faire la même chose avec ma soeur et mon frère. Heureusement, à ce moment-là, ma mère était mieux équipée, elle ne s’est pas laissée faire. »

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Dès qu’il en aura l’occasion, Dvtch Norris fera tout pour réintégrer le circuit « classique ». En fin de primaire, il passe donc un examen et est admis en secondaire. « Durant des années, on m’a répété que ce n’était pas possible, que j’étais trop bête. Alors quand j’ai réussi les tests, et que j’ai pu rejoindre l’enseignement général, j’étais sur un petit nuage. Pendant six mois, je me suis senti invincible. » Mais on ne « décolle » pas un stigmate du jour au lendemain. Les problèmes de concentration sont toujours là. À moins que ce ne soit le retard accumulé en primaire? Ou encore la confiance en soi qui tarde à revenir? Le parcours scolaire reste compliqué. « Je changeais d’établissement tous les six mois. Quand j’ai annoncé à mes parents que je lâchais les cours pour faire du rap, ils étaient déjà résignés. »

Le système scolaire est censé élever, donner les outils pour grandir. Encore trop souvent, cependant, il reste aussi pour certains une machine à broyer. « Mais je ne veux pas faire de mon cas une généralité, ou un combat politique. Tout cela s’est passé il y a 20 ans, et j’imagine que la situation a changé depuis… » C’est que Dvtch Norris ne voudrait pas non plus être mal compris. « Je me suis retrouvé en classe avec des gamins qui avaient des limitations physiques ou mentales parfois importantes. Alors, oui, je n’avais pas l’impression d’être à ma place. À l’époque, j’ai haï ça, je ne pouvais pas le supporter. Mais aujourd’hui, sans vouloir sonner trop « cheesy », je sais aussi que chacun est, à sa manière, « particulier », ou « différent ». » Que cette différence ne devienne pas une balafre, c’est finalement ça le véritable propos du rappeur. Comment en faire une force? Renverser le poids de la culpabilité? « Oh my god, I feel blessed », s’étonne-t-il sur le single Blessed. Loin de toute vantardise, c’est à la fois une célébration et une manière de forcer le destin.

Dvtch Norris, Fahad Seriki, I Hate You, distr. Beatville. ***(*)

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