Laurent Valière: “Les carcans de la comédie musicale sautent”

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Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Ringarde, la comédie musicale? Plus si sûr. Il suffit de regarder l’agenda des spectacles pour réaliser que le genre a la cote. À vrai dire, il n’a jamais vraiment cessé d’être populaire. Mais désormais, il semble aussi devenir presque hype. Qui aurait pu penser par exemple que la nouvelle version de Starmania puisse faire la une de Télérama? Ou que Le Chat du rabbin sorte des cases de sa BD pour chanter sur scène? Ou même que La Haine, le film culte de Mathieu Kassovitz, puisse faire l’objet d’une comédie musicale? Annoncé pour l’automne prochain, le spectacle sera mis en scène par le réalisateur lui-même, épaulé par le DJ Cut Killer à la musique… Comment comprendre ce nouvel appétit pour une forme si souvent décriée dans l’espace francophone? Nous avons posé la question à Laurent Valière, concepteur, producteur et présentateur de l’émission 42e rue. Diffusé sur France Musique, chaque dimanche, le programme décortique l’actualité du “théâtre musical et de la comédie musicale dans tous ses états”. Que pense celui qui a également publié La Grande Histoire des comédies musicales (2018) de ce regain d’intérêt manifeste pour le genre? Comment explique-t-il l’avènement de ce qu’il a décrit récemment comme un nouvel “âge d’or”?

Quelle est votre définition de la comédie musicale?

Pour moi, c’est d’abord du théâtre musical, mais j’utilise évidemment le terme de comédie musicale. Mais le mot est tellement galvaudé que c’est compliqué. Déjà, ce qu’on appelle comédie musicale n’est pas forcément une “comédie”. En France, c’est souvent le cas, mais à Broadway moins. L’autre jour, je parlais par exemple dans mon émission de Punk.e.s (qui évoque l’histoire des Slits, groupe pionnier du punk féminin, NDLR). En l’occurrence, le spectacle n’est pas forcément “joyeux”. Donc pour résumer, la comédie musicale, c’est du théâtre, dans lequel les acteurs se mettent à chanter, voire même à danser. Une pièce où, tout à coup, les mots ne suffisent plus.

Le snobisme envers la comédie musicale tombe. Les nouvelles générations d’artistes sont moins sectaires

Comment le genre a-t-il évolué ces dernières années?

J’ai l’impression qu’on peut pointer trois mouvements. Je constate d’abord que la formation en France s’est nettement améliorée. Pendant très longtemps, on a eu des écoles de comédie musicale où tout le monde était pris, et pour lesquelles il fallait payer très cher. C’était vraiment des boîtes à fric. Et l’enseignement n’était pas très bon. Mais depuis 15 ou 20 ans, ça a changé. Le niveau a fortement augmenté. Notamment parce que les artistes qui sortent aujourd’hui ne savent pas seulement chanter, mais sont aussi formés à jouer. Je prépare une série autour de Barbra Streisand, qui vient de sortir ses mémoires. Elle explique bien qu’au départ, elle voulait être actrice. Elle s’en foutait de chanter. En France, on a tendance à ne vouloir que des gens qui chantent très bien… Ensuite, il y a eu le phénomène Starmania, dont la nouvelle version cartonne. C’est comme si on se retrouvait sur la même comète qu’il y a 25 ans, quand Notre-Dame de Paris a déboulé et que tous les producteurs se sont dit que, finalement, la comédie musicale pouvait rapporter très gros. Enfin, j’ai l’impression que les nouvelles générations d’artistes sont moins sectaires. Thomas Jolly, par exemple, a mis en scène des opéras comiques, des œuvres classiques. Et Starmania (de retour à Bruxelles du 28/11 au 01/12/2024 au Palais 12). Ou quelqu’un comme Ladislas Chollat, qui a travaillé sur des textes assez sombres de Florian Zeller, etc., et se met à faire Molière, le spectacle musical. Récemment, je recevais Judith Chemla, qui peut aussi bien chanter La Traviata que de la comédie musicale. Elle adore ça. Ou Maxime Pascal, un chef d’orchestre érudit qui m’a avoué sa passion pour Alan Menken (compositeur de La Petite Boutique des horreurs, mais aussi de nombreuses musiques de Disney, de La Petite Sirène à Aladdin, NDLR). Je ne suis pas certain qu’à une autre époque, ça aurait été aussi simple. Donc oui, je crois que le snobisme tombe un peu.

Feu! Chatterton a composé la musique de la comédie musicale de Noémie Lvovsky, La Grande Magie. Mathieu Kassovitz a lancé la production d’une version musicale de La Haine. Pourquoi le format, jadis considéré comme kitsch, attire autant?

Je pense que du point de vue du compositeur, c’est un exercice super. Quelqu’un comme Claude-Michel Schönberg (compositeur du premier opéra rock français, La Révolution française, en 1973, NDLR) vous explique par exemple qu’il s’est lancé là-dedans parce qu’il en avait marre d’écrire des chansons de 3 minutes. Il n’avait que 24 ans, mais il avait déjà composé plus de 200 morceaux. Il voulait essayer autre chose. Quant à La Haine, sur le papier, c’est une super idée. ça peut être West Side Story… À nouveau, le terme de comédie musicale est très connoté, mais il permet d’aborder plein de thèmes différents. Y compris des sujets très durs. Vous avez vu Annette de Leos Carax, mis en musique par les Sparks? C’est un film extraordinaire, mais d’une violence incroyable. Les Américains parlent de “musicaliser” une histoire. Je pense qu’on peut le faire pour beaucoup de choses.

La comédie musicale se diversifie?

Dans tous les cas, les carcans sautent. Ça part vraiment dans tous les sens. À Paris, en ce moment, vous avez aussi bien une adaptation française du Sacré Graal! des Monty Python (Spamalot) que Le Roi Lion ou Dirty Dancing. La production de Mamma Mia!, par exemple, est super, le casting est parfait. Les gens en ont pour leur argent. Et puis, c’est divertissant. Là, en l’occurrence, on se rapproche plus de la vision “classique” de la comédie musicale. Mais ça fonctionne aussi. Mamma Mia!, c’est le spectacle le plus feelgood à aller voir en famille. Est-ce qu’il y a un rapport avec le fait que la période soit difficile? Peut -être aussi…

Laurent Valière – Bio express

2008 Lancement de l’émission 42e rue, sur France Musique, consacrée à la comédie musicale et au théâtre musical.

2017 Publication de Cinéma d’animation: la French Touch (éditions de La Martinière)

2018 Sortie de 42e rue: la Grande Histoire des comédies musicales (éditions Marabout, 2018)

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