La webradio, dans l’univers infini de la radio 2.0: “Une offre qui coule non stop”

Un passage en live sur la webradio KEXP (ici le groupe texan Khruangbin), c’est le carton presque assuré. © Youtube/KEXP
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

La révolution numérique et l’avènement des webradios, quels qu’en soient les profils, ont changé et internationalisé le paysage radiophonique sans trop ébranler le leadership des stations traditionnelles. Réflexions et sélection.

C’est l’une des plus belles success stories de la radio moderne. Créée en 1972 à Seattle par quelques étudiants de l’université de Washington, KEXP (à l’époque KCMU) qui était alors une radio libre branchée rock et n’émettait qu’à quelques kilomètres de ses bases, est aujourd’hui devenue un modèle écouté (même regardé) et montré en exemple aux quatre coins de la planète. Soutenue par feu Paul Allen, milliardaire connu pour avoir créé Microsoft avec Bill Gates et rebaptisée KEXP en 2001, la station s’est servie d’Internet comme d’un tremplin. Dès 2000, elle est devenue la première webradio au monde à se lancer dans le streaming de ses émissions. 24h/24, à 129 kilobits par seconde… Puis en 2005, elle a commencé le podcasting des performances d’artistes dans son studio devenu depuis sa marque de fabrique. Depuis 2018, KEXP est célèbre pour l’enregistrement de lives incroyables tous proposés gratuitement sur sa chaîne YouTube. 3,41 millions d’abonnés… Un passage dans ses studios et c’est le carton presque assuré.

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La radio désormais, dans notre monde digitalisé et globalisé, se joue aisément des limites territoriales. « C’est clair. Depuis l’avènement d’Internet, la concurrence s’étend bien au-delà de nos frontières, remarque Frédéric Gérand, head of audio de la RTBF. La majeure partie de la population connaît surtout les marques de chez elles. Mais on voit dans les chiffres que ce qui est appelé « autres radios » prend de plus en plus de place dans la consommation des Belges. Derrière, on ne sait pas trop ce que ça représente. Est-ce que ce sont des radios françaises ou d’autres pays? Les gens ne précisent pas exactement ce qu’ils ont écouté mais ils déclarent qu’ils n’écoutent pas une radio de chez nous. Et si on se met à parler de stream, là, le CIM ne mesure que les marques belges. On peut aussi affirmer que nos podcasts, nos radios, nos webradios sont consommés à l’étranger. Avec la France comme premier pays concerné. »

Webradio. Le mot est lâché. Les contours sont plus ou moins flous selon l’emploi qu’on en fait. Une webradio est une radio diffusée sur Internet en streaming, procédé technique de lecture en continu qui permet l’écoute ou la visualisation d’un fichier au fur et à mesure du téléchargement temporaire des données le composant, plutôt que sur les bandes AM et FM. En gros, c’est une radio diffusée uniquement via la Toile (site web, application…). Les auditeurs peuvent s’y connecter n’importe où et n’importe quand à condition de disposer d’une connexion internet. « La webradio imite les codes de la radio mais baigne souvent davantage dans le registre du robinet musical que du talk, avance Bernard Cools, directeur des études auprès de l’agence Média Space. Il peut y avoir les deux. Mais pour le moment, dans la plupart des cas, on est dans de la musique en continu. La principale caractéristique est technique. C’est le fait que ça passe uniquement via des canaux digitaux, via Internet. L’environnement est celui typique de la radio avec une dose de talk souvent très limitée et une dose de musique souvent survitaminée, Internet étant l’unique voie de distribution. À l’inverse des radios classiques qui passent par la FM, par le DAB et par Internet aussi forcément aujourd’hui. »

Slowdice © YouTube KCRW

Dès qu’elles sortent de leur territoire national ou du moins de leur région géographique, toutes les stations deviennent quelque part des webradios. « C’est vrai. Et c’est marrant. Parce que ça ressuscite un peu les longues ondes. En tout cas la possibilité d’écouter des radios de l’autre bout du monde avec son récepteur. Aujourd’hui, un récepteur radio traditionnel ne permet plus d’entendre que des stations assez proches finalement. Parce qu’aussi bien la FM que le DAB sont dépendants de relais à proximité. Alors que quand j’étais petit, on pouvait entendre une radio de l’autre bout de l’Europe si on s’y prenait bien. »

« Pour moi la web radio, c’est un peu, j’allais dire la vieille radio, l’audio linéaire, l’offre qui coule non stop mais qui rejoint la consommation de l’audio à la demande, note Frédéric Gérand. Pourquoi? Parce que la webradio ne permet pas de passer de titre à titre comme on pourrait le faire sur Spotify ou toutes les autres plateformes de streaming musical. Cependant, quand on propose une offre assez diversifiée avec plusieurs webradios, on offre différents univers. Et on permet aux utilisateurs, aux auditeurs, de passer de l’un à l’autre. Pour moi, c’est ça la vertu de la webradio. L’avantage, si on prend par exemple Classic 21, qui est si je puis dire une généraliste pop rock, c’est qu’on peut la sous-thématiser avec tous les versants de la pop et du rock existants. Et  créer des canaux plus spécialisés. »

Sixties, seventies, metal, blues, live, underground… Celles de Classic croisent les décennies et les genres. « La nostalgie est une valeur refuge dans les époques troublées comme celle que l’on connaît. Se remémorer le passé est quelque chose d’assez attendu. D’ailleurs, la webradio la plus consommée chez Classic 21 est la radio eighties. Quand on sait que Nostalgie est la première radio du pays, on voit bien qu’il y a une appétence pour aller chercher les souvenirs qui font du bien. Il y a aussi des choix qui ont été opérés parce qu’on est un service public. Comme une webradio dédiée à la scène belge. Ça correspond à nos missions. Force est de constater que ce n’est pas ce qui attire le plus de gens mais on pense qu’on doit le faire quand même. »

Musiq3 a pour sa part trois déclinaisons numériques: Top du classique, baroque et jazz. Au total, pour l’instant, la RTBF compte une quinzaine de webradios. « Ce qui est pour moi insuffisant, poursuit Frédéric Gérand. Je pense qu’il faut une offre beaucoup plus importante pour un peu contrer les plateformes. Je ne devrais pas parler de la concurrence, mais ce qui est très inspirant, c’est la démarche de NGroup en Belgique. Je pense que la France en est à 200 webradios rien que sur la marque NRJ. Là vous commencez à avoir quelque chose qui entre vraiment en compétition avec Spotify et compagnie. Après, même si ça ne coûte pas très cher, vous n’êtes pas sans savoir qu’on entre dans une période où on va devoir être plus regardant sur nos dépenses. Et je ne sais pas si l’entreprise voudra miser sur la webradio plus que sur autre chose. »

Iggy Pop a sa propre émission de webradio sur BBC Radio 6 Music. © YouTube/BBC Radio 6 Music

Chiffres ridicules

Il faut bien avouer que les chiffres sont relativement ridicules. Les façons classiques d’écouter la radio restent encore largement dominantes. La première source de consommation radio est le récepteur classique et il est suivi de l’autoradio. Les usages via la TV sont plus limités. Et via le Web encore davantage. « La radio via le Web occupe quelques pourcents de l’audience. Mais la radio via le Web, c’est encore Classic 21. C’est encore La Première. C’est encore Nostalgie vaisseau amiral, analyse Bernard Cools. Les webradios sont un complément pour dire qu’on est-là, pour occuper le terrain. Mais aujourd’hui, à ma connaissance, il n’y en a pas qui surnage. Et c’est heureux pour la santé économique de la radio. Parce que quand l’audience va à ce point se segmenter vers des centaines voire des milliers de radios différentes, la position économique vis-à-vis du monde publicitaire de la radio sera fort ébranlée. »  

Bernard Cools parle de quelques centaines d’écoutes à tout casser par semaine. « L’avantage de tout ça, c’est de ne coûter quasi rien. Ca va peut-être entrer dans les mœurs. Mais jusqu’à présent, ce n’est pas avec ça qu’on fait du chiffre. L’importance que les webradios ont sur le plan des audiences est inversement proportionnelle à leur nombre. C’est une agrégation de micro auditoires, de tout petits publics. Pour l’instant si on parle du point de vue du producteur de radio, c’est une façon de segmenter autant que possible un public. En tout cas de permettre à des publics plus fins d’aller chercher ce qui est à leur goût. »

« Elles sont plutôt là pour renforcer nos marques principales, confirme Frédéric Gérand. Si vraiment vous êtes fan d’une thématique particulière dans le rock et faites confiance aux recommandations de Classic 21, vous allez peut-être naturellement aller vers sa webradio blues ou metal plutôt que d’aller chercher une proposition faite par un autre éditeur. C’est ça l’idée. Couvrir tous les sous-genres. Agrandir l’écosystème.

L’avènement des webradios est-il une question de temps, lié aux avancées technologiques? « Je pense que l’élément le plus déterminant, c’est le comportement humain. Ce sont nos habitudes, relève Bernard Cools. Aujourd’hui, vous avez des centaines de possibilités sur votre poste de télé mais vous vous retrouvez assez régulièrement sur les mêmes. Du moins sur un répertoire relativement limité. La radio fonctionne de la même façon. C’est le même cerveau humain qui est à l’œuvre. On a des possibilités assez larges mais on se cantonne à un répertoire limité de quatre ou cinq. Il y a des tas de choses qu’on ne regarde jamais et c’est le même raisonnement sur les webradios. OK, ça occupe le terrain. Ca permet aux programmateurs de dire: si vous aimez les années 60, on a quelque chose pour vous. Mais vous allez du coup vous retrouver dans un ghetto. L’esprit humain a quand même besoin d’un peu de sociabilisation. Si vous vous retrouvez tout seul avec vos années 60, vous allez vite vous sentir un peu délaissé. Il manque parfois un minimum d’éditorialisation qui permet de se raccrocher à quelque chose d’autre. Si vous cherchez un robinet à musique, vous n’avez qu’à écouter Spotify. »

À l’exception de Musiq3 Jazz, les webradios de la RTBF ne proposent que de la musique. Doivent-elles apporter du contenu parlé? « C’est une question qui revient souvent en interne, reconnaît Frédéric Gérand. Sachant que pour Classic 21, ces webradios sont quelque part des versions XXL d’émissions thématiques. Mais je ne pense pas qu’on soit prêts à mettre des moyens éditoriaux sur ces canaux plus que de réutiliser des choses qui viendraient de la radio traditionnelle. » 

Démocratisation et éparpillement

Radio HK, la première webradio diffusée 24 heures sur 24, est née en février 1995 aux USA. Un CD audio tournait alors en boucle et était diffusé par un logiciel d’audioconférence. Mais c’est au début des années 2000 que les radios FM ont commencé à investir dans la diffusion sur Internet. Qu’elles soient publiques, commerciales ou associatives. Que ce soit en continu ou via des podcasts. Télérama, Libération… Tout le monde s’y est mis. Créée en 2002, ArteRadio est la première webradio française de service public. Une webradio à la demande qui propose chaque semaine de nouveaux contenus. Reportages, documentaires, fictions, magazines culturels, chroniques et poésie sonore… ArteRadio réunit plus de 2 millions d’écoutes mensuelles dont 35 % se font via Spotify.

La révolution numérique a permis de programmer des émissions et de les animer en direct ou en différé de partout dans le monde, très simplement, avec un navigateur web ou un téléphone. En supprimant la nécessité d’un studio physique et de matériel coûteux, elle a permis à chacun de faire ses propres émissions. « Mais autant que je sache, termine Bernard Cools, ça n’a pas beaucoup de retentissement. » Tout le monde ne s’appelle pas Wayne Campbell ou Garth Algar…

À écouter sur le net…

NTS

À la base, Nuts To Soup (un clin d’œil aux Simpsons) est un blog musical que son créateur, l’un des fondateurs des Boiler Room, a fait évoluer en station pirate. Née en 2011 à Dalston, un quartier de Hackney, dans le nord-est de Londres, NTS est une vraie webradio qui diffuse 24 heures sur 24 sans publicité et mise sur la diversité autant que la radicalité. Elle est devenue l’un des principaux canaux de découverte musicale de la planète.

Dublab

Inventée à Los Angeles avec un ordinateur poussif et assez de câble ethernet pour atteindre un bar en bas de la rue, Dublab joue depuis 25 ans la carte de l’exploration, de l’expérimentation, de la curiosité et de l’inclusion. Dédiées au développement de la musique, des arts et de la culture, les ondes de Dublab ont fourni une première plateforme à des artistes émergents tels que Flying Lotus, Animal Collective et Julia Holter…

BBC Radio 6 Music 

Créée en 2002, BBC Radio 6 Music est alors la première radio musicale nationale lancée par la BBC depuis 32 ans. Elle mise sur les musiques alternatives et sur les artistes émergents. BBC6 a failli disparaître il y a une quinzaine d’années mais a été sauvée par une campagne Facebook à laquelle se sont entre autre joints David Bowie, Lily Allen et Mark Ronson. Guy Garvey (Elbow), Gilles Peterson, Don Letts et Iggy Pop y ont notamment leur émission.

FIP

Pour écouter ailleurs mais en français dans le texte, c’est du côté de FIP que ça se passe. FIP, c’est de la découverte. Dix fréquences, onze webradios (rock, jazz, groove, reggae, monde…), des concerts immersifs, des émissions phares (Club Jazzafip, Certains l’aiment FIP). Et des chiffres impressionnants. 757.000 auditeurs par jour début d’année passée. En 2017, Jack Dorsey, cofondateur de Twitter, déclarait qu’il était un auditeur fidèle et que FIP est selon lui la meilleure radio du monde…

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