La Yegros: « Face à 15.000 personnes, vous n’avez pas le choix: soit le public vous mange, soit vous mangez le public! »

Cumbia et sonorités électroniques, les deux faces d'une même pièce: La Yegros. © GUILHEM CANAL
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

À l’affiche de Couleur Café, l’Argentine La Yegros revient donner sa propre version de la cumbia, électronique et festive. Rencontre, à Praia.

Certains ont pu parfois reprocher à Couleur Café d’avoir un peu trop dilué son ADN world, notamment en misant davantage sur le hip-hop. Comme il le prouvera à nouveau le week-end prochain, le festival bruxellois n’a pourtant jamais complètement lâché ses premières amours. Il ne faut pas gratter très loin dans la programmation pour s’en convaincre: de la fusion électro-congolaise de Kokoko! aux Sud-Africains de BCUC en passant par l’ancien Salif Keita, ou encore, pour ne pas se focaliser uniquement sur l’Afrique, La Yegros.

À maints égards, la musique de la trentenaire argentine correspond parfaitement au cahier des charges de l’événement: soit une musique urbaine made in Buenos Aires qui n’oublie pas ses racines plus traditionnelles. Dans le cas de La Yegros, on parlera plus précisément de nu cumbia, ou encore cumbia digitale, pour désigner le mélange entre les programmations électroniques et les fameux rythmes locaux, adaptés de la cumbia colombienne, marqués notamment par l’utilisation de la flûte et de l’accordéon.

Au départ, la chanteuse n’est pourtant pas spécialement attirée par une musique folklorique qui est surtout celle de ses parents. Rencontrée récemment à l’Atlantic Music Expo, organisé au Cap-Vert, l’intéressée explique: « Je suis née et j’ai grandi à Buenos Aires, mais mes parents sont originaires de Misiones« , une province au nord-est de l’Argentine, accolée au Brésil. « Ma mère écoutait en effet pas mal de cumbia. Mon père, lui, était plus branché chamame« , un mélange de polka et de musique indienne guarani.

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À l’adolescence, c’est pourtant en italien, en allemand ou en français qu’elle commence à chanter: les seules langues utilisées dans les chants lyriques qu’elle apprend au conservatoire de Moron, commune du grand Buenos Aires. « Ce n’est pas que j’étais spécialement fan d’opéra. Mais je voulais absolument apprendre à chanter, et le conservatoire était le seul endroit où les cours étaient gratuits. » Après quatre ans, elle en sort diplômée, mais sans aucune expérience scénique. Elle décide alors de participer à un casting pour intégrer un spectacle de la troupe de théâtre alternatif De La Guarda. « J’ai été prise! Du coup, la première fois que j’ai chanté réellement en concert, je me suis retrouvée devant un public de 15.000 personnes… Cela reste un moment inoubliable. Mais aussi assez terrifiant. À ce moment-là, vous n’avez pas trop de solutions: soit le public vous mange, soit vous mangez le public! » Ce soir-là, on comprend donc que Mariana Yegros de son vrai nom a choisi la seconde option. « Après ça, je savais que je voulais faire ça toute ma vie! »

Folklo fluo

Naturellement, tout n’est pas si simple. Au sein de la Guarda, elle fait notamment la connaissance de Gaby Kerpel. Sous le nom de King Coya, celui-ci a déjà commencé à imaginer une nouvelle interprétation de la cumbia traditionnelle. Une version plus moderne, qui tiendrait compte des nouveaux instruments électroniques. Dans la foulée, il monte même avec d’autres le label ZZK, qui deviendra rapidement le fer de lance de cette nouvelle vague digitale. Et La Yegros de s’imposer comme sa principale figure féminine.

Au départ, le mouvement reste pourtant encore très marginal. Au pays, la sauce prend difficilement. D’autant que l’Argentine se remet à peine de la violente crise économique qui l’a balayée au début des années 2000. La Yegros décide alors de partir tenter sa chance ailleurs, s’envolant d’abord pour Barcelone, avant d’atterrir à New York. Mais sans résultat. Au point-même de devoir reprendre des études en fashion design.

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C’est forcément à ce moment-là, quand la chanteuse est prête à laisser ses rêves musicaux de côté, que la roue tourne. Comme souvent, c’est Londres et surtout Paris, encore et toujours les deux vraies capitales de ce que l’on a appelé un moment la « sono mondiale », qui embraient. En 2013, le premier album officiel de La Yegros, Viene de Mi, trouve enfin un véritable écho à l’internationale. À l’instar d’un titre comme Trocitos de Madera -« basé sur une histoire qui circulait dans le village de mon père, à propos d’un enfant qui pleurait des larmes de bois« -, il se pique donc de reprendre une trame traditionnelle pour la greffer sur des productions digitales, combinant lignes d’accordéon et beats concassés. Dans ses clips, La Yegros prolonge la « fusion », paradant par exemple en habits folkloriques customisés fluo, transformant le surréalisme magique latino en sorcellerie pop-psychédélique.

Six ans plus tard, la recette a su évoluer, mais sans foncièrement changer. Après Magnetismo en 2016, l’Argentine a sorti récemment un troisième album, intitulé Suelta. King Coya en est toujours le principal producteur. À certains égards, la musique de La Yegros se fait aujourd’hui plus pop, plus directe. Ce qui ne veut pas dire que la chanteuse est devenue entre-temps superstar sur ses propres terres, toujours dominées par le tango. « En Argentine, la cumbia digitale marche un peu mieux, mais pas comme ici par exemple. Cela reste assez underground. C’est un peu comme si elle était trop snob pour les couches populaires qui préfèrent la version traditionnelle, et pas assez chic pour les élites qui considèrent que cela reste une musique vulgaire, réservée au peuple. » Comme dirait l’autre, nul n’est prophète en son pays…

La Yegros, Suelta, distr. Canta La Selva. ***(*)

En concert à Couleur Café, le 28/06.

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