Critique | Musique

Les histoires sans fin d’Andy Shauf

4,0 / 5
En une petite dizaine d’années, Andy Shauf est devenu le roi de l’album concept. © Angela Lewis
4,0 / 5

Album - Norm

Artiste - Andy Shauf

Genre - Folk rock

Label - Anti/Pias

Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

L’orfèvre à la voix de velours Andy Shauf sort les synthés pour un nouveau concept album dont il a le secret.

Né il y a 35 ans au Canada dans une famille chrétienne évangélique (il a eu jadis un groupe de pop punk chrétien et fait aujourd’hui jouer Dieu par une femme dans un de ses clips), Andy Shauf est l’un des singers-songwriters les plus talentueux de sa génération. Le genre de mec qui enregistre ses disques tout seul et affectionne les histoires au long cours. Control freak, homme-orchestre… Andy Shauf est un formidable touche-à-tout. S’il manie la guitare, le piano, la batterie et même la clarinette, c’est que ses parents tenaient une boutique de matériel électronique et d’instruments de musique. Et qu’il a appris à jouer par lui-même sur les invendus. “J’ai reçu une demi-batterie quand je devais avoir 5 ou 6 ans. On avait aussi à la maison une guitare électrique dont personne ne savait jouer. Tout l’apprentissage s’est déroulé de manière facile et naturelle. Tant et si bien que lorsque j’ai commencé, en secondaire, à écrire des chansons, je pouvais tout faire moi-même. Je me débrouillais à la gratte, j’étais batteur, je piquais la basse de mon frangin, je pouvais m’asseoir derrière un piano…

Son nouvel album, Norm, ne déroge pas à la règle. Andy a encore tout enregistré lui-même.C’est toujours comme ça que j’ai fonctionné. J’écris et j’enregistre en même temps. J’ai une idée et je la mets en pratique. Cette fois, j’ai voulu amener un synthétiseur et explorer. J’ai dû comprendre comment un synthé fonctionne. Les filtres, les boucles, comment on manipule le son. Je veux être capable tout seul de donner vie à mes chansons, de matérialiser aussi facilement que possible mes idées.

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Outre ce jusqu’au-boutisme, ce qui caractérise Andy Shauf, c’est sa propension au concept album. “Je dois avouer qu’en tant qu’auditeur, je ne prête pas beaucoup attention aux paroles des chansons. Quand j’écoute de la musique, je cherche surtout une vibe. Par contre, j’aime faire les choses. Les fabriquer, leur donner de la signification. Le concept album, c’est la combinaison de tout ça. Mon amour de la musique et des histoires. J’ai un temps écrit des chansons personnelles et introspectives mais les jouer peut devenir fatigant et douloureux. Donc, très vite, dans mon songwriting, j’ai adopté une approche plus fictionnelle.

Le concept est arrivé dans sa musique avec l’album The Bearer of Bad News. Les deux dernières chansons de ce disque sont deux facettes différentes d’une même histoire. L’expérience est enthousiasmante. Il décide de l’inscrire dans la durée et enchaîne avec The Party, une collection de morceaux, de petites histoires qui se rapportent tous à une seule et même fête. Andy multiplie les personnages et les points de vue. Et décide de pousser le bouchon un peu plus loin. D’arriver avec une narration linéaire, un développement. Un début, un milieu, une fin. C’est ainsi que naît The Neon Skyline, l’histoire d’un mec qui va boire un verre dans un café et apprend que son ex est de retour en ville. Ce disque pourtant remarquable, Andy n’en est pas pleinement satisfait. Il a l’impression de trop guider l’auditeur, de ne pas laisser assez de place à l’interprétation. Il décide alors, après en avoir rassemblé les chutes sur Wilds, d’enchaîner avec un album normal (il l’appellera Norm) et pour une fois d’écrire des chansons sans lien qui les unisse.

© Angela Lewis

Mulholland Drive

On ne se refait pas. Un morceau, Telephone, va modifier la donne et changer les plans. Le personnage veut parler à quelqu’un, attend son coup de fil. “Au début, tu as l’impression que c’est une belle chanson d’amour mais si tu écoutes attentivement, tu réalises que la situation est super creepy et qu’en fait il l’observe par la fenêtre.” Shauf se dit que finalement ce personnage pourrait s’appeler Norm. Il commence à glisser des détails pour que ça colle, réécrit, peaufine. “Je ne voulais pas me montrer trop directif et explicatif. Et j’ai cherché à voir comment David Lynch liait les choses sans trop en dire. J’ai regardé Mulholland Drive et je suis arrivé à ce plan avec des clés sur une table. La caméra s’arrête sur le trousseau. J’ai l’impression que ça zoome très lentement. Je trouve ça incroyable. Ça fait sens. Je suis fasciné. Trois minutes. Cinq minutes. Ce mec est un génie. Comment a-t-il pensé à ça? Sauf que mon browser se plante. Je me rends compte que ça avait bugué. Que je fixais la même image depuis tout ce temps. Ça m’a fait comprendre que ce qui est important dans une histoire, dans une narration, c’est ce que chacun met dedans. Les liens que tu tisses ne sont pas aussi essentiels que tu l’imagines. L’espace est déterminant.

Ce disque, Andy ne veut pas que tout le monde en ait tout à fait la même interprétation que lui. Il veut juste que le comprendre comme il l’a pensé soit possible. Alors, il le teste sur un ami (Nicholas Olson) et l’adapte. Pas spécialement fasciné par les concept albums des autres (tout au plus parle-t-il du Control de Pedro the Lion), Shauf évoque les plumes de George Saunders, Kurt Vonnegut, John Steinbeck, Raymond Carver, Denis Johnson… En termes de son, le Canadien a aussi cherché à se renouveler. Il a embauché Neal Pogue (Janelle Monáe, Outkast), bluffé par son travail pour Tyler, the Creator. “Sur mes disques précédents, je m’accrochais quelque part à l’idée de recréer le passé. Sur The Party, je cherchais ce son seventies de Los Angeles au coucher de soleil. Un peu comme le Aja de Steely Dan. Sur Neon Skyline, je lorgnais davantage sur le folk sixties, l’époque de Joni Mitchell. Avec celui-ci, je me suis demandé pourquoi j’essayais toujours de créer un son nostalgique alors qu’on vit dans un monde de technologie digitale. Un monde où la qualité sonore augmente. C’est cool si des disques t’y font penser mais si quelqu’un veut écouter un album de Gordon Lightfoot, il n’a qu’à mettre un disque de Gordon Lightfoot. J’ai pensé à tout ça. Et je n’ai plus voulu regarder dans le rétroviseur, rappeler le travail d’autres. J’ai voulu faire un disque qui avait sa propre atmosphère. Son propre espace même s’il vous est étranger ou inhabituel.

En concert le 26/05 à De Roma (Anvers).

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