L’extension du domaine de la sucette

Un peu par hasard, notre chroniqueur s’est retrouvé dans une soirée quasi-corporate avec Blackstrobe et Brodinski aux platines. Avant de partir en sucette et d’applaudir la justice de rue. Sortie de route, track #36.

Un type avec une perruque de carnaval et des lunettes à la Elie Semoun, de la peinture plein le visage, me reconnaît et me demande ce que Focus va bien pouvoir raconter d’une soirée afterwork. Afterwork, afterwork? Est-ce que cette fête a une gueule d’afterwork? On ne dirait pas, franchement. Du moins si on imagine qu’une soirée corporate se paye « normalement » un deejay toujours pas remis de Rose Rouge de St Germain. Le genre à kiffer le saxo parce que c’est sexy, et pour qui la meilleure techno, c’est Swedish House Mafia. Là, aux platines, c’est carrément Arnaud Rebotini, carrure et moustache de flic seventies, grand amateur de steaks argentins, mais surtout ancien comparse d’Ivan Smagghe, avec qui il lança jadis à Paris les soirées Sometimes Funky People Are Dressed in Black. Ce qui annonce on ne peut mieux sa couleur musicale: vieux fond new-wave sur boucles house, techno à l’ancienne, toujours un peu de Nitzer Ebb et de Plastikman dans l’enroule. Et après lui, c’est à Brodinski que l’on a ce soir demandé de balancer sa purée techno-rave sur le dancefloor; pas non plus le premier nom qui vient à l’esprit quand on pense à faire danser Marie-Chantal de la compta avec Pierre-Yves de la force de vente afin d’au mieux valoriser son capital HR. Cette soirée, d’autant plus improbable qu’annoncée uniquement, limite cryptiquement, via Facebook, se passe chez Wong, ce premier jeudi d’été pourri, et à moins que Carl Craig ne mixe à la Foire du Midi ou que DJ Hell se pique soudain d’animer la Braderie de Matongé, je ne pense pas que je verrai cette année quelque-chose de plus décalé.

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Car il se fait que c’est VRAIMENT une fête corporate. DJ Chicon, le sauvageon qui m’accompagne, s’y connaît en jobs pour jeunes diplômés affamés d’euros, et me soutient que la soirée est organisée en collaboration avec une boîte de consultance en IT et ingénierie, dont le CEO serait en fait un clubbeur invétéré. Cela explique le nombre de blondes BW et de vainqueurs en chemises à lignes au mètre carré, type secrétaire potelée mais salope pour les dames et genre chacal de la win pour les mâles, tous coulés dans ce moule qui traîne aux Apéros Urbains et copine avec les vendeurs de voitures, les agents immobiliers et les courtiers d’assurance. Cela explique aussi les déguisements: lunettes débiles, casquettes affreuses, perruques immondes, maquillages enfantins… Bref, des accoutrements destinés à parfaire le team building dans la grösse rigolade alcoolisée plutôt que de rejouer à Deliverance le long de la Semois avec son supérieur hiérarchique dans le rôle du citadin couineur.

Ce côté grotesque nous fait rire, nous qui sommes surtout là parce que nous apprécions sincèrement Rebotini et Brodinski, qui jouent par ailleurs exactement ce pour quoi ils sont connus, sans vraiment de concession (un petit peu, allez…). On s’attendait à retrouver d’autres fans, il se fait que l’on ne connaît absolument PERSONNE dans la place, ce qui est extrêmement rare dans la nuit bruxelloise quand on la pratique à cadence soutenue. Chicon et moi passons dès lors un long moment à observer tout cela de notre coin, très amusés, mais pas franchement concernés. Il nous semble évident que pas mal de gens se sentent obligés de danser et d’afficher un comportement gentiment outrancier, parce que même pintés sur un dancefloor avec de la techno qui tabasse, ils restent tout de même dans un esprit compétitif où règne le darwinisme de secteur tertiaire. L’extension du domaine de la lutte, comme dirait l’autre. Façon The Office, on se plaît quant à nous à imaginer un CEO dingue de clubbing qui virerait chaque lundi matin ses employés revenant trop frais du week-end et rétrograderait à la photocopieuse celles qui sont sorties au You plutôt qu’au Fuse. Et puis, ça part carrément en sucette.

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D’un coup, sans prévenir. L’abus d’alcool, le réveil de la bête de fête. Chicon se met à draguer tout ce qui ressemble de près ou de loin à une femme, échangeant chaque botte de douze rateaux contre des bières fraîches. Moi, je trouve soudainement que tout est très beau et bon. Belles lumières comme sur une télé HD, hooo… Bonne musique comme au Fuse des grandes heures, haaaa… Femmes terriblement sympathiques même quand elles nous rabrouent, wéééé… La pils me fait l’effet de l’ecstasy, sans que je ne mette à suer comme le ciel ce dimanche, ni à manger mes dents. C’est génial, mais aussi signe, une poignée de couillonnades plus tard, qu’il est temps de rentrer. Seulement voilà, le taximan est lui aussi terriblement sympathique. Je ne sais plus trop comment on en est arrivé à parler de brutalités policières et du manque de confiance qu’il est permis d’avoir envers le Comité P mais on était tellement sur la même longueur d’ondes, lui et moi, que l’on aurait pour le coup bien fondé un duo de super-héros. Les défenseurs du gauchiste matraqué et de la victime du délit de sale gueule: Antiripouman & le Mimoune Masqué. Une idée formidaaaable. Notez bien que le mal de crâne du vendredi était lui aussi totalement kikou.

Serge Coosemans

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