Laryssa Kim: « J’aime jouer avec l’onirisme et les rêves »

"J'aime jouer avec l'onirisme et les rêves : pas au sens d'une hypnose, mais avec le désir que les gens rentrent simplement en contact avec eux-mêmes." © PHILIPPE CORNET
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Italo-Congolaise de Bruxelles, Laryssa Kim impressionne via ses paysages électroniques immergés dans une culture multiple qui passe aussi par la voix. En trois mouvements.

Laryssa Kim partage une colocation dans un bel immeuble de Saint-Gilles, où un vénérable escalier en bois résonne et grince « un peu comme dans une maison hantée ». La trentenaire rigole de sa phrase, peut-être parce que ce décor a bel et bien un lien sonore avec ses expérimentations musicales: celles d’une musique concrète ou acousmatique à vocation expérimentale. Qui s’étale, couine, plane « avec une présence spatiale au coeur du travail », explique la diplômée du Conservatoire de Mons dont le matériel de production tient sur une modeste table. Une sorte de sonar musical, par exemple incarné dans le fantomatique Elatus: seize minutes d’une BO « à écouter les yeux fermés » pour un film que l’auditeur est prié de se monter lui-même, peut-être avec des sensations de sous-marin englouti remontant des limbes. À cette démarche chercheuse, l’acousmaticienne juxtapose aussi des morceaux chantés qu’on qualifiera -à défaut de mieux- d’électrosoul. Comme sa cyber-reprise du Strange Fruit de Billie Holiday, où elle évoque une Laurie Anderson qui aurait grandi à Harlem. Et Laryssa Kim d’évoquer un parcours d’affirmation par le voyage et la musique.

Biorythmes

« Je suis née à Rome, fille unique d’un père du Congo-Brazzaville et d’une mère italienne qui se sont rencontrés à l’université: elle étudiait le droit et la jurisprudence, lui l’ingénierie. Mes parents s’étant séparés quand j’avais deux ans, j’ai grandi avec ma mère et sa famille à San Lorenzo, un quartier romain qui n’est pas si loin de l’esprit de Saint-Gilles. Avec un énorme support familial et beaucoup d’amis, entourée d’amour. Dans les années 90, j’étais fascinée par MTV, qui montrait tout ce qui n’existait pas à la télévision italienne: une diversité de styles et d’ethnicités. Ado, j’ai parfois joué comme extra dans des productions ciné italiennes: soit j’y incarnais la « mauvaise », soit j’étais supposée être la représentation un peu artificielle de la « différence positive ». J’ai grandi sous le berlusconisme mais ma grand-mère maternelle m’interdisait de regarder les émissions de Mediaset où des ados étaient sexualisées comme des adultes. À 18 ans, je suis partie en voyage au Congo où l’on m’appelait « la Blanche »: là, j’ai compris que peu importe comment tourneraient les choses, on me considérerait toujours comme une étrangère. Donc autant appartenir à rien et à nulle part. »

Voyages

« À seize ans, j’ai eu une bourse pour aller en Grande-Bretagne: l’ailleurs m’a toujours fascinée. J’ai fait deux bacheliers en Italie, la comptabilité et les langues: la complexité, celle entre autres du japonais que j’ai brièvement appris, m’a toujours attirée. J’aime étudier parce qu’il s’agit d’affronter la difficulté et donc, d’aller plus loin. J’ai commencé la musique avec le karaoké dans un bar romain: comme je n’étais pas très responsable, j’allais chanter sur scène plutôt que de m’occuper des clients (sourire). Je suis partie en Erasmus à Barcelone, où j’ai côtoyé les musiques latinos, colombiennes, argentines, tout en adorant Lauryn Hill et Bob Marley. Après avoir terminé mes études en 2006, je suis partie vivre à Amsterdam pendant un peu plus de quatre ans, fréquentant le théâtre physique et la danse. Une vie bohémienne où j’ai été entre autres modèle pour des peintres. Là-bas, j’ai vu une performeuse qui travaillait avec la voix et un looper, le chant devenant des sons rythmiques et j’ai voulu sa machine, le Boss VE-20. J’ai aussi acheté un micro cube, un petit ampli portable, et connectée au looper, j’ai commencé à construire des boucles et des bruits. J’ai découvert cette musique expérimentale où on n’écrit pas de compositions mais de la matière. J’ai présenté des examens d’entrée dans des écoles et conservatoires des Pays-Bas, mais aucun ne m’a acceptée. Et puis j’ai tenté ma chance au Conservatoire de Mons en 2013, où j’ai accompli un cycle de cinq ans en composition de musiques électroacoustique avec une spécificité acousmatique. »

Douceurs

« En acousmatique, on n’utilise pas de notes mais on applique des traitements à la matière enregistrée. Avec un but: créer une structure qui maintient une écoute attentive. On travaille sur différents paramètres: le montage, le mélange, la transformation des sons au niveau des fréquences et des volumes. Avec l’idée de créer des illusions d’espace, de profondeur via une table de faders. Je donne une importance quasimystique à l’écoute: si l’auditeur-spectateur se laisse faire, il va pouvoir rentrer dans une sorte de méditation. Et l’étonnement, comme un enfant. J’aime jouer avec l’onirisme et les rêves : pas au sens d’une hypnose où je dicterais aux gens ce que je veux, mais avec le désir que les gens rentrent simplement en contact avec eux-mêmes, qu’ils regardent le monde avec un autre esprit. Cette électronique pourrait être froide mais en fait, elle possède une douceur qui entoure, qui te prend dans ses bras. Mes études m’ont donné l’envie d’utiliser les sons comme des choses plastiques qui peuvent créer toute une histoire, abstraite ou surréaliste. Ce qui reste de mon ADN italo-congolais et de mes voyages dans ma musique? Je me pose la question mais je n’arrive pas à trouver la réponse (sourire) . Je ne sais pas comment mes racines influencent ma musique mais notre identité est faite de multiples parties différentes: en placer certaines en avant, c’est se mettre en lien avec les autres. »

Avant un premier EP prévu pour avril sur le label liégeois Premières Prises, Laryssa Kim donne prochainement des performances à Bruxelles et Gand. La garantie d’incuber d’autres sensations tactiles ou simplement de succomber aux bras de Morphée, comme cette soirée où les spectateurs furent invités à dormir sur scène -littéralement- alors que la musicienne les nimbait de berceuses machinées.

Performances le 26/01 au Winter GHOST IV à Gand, le 07/02 à l’inauguration de l’espace artistique Qartier à la station Bourse à Bruxelles, le 28/02 au Vooruit à Gand.

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