Laurent Raphaël

L’édito: I have a dream

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Plus de cinq millions de vues en cinq jours. Le clip Rêves bizarres d’Orelsan cartonne. De quoi placer sur orbite la réédition de son album La fête est finie, enrichi de onze chansons inédites, dont ce Rêves bizarres. Comment expliquer ce succès?

Orelsan n’est certes pas un inconnu. Depuis quelques années, Aurélien Cotentin de son vrai nom s’est imposé dans la catégorie des « rappeurs blancs à l’humour décalé et dépressif ». Entre propos doux-amer et flow imparable, il a réussi à faire danser la France entière sans perdre sa « street crédibilité ». Démonstration l’an passé avec Basique, hymne anti-populiste propulsé par une vidéo virtuose tournée en un seul plan-séquence.

Mais si le bonhomme a le palais sûr pour les punchlines, il ajoute ici à sa recette un nouvel ingrédient qui ressemble plus à du Tabasco qu’à de la crème fouettée. Une urgence absolue. Un sentiment qui doit beaucoup à la présence en featuring surprise de Damso, notre dealer de rimes national. Les deux lascars qu’on n’attendait pas sur le même radeau se sont partagé équitablement le travail: à Orelsan la lutte des classes et le miroir aux alouettes de la célébrité, à Damso le racisme et les désillusions en tout genre. En un morceau qui n’oublie pas de faire tanguer les corps, le duo s’invite dans les deux débats politiques électriques du moment.

Plus de cinq millions de vues en cinq jours. Comment expliquer le succu0026#xE8;s des u003cemu003eRu0026#xEA;ves bizarresu003c/emu003e d’Orelsan et Damso?

Avec un accent nouveau, plus tranché que jamais, dans le cas de Damso, qui s’inscrit dans cette mouvance « décoloniale » gagnant du terrain en France après avoir conquis l’Amérique sous la bannière Black Lives Matter. C’est clair dans le texte quand il affirme: « C’est écrit noir sur blanc que le Blanc, c’est mieux que le Noir car le Noir il est foncé/Le racisme depuis Jésus blanchit, pourtant cheveux laineux, pieds de bronze/Comme quand les écrits n’ont plus de sens ou bien c’est le sens qu’on a déconstruit. » Allusion à la texture capillaire et à la couleur de peau de Jésus, qui pourrait avoir été blanchi dans l’inconscient collectif par sa représentation dans la peinture religieuse. Le message est encore plus clair à l’image, Damso inversant le clivage dominants/dominés en se mettant en scène sur un char tiré par des esclaves blancs. Cerise sur ce grand télescopage de références culturelles: c’est lui qui tire l’attelage, grimé en « whiteface »! Là encore un clin d’oeil à une page sordide de l’Histoire, quand les Blancs se badigeonnaient le visage de cirage pour jouer les Noirs sur scène ou à l’écran.

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Une ligne radicale qui ne va pas plaire à tout le monde. Et relancer le débat sur le racisme anti-Blancs de ce militantisme plus proche des Black Panthers que de Martin Luther King. Pas seulement dans la bouche fétide des amis de Zemmour, mais aussi désormais dans celle des humanistes, inquiets de voir le débat sur le « vivre-ensemble » se polariser autour des extrêmes. Un coup à droite, un coup à gauche, avec des mouvements aux revendications identitaires exacerbées, légitimant leurs actions et leurs discours par les injustices d’hier et d’aujourd’hui. Jusqu’à en appeler à « tuer des bébés blancs » comme l’a fait récemment le rappeur Nick Conrad…

Un dérapage verbal isolé? Pas vraiment. Dans le Nouvel Obs de la semaine dernière, Houria Bouteldja, cofondatrice du Parti des Indigènes de la République, prenait la défense du chanteur en avançant que la « violence qu’il met en scène dans le clip a été exercée historiquement envers les Noirs« . Le problème avec cette rhétorique revancharde, c’est qu’elle reprend à son compte la logique d’essentialisation qui a servi à justifier l’esclavage ou la ségrégation…

On veut croire que cette poussée de fièvre sémantique, dont Damso se fait ici l’écho, outre d’exprimer une colère compréhensible, vise surtout à déclencher une prise de conscience globale. Un peu comme quand on pratique la surenchère verbale dans une négociation afin d’arriver à un compromis acceptable par toutes les parties. Pour cela, il faudra regarder enfin en face le passé colonial (l’accrochage du Musée de Tervuren offrira une première réponse) et arrêter de se mentir sur les inégalités persistantes. C’est ça, ou le communautarisme et l’entre-soi dont seuls les nantis sortiront peut-être gagnants.

Qu’il paraît encore loin le rêve du grand poète africain-américain Langston Hughes (1902-1967): « Je rêve d’un monde où l’homme/Ne méprisera plus son semblable/Où l’amour réchauffera la terre/Je rêve d’un monde où tous les hommes/Connaîtront les douces voix de la liberté/Et où la cupidité ne ternit plus nos jours/Monde des rêves, où Noirs et Blancs/Sans se préoccuper de leur race/Se partageront les dons de la terre. »

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