Le Prince Harry, pas le roux qui fait le kéké avec Coldplay, le duo synth-punk liégeois

Le Prince Harry © LUMIN/Angélique Vecray
Serge Coosemans
Serge Coosemans Chroniqueur

Épisode 9 de notre série Belgium Underground, en collaboration avec PointCulture: Le Prince Harry, dont le EP We’re Insolvents (Plintub, 2009) et l’album It’s Getting Worse (Teenage Menopause Records, 2012) sont emblématiques d’un certain son mais aussi de certaines manières de fonctionner du synth-punk des années 2010. Leur langage fleuri étant lui-même assez jouissif, on les a par ailleurs laissé causer en roue libre, réécrivant à peine l’e-mail d’origine répondant à nos (bêtes) questions.

À l’occasion du lancement de l’application Belgium Underground et en collaboration avec PointCulture, Focus revisite durant 10 épisodes l’histoire de 10 albums marquants (ou de groupes ou de labels) même si parfois méconnus de l’underground belge. Chanson française, synth-pop, électronique de salon, post-rock et garage-punk mélodique au menu.

Anciennement trio, Le Prince Harry est désormais un duo: Lio au chant, à la guitare et aux claviers, Snon à la basse, aux claviers et aux machines. Les influences sont multiples: synth-punk, electro, garage, cold wave, punk-rock…

De quoi Le Prince Harry est-il le nom?

On nous demande souvent d’où vient le nom. C’est une question qui nous énerve, ça nous fout les glandes. Mec, est-ce qu’on demande à Michael Jackson d’où vient son nom? Mais en exclusivité pour Focus, on va répondre. Sincèrement. On était dans la cuisine de la mère de Snon, elle nous préparait sa fameuse tourte aux oeufs d’émeu et langues de merles. Le téléphone a sonné, c’était un appel anonyme en braille pour nous prévenir qu’on s’appelait Le Prince Harry. Pas Prince Harry. Le Prince Harry. Le Le étant primordial. On a dit ok.

Quand vient le moment de citer vos influences, c’est généralement parti pour 2 pages de bottin mondain du punk, du garage, de la cold-wave, du post-punk et même de la techno. La critique qui revient le plus souvent est d’ailleurs que votre musique part un peu trop dans tous les sens. C’est le principal défaut d’un certain underground « énergique », on va dire: dès que ça devient un peu plus compliqué que trois accords, c’est vu comme du jazz…

C’était pénible, au début, de mêler toutes nos influences dans un même projet. On n’a pas de groupe modèle sur lequel se calquer (sauf peut-être Tryo). Comme beaucoup de gens de nos âges, on a grandi avec les vinyles des Beatles, de Queen, des Stones et autres incontournables des 60s et 70s de nos parents. Puis, dans les années 90, où les mélanges (souvent malheureux) étaient la norme, on a autant écouté Aphex Twin que Nirvana. Il y avait ces trucs hallucinants et tellement nouveaux que le label Warp nous envoyait de Neptune et qui allaient de pair avec des gros bangs. Il y avait aussi Sub Pop et son gros son grunge pour les jeunes sales qui inondaient les ondes et nous laissaient deviner qu’il y avait d’autres choses que les cassettes d’Appetite for Destruction ou de Master of Puppets des grands frères de nos amis. Ah oui, ça nous a aussi donné envie de faire des groupes. Ça nous a entraîné vers les clubs alternatifs ouverts par nos aînés punks, ça nous a fait passer pas mal de temps dans les médiathèques. J’ai envie de dire que ça a ouvert le champs des possibles, mais on est pas dans un atelier d’écriture de centre culturel.

Bien que liégeois, Le Prince Harry est en fait relativement proche dans l’esprit de groupes français comme Kap Bambino et Magnetix. Des punks qui utilisent des machines non pas pour en tirer un son clinique et rétro mais plutôt pour donner envie aux gens de boire de la bière, de sauter en l’air et de faire respirer la sueur de leurs aisselles au reste de la salle.

Il y a assez peu de groupes desquels on est tous les deux fans. Devo. Ou Adult. LPH fait du LPH. On n’essaye pas d’aller consciemment dans une direction, de forcer la manoeuvre, on écoute plein de nouveaux trucs et ça nous nourrit. Nos nouveaux morceaux sont moins bourrins et beaucoup plus naturels par exemple, ils arrivent tous seuls, presque terminés, par les voies pénétrables du Malin et ça ne ressemble à rien. Sauf à du LPH. On se sent très libres dans nos compositions, mais on aimerait tellement composer un de ces tubes underground. Quand No Tears ou Where’s Captain Kirk ou I Can’t live in my Living Room passent en soirée, toute personne qui a un goût certain se lève et saute partout. On aimerait en fabriquer un comme ça. Mais bon, ça ne se commande pas. On a l’impression de s’en approcher à chaque fois un peu plus. Ce qui est certain c’est qu’on est toujours frais et motivés. LPH, c’est avant tout une histoire d’amour entre deux garçons et la musique. On essaye vraiment d’être sincères, spontanés et enthousiastes.

LPH bénéficie d’une plutôt bonne réputation scénique, bien évidemment bordélique à souhait mais à la patate contagieuse.

A cause de notre style hétéroclite, on attire un public pas clairement défini. Bon c’est sûr que de passer d’un morceau punk à un morceau techno ça ramène de tout. Tant mieux. Tant Pis. En tout cas tu ne te feras pas chier comme à un concert de blues si tu viens nous voir. De notre côté de la scène, on rigole beaucoup. On ADORE jouer, on est heureux pendant 45 minutes, comme si on avait pris une drogue merveilleuse (mais un peu moins quand même).

Le premier EP sort en 2009 sur Plintub, la maison d’édition du graphiste Elzo Durt, qui se lance dans le disque, pour le coup. It’s Getting Worse, l’album, suit en 2012 sur Teenage Menopause Records, le désormais célèbre, dans sa branche du moins, label bruxello-parisien co-géré par le même Elzo.

On connaîssait déjà Elzo à l’époque des free parties qui secouaient les nuits de notre laid pays au début des années 2000. Il avait les cheveux roses et enchaînait les plaques electropunk et breakcore sous des ponts d’autoroute tard dans la matinée. On a enregistré notre première démo avec 4 micros de karaoké et avec Dirty Coq des Experimental Tropic Blues Band dans le salon du batteur (parti depuis). C’était chaud parce que ce mec était criblé de dettes (le batteur, pas Dirty Coq) et les huissiers pouvaient arriver à tout moment pour saisir notre matosse tout nul, ce qui fait que lorsque la sonnette retentissait, on ne devait plus faire de bruit. Bref. On a envoyé cette démo à Recyclart, elle tombe entre les mains d’Elzo par l’intermédiaire de Colonel des Party Harders et il décide d’en extraire 4 titres et de sortir un merveilleux maxi sur son label, qui était surtout une maison d’édition dédiée aux livres d’art dégénéré. Depuis il a signé tous nos artworks, c’est trop la classe! Puis c’est un super bon pote!! Il est adorable. On l’aime. Il cogère le label bruxello-parisien Teenage Menopause (Standard & Poor’s lui accorde un AAAA), avec notre pote Froos. Je serais vous, j’achèterais tout leur catalogue les yeux fermés (en soulevant quand même un tout petit peu une paupière, sinon c’est vraiment difficile).

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Bref, voilà des Liégeois qui ont plein d’affinités avec Bruxelles, Paris et Charleroi (via Rockerill Records) alors qu’ils restent plutôt isolés dans leur propre ville, pourtant souvent peinturlurée en berceau des meilleurs artistes belges oeuvrant dans les musiques actuelles émergeantes…

Est-ce qu’il est facile de faire de la musique en 2016? On n’en sait rien. Plus facile pour nous que pour Motörhead en tous cas. Beaucoup de groupes se plaignent et très peu agissent. En fait, le climat actuel est plutôt favorable pour les formations de notre espèce. Il y a eu tous ces groupes « garage » (brrrr…) qui ont pas mal changé la donne. Le label français Born Bad a vraiment porté des groupes obscurs vers l’avant de la scène et on en a profité. Il y a 15 ans, qui aurait cru qu’un groupe de rock décent sortirait de l’hexagone? Puis Magnetix, Cheveu, Crash Normal, JC Satan et Frustration sont arrivés et ont placé la barre super haut. Ils font des disques excellents et des concerts incroyables (presque aussi bien que les nôtres). Tu vois que ces filles et ces garçons jouent avec leur tripes. Ils sortent un truc super vrai et intense et ils jouent pareil devant 4 personnes un mardi à Tourcoing que devant 30000 un vendredi à Tokyo. C’est super inspirant de les voir sur scène et d’être potes avec eux. On se sent bien un peu liégeois, mais certainement ni belge ni wallon. On habite là et puis c’est tout. On a un rapport équivoque avec notre ville. D’un côté l’aspect convivial, super festif, pas cher et plein d’artistes talentueux remplit notre coeur d’allégresse et de l’autre, cette mentalité de limaçon anémique de campagne est difficile à supporter quotidiennement. Il y a aussi ce côté ‘principautaire’ qui frise parfois le racisme pur et simple. On se sent parfois ignorés des gros médias belges, des grandes radios, des ‘pouvoirs subsidiants’… D’un côté, c’est frustrant d’entendre ces trucs formatés et sans âmes avoir plein de ‘succès’ comme ça pouf, mais d’un autre, on est arrivé à sortir plein de disques et à tourner partout en Europe en fonctionnement totalement DIY. On compose nos morceaux, on les enregistre et on les mixe nous-même. On booke nos tournées, on conduit notre van, on s’occupe de notre merch avec nos petits doigts collants et nos cerveaux flapis. Et oui, parfois, on a l’impression que d’autres sont bien mieux lotis parce qu’ils font un truc plus vendeur mais sinon, 2016 est une TRES bonne année pour LPH. Après le départ du batteur en 2015, on est passé par une période vraiment difficile et déprimante. On pensait arrêter de jouer et peut-être arrêter de respirer, ce qui aurait fait plaisir à tout le monde. Puis, on s’y est remis et cette formule duo-boîte à rythme fonctionne ultra bien! On a sorti un excellent 4 titres (un split avec Duchess Says chez Teenage Menopause) et on l’a bien défendu. On a joué des super shows un peu partout.

Ce qui ne gâche rien à une époque où les groupes sont soit trop proprets, soit contrôlent très bien leurs saletés et leurs délires, Le Prince Harry ne recule pas non plus devant la prise de parole forte en gueule et les polémiques…

Il y a cette histoire bien connue où Lio a brûlé un drapeau belge sur la scène de Dour le jour de l’investiture du Roi Philippe. Il y avait ces drapeaux belges partout et des décorations représentant un morceau de chocolat, Eddy Mercx ou une moule. On a trouvé que cette bonhommie occultait les agissements de ‘notre’ gouvernement qui, par exemple, vend des arme à des régimes pour le moins hyper-autoritaires. Puis qui se fait le chantre de la liberté, du compromis à la belge et des droits de l’homme. Enfoirés d’hypocrites. On accepte de vivre en ploutocratie sous prétexte d’une petite croix sur un écran tous les quatre ans. Ensuite, le gouvernement impose des lois absurdes avec lesquelles les gens ne sont manifestement pas d’accord. On est quoi? Des serfs? C’est quoi la prochain projet de la dynastie? Le retour de la dîme ou le droit de cuissage? Donc, pour pas mal de raisons, non, on ne sent pas ‘belges’. On a juste un accent qui donne l’air attardé et on boit plein de bière. Et on aimerait que les gens en Belgique se réveillent un peu, comme en France, et lancent des pavés très loin et très fort jusqu’à écrabouiller les robots-super calculateurs de chez Lehman Brothers, qui sont les véritables maîtres du monde.

Le Prince Harry, remise en forme et commentaires: Serge Coosemans

Belgium Underground, la nouvelle application de PointCulture, est disponible sur iOS et Android. Infos et téléchargement: www.belgium-underground.be

>> Lire également: L’appli Belgium Underground, l’autre Sound of B.

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