Tanguy Labrador Ruiz

Le Coin du Stagiaire: les tueurs de la culture

Le meurtrier, sous toutes ses formes et variations, est un personnage ultra-présent dans la culture. Valeur sûre des séries B du dimanche après-midi, il est surtout une source intarissable d’inspiration pour les artistes de tous genres et professions. Petit tour horizon des prédateurs culturels.

Le meurtre est peut-être bien aussi vieux que l’homme. Il est en tout cas une infraction, tant au niveau légal que moral, impardonnable et détestée par la majorité des citoyens, et ce, depuis l’apparition de la civilisation. Il peut être commis pour bien des motifs: l’amour, l’argent, le pouvoir, la drogue et la vengeance figurent parmi les plus courants. Mais il existe également des meurtriers dont l’acte de tuer est basé sur des motifs qui peuvent échapper à la raison. Les psychopathes, serial killers, attentats suicides et massacres désespérés façon Columbine en témoignent. Quand une maladie mentale prend le pouvoir sur la perception d’un homme et en fait un monstre, quand un être ne tue que pour satisfaire une pulsion, un besoin et se procurer du plaisir, il devient aux yeux de tous un élément dérangé, qu’il faut exclure de la société. Que ce soient les tueurs de la première ou de la seconde catégorie, on peut les retrouver dépeints dans de nombreuses oeuvres, qui ne manquent pas de fasciner, d’effrayer, de susciter de l’angoisse et des questionnements sur le bien et le mal. Petite sélection non-exhaustive de quelques modèles du genre.

Pour bien commencer, le mix de cette semaine vise à recréer l’atmosphère qui entoure les personnages les plus brutaux, les plus solitaires et les plus angoissants qu’on ait pu voir. Entre violence de la pulsion incontrôlable et l’intelligence de la préméditation, entre tension extrême du manque et apaisement procuré par l’acte, entre crainte d’être découvert et provocation, cette sélection musicale psychotique est à écouter au casque et dans l’obscurité. Prière d’éloigner tout objet tranchant ou contondant de votre portée.

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Le sang à l’écran

Le cinéma est sans doute le domaine qui a le plus popularisé les assassins auprès du grand public. De l’enquête policière la plus classique au film noir, en passant par les slashers, les films d’horreur et le documentaire, le meurtre y est montré de bien des façons.

Les films sur le sujet les plus répandus, le genre policier ou thriller, nous dévoilent les actes et la personnalité du meurtrier au fil d’une enquête. C’est le cas dans Memories of Murder de Bong Jon-ho, qui nous plonge dans l’incompréhension et le brouillard total vécus par des enquêteurs, dépassés par le génie d’un serial killer qui ne laisse aucune trace derrière lui. L’enquête autour d’un ou plusieurs meurtres est un domaine qui a donné naissance à beaucoup de films très réussis: Chinatown de Polanski, The Big Sleep d’Howard Hawks, L.A. Confidential de Curtis Hanson sans oublier la plupart des films d’Hitchcock, d’Orson Welles et des frères Coen.

Memories of Murder de Bong Jon-ho
Memories of Murder de Bong Jon-ho© DR

Les réalisations les plus marquantes sont souvent celles qui s’essayent à un exercice sombre: rentrer dans la tête et l’esprit du psychopathe, en dépeignant ses actes depuis son point de vue, son code moral (si il y en a un)et sa réalité. Et la Belgique peut se targuer d’avoir réalisé un des films les plus réussis en la matière, le bien connu C’est arrivé près de chez vous de Rémy Belvaux et André Bonzel. Une équipe de journalistes y suit Ben, un homme d’une violence et d’un cynisme extrêmes, qui tue indifféremment toute personne qui se trouve sur sa route en y prenant un grand plaisir, le tout, avec un humour noir décapant et un noir et blanc granuleux à l’image des pensées du protagoniste.

Angst de Gerald Kargl va encore plus loin, en suivant les heures qui suivent la sortie de prison d’un meurtrier, avec pour seule narration les pensées de l’homme en question. Montage brutal, décalage entre les actes et la perception du personnage, coldwave froide et sèche font de ce film coup de poing (1h15) un chef-d’oeuvre du genre.

Angst de Gerald Kargl
Angst de Gerald Kargl© DR

Henry, Portrait of a Serial Killer de John MacNaughton réalise un exercice à semblable en racontant la vie du tueur en série américain Henry Lee Lucas, tristement célèbre pour avoir tué au moins 200 personnes en compagnie de son acolyte Ottis Toole avant d’être arrêté.

Il serait inconcevable de ne pas citer le chef-d’oeuvre du genre, M Le Maudit de Fritz Lang, qui dépeint la traque menée d’abord par la police, et ensuite par la pègre et les villageois, d’un tueur d’enfant peu commun, poursuite qui est vécue tant du point de vue des traqueurs que de celui du traqué. À la fois créature timide, craintive et fuyante et monstre frappant la chair de la chair de la façon la plus horrible qui soit, le meurtrier finit par crier son désespoir en avouant son incapacité à résister à ses pulsions, et l’effacement de sa volonté durant ses actes pervers et mortels, devenant à nos yeux une victime et non plus un coupable, et passant de jugé à juge face aux accusations des malfrats.

Funny Games de Michael Haneke.
Funny Games de Michael Haneke.© DR

D’autres films se concentrent davantage sur l’assaut subit par les victimes, faisant ressentir au spectateur une empathie profonde et éveillant un instinct de survie bien ancré en eux: Funny Games de Michael Hanneke est un exemple parmi d’autres, avec l’histoire d’une famille se retrouvant aux mains de deux jeunes hommes très polis, qui font preuve d’une ruse peu commune et d’une violence d’abord rationalisée puis bestiale et ce, uniquement pour leur bon plaisir. C’est également dans cette catégorie que les films d’horreurs pullulent, jouant sur la perception d’une ou plusieurs victimes, souvent désarmées ou impuissantes face aux assauts du ou des meurtriers, afin d’effrayer le spectateur. Le genre prépondérant de ce type de film est le slasher, mettant en scène un psycopathe sanguinaire, utilisant souvent une arme blanche et s’attaquant en général a des étudiants fêtards dans un lieu isolé. Bien qu’une majorité des films de ce genre ne soient cinématographiquement pas très intéressants, quelques films restent indispensables: Halloween de Carpenter, A Nightmare on Elm Street et Scream de Wes Craven, The Texas Chainsaw Massacre de Tobe Hooper… Un genre qui a donné naissance à une multitude de nanars fort amusants, ainsi qu’à la veine cinématographique plus discutable du Torture Porn, popularisée par Saw, Hostel et autres Wolf Creek et The Human Centipede, mettant en scène toutes sortes de malades mentaux aux idées ultra-gores et peu probables.

Lectures en série

Bon nombre d’ adaptations cinématographiques ont fait (re)découvrir des êtres sanguinaires inoubliables, inventés initialement pour les lecteurs en recherche de sensations fortes. Shining et Misery de Stephen King, Silence of The Lambs et les autres romans sur Hannibal de Thomas Harris, The Black Dahlia et L.A. Confidential de James Ellroy, American Psycho de Bret Easton Ellis, Les Rivières Pourpres de Jean-Christophe Grangé, Le Parfum de Patrick Süskind… Autant de romans qui virent leur monstre quitter le papier pour aller se calquer sur les rétines de milliers de spectateurs.

Et tout comme les réalisateurs, les écrivains ne manquent pas d’imagination pour inventer des créatures d’une noirceur toujours plus affirmée et réaliste (et tout comme au cinéma, vont parfois trop loin de manière gratuite). Tout lecteur de roman policier qui se respecte ne manquera pas de se plonger dans l’oeuvre de James Ellroy, qui ne loupe jamais une occasion de critiquer la société, jouer sur les limites de la morale et user d’un vocabulaire incisif. Au-delà du mal de Shane Stevens est un de ces romans oubliés, puis ressorti (heureusement) du placard pour être traduit. On y suit les pérégrinations meurtrières de Thomas Bishop, évadé d’un hôpital psychiatrique après 15 ans de détention. Son objectif: tuer sa mère. Sauf qu’il l’a déjà tuée, à l’âge de 10 ans et que ce sont des femmes innocentes qui vont subir les assauts implacables d’un homme troublant de véracité et à l’esprit torturé.

La Trilogie du Mal de Maxime Chattam, auteur que l’on qualifie régulièrement du surnom flatteur de « Stephen King français », est également une véritable plongée dans l’esprit des criminels les plus vicieux et les plus intelligents. En trois tomes, l’auteur explore divers thèmes au travers des enquêtes de Joshua Brolin, un profiler dont la santé mentale flanche au fil des découvertes, jouant ainsi sur la mince frontière qui sépare le bien et le mal.

Le Livre sans Nom par Anonyme.
Le Livre sans Nom par Anonyme.© Sonatine

Le Livre sans Nom et ses suites tout aussi anonymes présentent les travers joyeusement ensanglantés du Bourbon Kid, un homme au passé torturé qui possède la particularité de devenir un meurtrier instoppable lorsque il boit une gorgée de bourbon. Même si il n’a jamais été prouvé que Tarantino soit l’auteur de ce fantastique foutoir, toujours est-il que le style rock’n’roll de l’écriture, l’humour noir et les scènes trashs de ce bouquin n’ont rien à envier à Kill Bill

Seul le Silence de R.J Ellory, Le Chuchoteur de Donato Carrisi, L’alliéniste de Caleb Carr, les romans de Frank Thilliez… Nombreux sont les ouvrages qui captiveront les mordus de scènes de crime glauques, de vies torturées et de rodeurs mortels.

Parties mortelles

Être le spectateur impuissant des crimes les plus divers est une chose, en devenir l’acteur en est une autre. Et bien entendu, l’univers du jeu vidéo n’a pas manqué d’exploiter les possibilités scénaristiques du genre.

L.A. Noire de Rockstar Games réalisait l’exploit de proposer un véritable roman noir interactif, avec une ambiance sombre et poisseuse digne des meilleurs films du genre. Le décor: Los Angeles durant l’après-guerre, avec ses belles bagnoles, ses bars fumants,ses dérives et ses magouilles. On y incarne Cole Phelps, un ancien marine décoré, qui grimpe les échelons de la police au fil des enquêtes, celle-ci dévoilant des meurtres et affaires de plus en plus sordides, dont le cas du Dahlia Noir. Ce dernier étant particulièrement réussi et suscitant autant de doutes dans l’esprit du protagoniste que dans celui du joueur… Entre décors gigantesques (bien qu’un peu vides), scénario brillant, motionscan de qualité fournissant des expressions faciales incroyables et un système de jeu très immersif, L.A Noire est un immanquable du genre.

Une capture d'écran de L.A. Noire.
Une capture d’écran de L.A. Noire.© Rockstar Games

Dans un gameplay totalement différent, Hotline Miami rend un hommage flamboyant aux jeuxold school en 2D avec une vue aérienne, à la façon des premiers GTA. On y incarne un homme mystérieux, recevant des appels téléphoniques lui ordonnant de réaliser des meurtres. De massacre en massacre, à grand renfort d’armes blanches, de fusil à pompe et de ruse, une intrigue complexe se développe face au joueur, qui ressent le sentiment de n’être qu’un outil faisant partie d’un plan qui le dépasse. Avec sa bande originale extraordinaire, son ambiance lourde et minimaliste ainsi que sa tension permanente (il suffit d’être touché une seule fois pour devoir recommencer au dernier checkpoint), Hotline Miami scotche du début à la fin, dans une explosion foutraque du plaisir propre au shoot ’em up.

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Hatred, dont la sortie est prévue prochainement, suscite d’ores et déjà la polémique. Pour cause, son concept discutable. Le joueur y incarne en effet un criminel n’ayant qu’une seule idée en tête: tuer un maximum de personnes en sortant de chez lui, avant de se faire descendre par la police. Avec son ambiance sombre et sanglante, cette production des studios Destructive Creations semble jouer sur la violence gratuite pour se vendre. Reste à voir si une quelconque justification à ce massacre brutal sera avancée par le scénario. Toujours est-il que le côté malsain et glauque propre aux tueurs de masse semble avoir été fidèlement retranscrit dans toute son horreur. Défouloir ou (mauvaise) source d’inspiration, il appartiendra aux joueurs de ne pas se laisser dépasser par la virtualité, et de ne pas faire ce jeu un phénomène de glorification de la violence.

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Quant aux joueurs qui préfèrentla subtilité et de discrétion, la licence Hitman, mettant en scène un tueur professionnel, ne manquera pas de les satisfaire.

Des bulles et des balles

L’un des psychopathes les plus populaires du cinéma provient de l’univers de la bande dessinée, et plus précisément du comics. Il s’agit évidemment du Joker, qui est mis en scène dans bien des sorties de DC comics. Killing Joke, écrit par Alan Moore, est un immanquable en la matière, mettant en scène un duel à mort entre Batman et le Joker, dont la relation fascinante se déploie au fil des coups, le premier tentant d’épargner le second, et le second cherchant à pousser à bout le premier. Et pour découvrir le meilleur du Joker, la sortie récente de Joker: Anthologie constituera quelques heures de lecture perturbantes, au travers de 18 récits sélectionnés au travers de la chronologie du personnage.

Killing Joke d'Aman Moore et Brian Bolland.
Killing Joke d’Aman Moore et Brian Bolland.© DC Comics

Retour en contrée franco-belge avec Le Tueur de Matz et Luc Jacamon, une histoire qui dépeint le quotidien d’un tueur professionnel dénué d’états d’âme et de remords. Au fil des contrats, sa personnalité atypique et sa vision tranchante de la société et de la vie se dévoile aux yeux du lecteur, qui s’attache profondément à ce personnage qui tue pourtant sans pitié pour gagner sa vie. Dessins efficaces et scénario bien ficelé maintiennent un rythme haletant au fil des tomes.

Direction l’Asie avec le manga Monster de Naoki Urasawa. Kenzô Tenma, un jeune neurochirurgien aux talents uniques et à l’avenir prometteur, y voit sa vie basculer le jour où il prend la décision de faire passer un enfant gravement blessé avant un personnage politique important, lui aussi dans un état critique et admit à l’hôpital après l’enfant. Alors que le maire décède, l’enfant est sauvé et disparaît. Neuf ans plus tard, Tenma est nommé Chef de Service, suite au décès de plusieurs de ses collègues. Alors qu’une enquête est ouverte pour déterminer si Tenma est coupable de ces morts brutales, ce dernier est décidé à prouver son innocence et commence à mener l’enquête . il découvre alors rapidement que le meurtrier n’est autre que l’enfant qu’il a sauvé. Une longue traque, à travers l’Allemagne et sur fond de psychologie et d’une trame complexe, commence alors.

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