Les pionnières (6/8): Sharon Green, Mother of the Mic

I'm Sha-Rock and I can't be stopped. © Collection of the Smithsonian Na
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Souvent présentée comme la première rappeuse de l’Histoire, Sharon Green, alias Sha-Rock, a accompagné de son flow et de sa verve les débuts du hip-hop.

Chaque semaine de l’été, Retour sur une pionnière méconnue des musiques du XXe siècle.

Sur les photos d’époque, elle semble timide, cachant ses talents sous un visage d’enfant et un sweat-shirt trop grand. Née le 25 octobre 1962 à Wilmington en Caroline du Nord, Sharon Green n’en est pas moins l’une des pionnières du hip-hop. Sous le nom de Sha-Rock, la jeune femme a, dans les années 70 et 80, essuyé les plâtres d’une culture encore bourgeonnante. Affirmation de soi, promotion d’un quartier réputé malfamé et prise de pouvoir de la femme dans un milieu très masculin…

Inspirée et biberonnée par Millie Jackson et James Brown, Gladys Knight et les Jackson 5, Sharon Green grandit dans les rues du Bronx. Le berceau du hip-hop. Elle n’a même pas quatorze ans quand, en 1976, elle prend l’habitude de traverser le quartier chaud new-yorkais pour retrouver des B-Boys et B-Girls et s’encanailler sur les beats d’une culture naissante.

L’histoire de Sharon, c’est celle de gamins désoeuvrés qui breakdancent et entraînent leur flow dans les rues et les cours d’école. Green commence à balancer ses rimes dans les parcs et les fêtes, se fait sa street credibility et sa petite célébrité. Fin 1977, début 1978, elle rejoint le groupe Brother’s Disco, qui distribue des flyers pour auditionner des MC. Ensemble, ils deviendront les Funky Four. Et Sha-Rock s’inscrira comme la première rappeuse de la culture hip-hop. Et si les Funky 4+1 (plus on est de fous, plus on rit) sont le premier groupe de rap à signer avec une maison de disques (on est en 1979), Sha-Rock devient la première rappeuse à enregistrer une chanson pour le commerce.

Luminary icon

« I’m Sha-Rock and I can’t be stopped. » Sa première rime aux allures de slogan, Sharon, la porte sur ses vêtements… Après avoir réalisé ses débuts sur Enjoy Records avec Rappin and Rocking the House, le premier groupe dans lequel une femme occupe le rôle de MC se lie en 1980 à Sugarhill Records. C’est une autre femme, Sylvia Robinson, qui à l’époque y fait la pluie et le beau temps. Les singles entraînants qu’enregistrent alors les Funky Four Plus One renvoient aux block parties qui l’intriguent tant. Leur tube le plus illustre, That’s the Joint, sera moult fois samplé. Beastie Boys (Shake Your Rump, Shadrach), De La Soul (Say No Go), Naughty By Nature (Uptown Anthem), Outkast (Ain’t No Thang)… La liste est longue et l’influence de Sha-Rock indéniable. MC Lyte et Run-DMC entre autres ont revendiqué son héritage. DMC lui a d’ailleurs un beau jour avoué qu’au moment d’enregistrer l’album Tougher Than Leather, il avait précisé à Jam Master Jay qu’il voulait sonner comme Sha-Rock dans la chambre d’écho…

Ce ne sont pas les seuls jalons posés par la jeune Afro-Américaine dans l’Histoire du rap. Les Funky Four+1 participent en 1981 au Saturday Night Live. La première apparition de rappeurs dans une émission de télé nationale américaine. Annoncés par Debbie Harry, ils représentent la jeunesse musicale du Bronx et de Harlem face aux scènes artistiques du centre-ville et du Lower East Side. Devant les caméras, ce soir-là, Sha-Rock est loin de la provocation et de la sexualisation qui prévalent aujourd’hui. Pas de tenue outrancières, de maquillage criard… Plus que de vendre des camions de disques en jouant de ses charmes et de son sex-appeal, elle désire avant tout que les filles MC soient autant prises au sérieux que leurs homologues masculins.

Si les Funky Four Plus One, qui ont réussi à se faire connaître sans avoir sorti le moindre album, se séparent dès 1983, Green n’a pas juste pavé la voie de toutes les femmes qui allaient lui succéder: elle a défendu la culture et les valeurs du rap en respectable ambassadrice. Dans le Bronx, en ce temps-là, le hip-hop est un moyen de rester à l’écart de la came, des gangs et des gamins qui planquent des flingues sous leur pull à capuche. C’est le sentiment de communauté autour d’une passion commune pour la musique, la danse et la mode. La création sous toutes ses formes.

Sha-Rock, qui faisait aussi partie d’US Girls et a été affiliée à la Zulu Nation, a joué un petit rôle dans Beat Street d’Harry Belafonte en 1984. L’un des premiers films consacrés au hip-hop, quelque part entre la fresque sociale et le récit d’initiation. Depuis lors, The Mother of Mic (la Mère du Micro), comme elle a été baptisée, a fondé Tomorrow’s Footprints, une organisation désireuse d’apprendre et de préserver l’Histoire et les fondamentaux de la culture hip-hop à travers la musique et la danse. Elle a travaillé dans le domaine de la justice criminelle, aidé des jeunes garçons et filles en difficulté à s’en sortir.

À la lire dans les interviews qui trainent çà et là sur la Toile dans lesquelles elle se fait allègrement mousser, Sharon Green n’est pas de première modestie. C’est dû sans doute à ce qu’elle a traversé, au manque de reconnaissance dont elle a longtemps souffert. Elle qui reste relativement méconnue hors des cercles d’initiés. Après avoir publié son autobiographie en 2010, sobrement intitulée Icône lumineuse: l’histoire du début et de la fin de la première MC féminine, elle procédait il y a quelques années à des castings dans le Bronx pour un film qui raconterait sa vie. Luminary Icon, référence à son deuxième surnom, semble toujours en suspens.

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